Justice internationale
Un général serbe choisit de se constituer prisonnier
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Belgrade
Le ton était solennel. Le communiqué du gouvernement de Serbie qui a annoncé la décision du général Lazarevic a salué le choix «patriotique» du général. «Aujourd’hui, notre État se bat pour la défense du Kosovo et Metohija. C’est pour cela que j’ai pris la seule décision possible et, de la sorte, je sers la patrie jusqu’au bout», a lui-même expliqué Vladimir Lazarevic. En effet, la Serbie est actuellement soumise à de fortes pressions pour qu’elle coopère mieux avec le TPI. Le 14 janvier, les USA ont réduit de 10 millions de dollars leur aide à la Serbie, et pourraient même compromettre l’adhésion du pays à l’Organisation mondiale du commerce. En visite à Belgrade cette semaine, le commissaire européen à l’Elargissement, Olli Rehn, a rappelé qu’une pleine coopération avec le tribunal de La Haye était une condition impérative à la poursuite du processus d’intégration européenne de la Serbie.
Les pressions se concentrent surtout autour des deux inculpés les plus célèbres du TPI, Radovan Karadzic et Ratko Mladic, qui disposeraient toujours d’importantes complicités et de cachettes en Serbie. Avec la reddition d’inculpés de second plan comme le général Lazarevic, la Serbie espère conjurer la menace de nouvelles sanctions internationales. Vladimir Lazarevic est l’un des quatre généraux serbes inculpés à l’automne 2003. Le général de police Vlastimir Djordjevic est en fuite et pourrait se trouver en Russie, tandis que son homologue Sreten Lukic a pris connaissance de son acte d’accusation, mais a subi récemment une intervention chirurgicale et doit être examiné par une commission médicale. Par contre, l’ancien chef d’état-major de l’armée yougoslave, le général Nebojsa Pavkovic exclut toute idée de reddition et promet d’opposer une résistance acharnée si l’on cherchait à l’arrêter. Au total, le TPI attend encore 18 inculpés de Serbie et de Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie.
Vladimir Lazarevic a été inculpé de crimes de guerres pour sa participation au conflit du Kosovo, en 1998-1999. Il commandait en effet le Corps d’armée de Pristina durant les bombardements de l’Otan du printemps 1999. Au début de l’année 2000, Vladimir Lazarevic a succédé à Nebojsa Pavkovic à la tête du Troisième corps d’armée de Yougoslavie. Il a, quatre fois de suite, été promu par décrets spéciaux de l’ancien président Slobodan Milosevic.
La coopération avec le tribunal de La Haye divise toujours la classe politique.
En avril 2002, Vojislav Kostunica, alors président de la Yougoslavie, le place à la tête de l’armée de terre. En août 2003, il quitte ce poste pour prendre place au siège du Conseil supérieur de la défense. Le ministre de la Défense de l’époque, Boris Tadic, devenu depuis président de la République, a ensuite décidé d’éloigner tous les officiers susceptibles d’être inculpés par le TPI et le général Lazarevic partit en retraite. Le général Lazarevic devrait prendre la route de La Haye d’ici une semaine, accompagné d’un ministre. Le gouvernement serbe offre en effet toutes ses garanties de sécurité au général, pour que celui-ci soit remis en liberté provisoire et assigné à résidence en Serbie dans l’attente de son procès. Ces derniers mois, plusieurs inculpés serbes ont bénéficié d’une telle mesure, notamment les anciens chefs de la police et des services secrets Jovica Stanisic et Franko Simatovic.
La majorité de la population serbe demeure extrêmement défiante envers le TPI, qu’elle soupçonne de partialité anti-serbe, et la coopération avec le tribunal de La Haye divise toujours la classe politique. La reddition du général Lazarevic pourrait valider la démarche préconisée par le Premier ministre Kostunica, qui refuse ouvertement d’arrêter les inculpés, préférant des redditions volontaires et négociées. Au sein même de la majorité gouvernementale, certaines voix réclament néanmoins une plus grande coopération avec le tribunal, en soulignant les risques encourus par le pays. Les libéraux du G17+, conduits par le vice-premier ministre Miroljub Labus, expliquent ainsi que les perspectives européennes du pays pourraient être oblitérées par une absence de coopération.
Vojislav Kostunica voudrait aussi privilégier les jugements par des tribunaux serbes, mais le tribunal spécial pour les crimes de guerre, créé il y a plus d’un an, n’a encore rendu aucune sentence, et les seuls militaires serbes jugés et condamnés par une Cour locale pour des assassinats commis au Kosovo ont été libérés en appel il y a quelques mois. Les partisans les plus résolus de la justice internationale soulignent également que l’État ne devrait pas avoir à prendre en charge la défense des accusés jugés par le TPI de La Haye.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 29/01/2005 Dernière mise à jour le 29/01/2005 à 19:14 TU