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Procès d’Outreau

Le juge d’instruction sur la sellette

Croquis d'audience du juge d'instruction Fabrice Burgaud, chargé d'instruire l'affaire d'Outreau, lors de son intervention le 09 juin 2004, à la barre de la cour d'assises du Pas-de-Calais. 

		(Photo : AFP)
Croquis d'audience du juge d'instruction Fabrice Burgaud, chargé d'instruire l'affaire d'Outreau, lors de son intervention le 09 juin 2004, à la barre de la cour d'assises du Pas-de-Calais.
(Photo : AFP)
L’audition du juge Fabrice Burgaud, chargé d’instruire l’affaire d’Outreau dans laquelle des enfants ont été victimes de viols, était très attendue par les avocats de la défense. Les méthodes du magistrat ont, en effet, été largement mises en cause depuis le début des audiences, le 4 mai dernier. Le juge, inexpérimenté lorsqu’il a récupéré ce dossier difficile, se trouve au cœur de la polémique engagée à l’occasion de ce procès qui a pris des allures de fiasco judiciaire.
Les avocats avaient annoncé la couleur. Le juge Burgaud était attendu à la barre pour s’expliquer. Car dans cette affaire qui implique des enfants victimes de sévices sexuels et des adultes présumés auteurs de viols, tous les ingrédients de l’erreur judiciaire semblent réunis. D’autant que certains accusés, soupçonnés de faire partie d’une espèce de réseau pédophile local et placés en détention préventive depuis deux à trois ans par le juge Burgaud, ont été libérés en plein procès, après que leur principale accusatrice, elle-même accusée de viol sur ses propres enfants, Myriam Delay Badaoui, les eût disculpé.

Ce rebondissement a forcément apporté de l’eau au moulin des avocats de la défense. Ceux-ci ont interprété les rétractations de Myriam Badaoui comme la preuve que leurs clients, qui ont clamé dès le début de l’affaire leur innocence, n’ont pas été entendus par la justice. Et surtout par le magistrat qui était chargé du dossier : Fabrice Burgaud. De leur point de vue, le juge, fraîchement sorti de l’école et sans expérience, a instruit à charge uniquement et n’a pas tenu compte d’un élément pour le moins fondamental : l’absence de preuve matérielle pour étayer les accusations portées contre certaines personnes qui ont nié leur implication dans cette sordide affaire.

Lors de son audition comme témoin, Fabrice Burgaud a essayé de répondre aux accusations concernant ses méthodes. Il a expliqué qu’il avait pris «un maximum de précaution» mais que cette instruction s’était déroulée dans un climat de «peur» et qu’il était «difficile de faire la part des choses» notamment face aux témoignages des enfants, dont certains disaient être «menacés». Il a affirmé qu’il n’avait prononcé des mises en examen qu’après avoir étudié l’ensemble des éléments «à charge et à décharge» et surtout après avoir saisi «le juge des libertés pour statuer» sur les incarcérations. Mais il a ajouté : «Tout le monde peut mentir, se tromper, les enfants et les adultes».

Evaluer la crédibilité des témoignages

C’est, en effet, au niveau de la fiabilité des témoignages notamment ceux des victimes, les enfants, que se situe le principal problème dans cette affaire. Certains d’entre eux étaient très jeunes au moment des faits (entre 2 et 5 ans) et c’est pourtant à partir de leurs accusations que les mises en examen ont été décidées. L’expertise des psychiatres et psychologues a joué un rôle très important à ce niveau. Leurs conclusions ont d’ailleurs aussi été mises en cause durant le procès car elles ont fait office d’éléments à charge en l’absence de preuve matérielle de l’implication de tel ou tel. C’est en effet en fonction du profil psychologique des accusés et des victimes que la crédibilité des accusations et des témoignages semble avoir été évaluée. Un processus que les avocats des accusés qui ont nié avoir participé à ces viols [trois ont reconnu leur implication dont Myriam Badaoui] ont largement dénoncé au fil des audiences. Maître Blandine Lejeune, qui défend Dominique Wiel, a ainsi déclaré à l’issue des auditions des psychiatres qui ont essayé de relativiser les termes de leurs rapports devant les jurés : «On dirait que les experts découvrent aujourd’hui que c’est sur la base de leurs conclusions qu’on maintient des gens en détention».

Le verdict qui sera rendu au bout du compte dans ce procès est bien difficile à prévoir. Mais quelle qu’en soit l’issue, cette affaire aura en tout cas mis au jour un certain nombre de dysfonctionnements de la procédure d’instruction dans le cadre de dossiers sensibles et montré que nul n’est à l’abris des dérapages d’une institution. Les avocats de la défense auront dans ce contexte beau jeu de mettre en avant que, comme l’a rappelé maître Jean-Yves Le Borgne, président de l’Association française des avocats pénalistes : «L’insuffisance de preuves doit conduire à l’acquittement même si l’on n’est pas certain de l’innocence». Présomption d’innocence oblige.



par Valérie  Gas

Article publié le 09/06/2004 Dernière mise à jour le 09/06/2004 à 15:33 TU