Procès d’Outreau
Le juge d’instruction sur la sellette
(Photo : AFP)
Ce rebondissement a forcément apporté de l’eau au moulin des avocats de la défense. Ceux-ci ont interprété les rétractations de Myriam Badaoui comme la preuve que leurs clients, qui ont clamé dès le début de l’affaire leur innocence, n’ont pas été entendus par la justice. Et surtout par le magistrat qui était chargé du dossier : Fabrice Burgaud. De leur point de vue, le juge, fraîchement sorti de l’école et sans expérience, a instruit à charge uniquement et n’a pas tenu compte d’un élément pour le moins fondamental : l’absence de preuve matérielle pour étayer les accusations portées contre certaines personnes qui ont nié leur implication dans cette sordide affaire.
Lors de son audition comme témoin, Fabrice Burgaud a essayé de répondre aux accusations concernant ses méthodes. Il a expliqué qu’il avait pris «un maximum de précaution» mais que cette instruction s’était déroulée dans un climat de «peur» et qu’il était «difficile de faire la part des choses» notamment face aux témoignages des enfants, dont certains disaient être «menacés». Il a affirmé qu’il n’avait prononcé des mises en examen qu’après avoir étudié l’ensemble des éléments «à charge et à décharge» et surtout après avoir saisi «le juge des libertés pour statuer» sur les incarcérations. Mais il a ajouté : «Tout le monde peut mentir, se tromper, les enfants et les adultes».
Evaluer la crédibilité des témoignagesC’est, en effet, au niveau de la fiabilité des témoignages notamment ceux des victimes, les enfants, que se situe le principal problème dans cette affaire. Certains d’entre eux étaient très jeunes au moment des faits (entre 2 et 5 ans) et c’est pourtant à partir de leurs accusations que les mises en examen ont été décidées. L’expertise des psychiatres et psychologues a joué un rôle très important à ce niveau. Leurs conclusions ont d’ailleurs aussi été mises en cause durant le procès car elles ont fait office d’éléments à charge en l’absence de preuve matérielle de l’implication de tel ou tel. C’est en effet en fonction du profil psychologique des accusés et des victimes que la crédibilité des accusations et des témoignages semble avoir été évaluée. Un processus que les avocats des accusés qui ont nié avoir participé à ces viols [trois ont reconnu leur implication dont Myriam Badaoui] ont largement dénoncé au fil des audiences. Maître Blandine Lejeune, qui défend Dominique Wiel, a ainsi déclaré à l’issue des auditions des psychiatres qui ont essayé de relativiser les termes de leurs rapports devant les jurés : «On dirait que les experts découvrent aujourd’hui que c’est sur la base de leurs conclusions qu’on maintient des gens en détention».
Le verdict qui sera rendu au bout du compte dans ce procès est bien difficile à prévoir. Mais quelle qu’en soit l’issue, cette affaire aura en tout cas mis au jour un certain nombre de dysfonctionnements de la procédure d’instruction dans le cadre de dossiers sensibles et montré que nul n’est à l’abris des dérapages d’une institution. Les avocats de la défense auront dans ce contexte beau jeu de mettre en avant que, comme l’a rappelé maître Jean-Yves Le Borgne, président de l’Association française des avocats pénalistes : «L’insuffisance de preuves doit conduire à l’acquittement même si l’on n’est pas certain de l’innocence». Présomption d’innocence oblige.
par Valérie Gas
Article publié le 09/06/2004 Dernière mise à jour le 09/06/2004 à 15:33 TU