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Cuba

La Havane parvient à se libérer des sanctions européennes

La politique étrangère de Madrid à l'égard de Cuba avait déjà été dénoncée par les exilés cubains en Espagne.(Photo : AFP)
La politique étrangère de Madrid à l'égard de Cuba avait déjà été dénoncée par les exilés cubains en Espagne.
(Photo : AFP)
Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont choisi lundi de lever temporairement les sanctions qui visaient Cuba depuis le 5 juin 2003. Elles avaient été adoptées en réponse à la politique répressive du régime castriste qui venait de condamner 75 opposants politiques à des peines allant de 6 à 28 ans de prison. Les autorités de La Havane, qui ont procédé ces derniers mois à quatorze libérations, sont invitées, avec cette levée des sanctions, à poursuivre «un processus vers le pluralisme démocratique et le respect des droits de l’Homme». De nombreux opposants dénoncent l’infléchissement de la politique de l’UE à l’égard de Cuba, impulsé par l’Espagne, et dénoncent une décision trop prématurée.

Le dégel diplomatique amorcé depuis le début du mois de janvier entre Cuba et l’Union européenne a donné lundi ses premiers fruits. Ces dernières semaines, La Havane avait accepté de renouer ses liens avec tous les pays européens, une offensive diplomatique qui s’était déroulée en deux temps. Le régime castriste avait en effet tout d’abord exclu quatre pays de l’UE - la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et les Pays-Bas- en raison de leur opposition à tout assouplissement de la politique européenne à l’égard de Cuba. Pour ces quatre gouvernements, la récente libération de quatorze opposants, dont le poète Raul Rivero, ne représente pas un gage suffisant pour permettre la levée des sanctions. Comprenant que cette diplomatie sélective allait contre ses intérêts, Cuba avait finalement annoncé le 10 janvier la normalisation de ses relations avec les 25 pays européens.

Ce revirement avait immédiatement été salué par les plus hautes instances de l’UE et surtout l’Espagne, qui milite activement depuis l’arrivée au pouvoir du socialiste Jose Luis Rodriguez Zapatero en faveur d’une politique plus conciliante. Après l’adoption en juin 2003 des sanctions européennes, les autorités cubaines avaient à leur tout décidé de geler toute relation. Jugeant cette politique «inefficace», le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, prônait au nom de son gouvernement une reprise du dialogue. Et au terme de plusieurs mois d’intenses débats, l’Espagne a réussi à rallier à sa position ses partenaires européens.  «Les ministres ont réaffirmé l’importance d’encourager un processus vers le pluralisme démocratique et le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales à Cuba», a déclaré lundi Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères et de l’immigration du Luxembourg, qui assure actuellement la présidence européenne. «Le Conseil s’est disposé à maintenir un dialogue constructif avec les autorités cubaines en vue de parvenir à des résultats tangibles dans les domaines politique et économique et dans ceux des droits de l’Homme et de la coopération.»

De ces «résultats tangibles» dépend la durée de la levée des sanctions, le Conseil devant de nouveau examiner ce dossier avant le mois de juillet. Parmi les mesures de rétorsion adoptées en juin 2003 se trouvaient la suspension des contacts de haut niveau avec Cuba ou la réduction des échanges culturels. Et l’UE avait alors également décidé de convier systématiquement les dissidents politiques aux manifestations officielles organisées par les représentations politiques des pays de l’Union à La Havane. Quelques semaines plus tard, Elizardo Sanchez, président de la Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (CCDHRN), recevait un carton d’invitation de l’ambassade de France pour participer à la fête du 14 juillet, au grand dam du régime castriste.

Le réquisitoire de Vaclav Havel

Ce même Elizardo Sanchez a logiquement réagi avec beaucoup de circonspection à la levée des sanctions de l’Union européenne. «Il est clair que certains pays de l’UE sont partisans de faire des pas vers le gouvernement totalitaire cubain, alors que ce dernier ne leur propose rien» en échange, a expliqué cet homme qui a passé huit années dans les prisons du régime. Selon la CCDHRN, plus de 300 personnes sont actuellement privées de liberté pour des raisons politiques. «S’il n’y a pas de résultats visibles et concrets, comme la libération de dissidents, certaines chancelleries européennes risquent la capitulation devant un régime oppressif, qui depuis près d’un demi-siècle, foule du pied les droits des Cubains et ruine l’économie du pays», a prévenu M. Sanchez.

Les espoirs d’ouverture exprimés par certains diplomates européens laissent en fait de marbre beaucoup d’opposants politiques qui soupçonnent des pays comme l’Espagne d’attendre d’importantes retombées économiques. Des critiques très dures émanent notamment de la communauté cubaine réfugiée en Espagne. Qualifiant cette décision de «lamentable», Julio San Francisco, coordinateur général de l’Union européenne de l’Exil cubain, a estimé que les dirigeants espagnols voulaient ainsi «être en bons termes avec le diable et Dieu».

L’ancien président tchèque Vaclav Havel, ne s’est pas non plus montré très tendre dans un réquisitoire intitulé «L’indécent hommage à Fidel Castro». Rappelant les «situations difficiles, quelque peu grotesques, risquées et affligeantes dans lesquelles les diplomates occidentaux se trouvaient pendant la Guerre froide à Prague», cet ancien dissident revient sur la douloureuse expérience qu’il a vécue dans son pays. Et il regrette du coup vivement que les ambassades européennes à La Havane s’apprêtent à dresser leurs listes d’invités «selon les souhaits du gouvernement cubain». Pour lui, «la vision politique étriquée du Premier ministre espagnol» l’a emporté. «Il est suicidaire pour l’Europe de mettre en avant l’un de ses pires travers politiques qui consiste à dire que, pour parvenir à une certaine paix, le meilleur moyen est de rester indifférent à la liberté des autres». Et Vaclav Havel de conclure: «L’Europe s’unit pour défendre sa liberté et ses valeurs, pas pour les sacrifier à l’idéal de la coexistence harmonieuse avec des dictateurs et ainsi risquer l’infiltration progressive de son âme par un état d’esprit anti-démocratique».


par Olivier  Bras

Article publié le 01/02/2005 Dernière mise à jour le 01/02/2005 à 16:51 TU

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Michèle Gayral

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«Depuis l’incarcération de 75 personnes, l’année dernière, les relations diplomatiques entre l’Union européenne et le Cuba étaient pratiquement gelées.»

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