Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cuba

Libération simultanée de plusieurs opposants

Oscar Espinosa Chepe, dans son appartement à La Havane après sa libération. 

		(Photo : AFP)
Oscar Espinosa Chepe, dans son appartement à La Havane après sa libération.
(Photo : AFP)
Depuis le début de la semaine, plusieurs des opposants lourdement condamnés en avril 2003 ont été remis en liberté conditionnelle par le gouvernement cubain. Des libérations inattendues, interprétées comme un geste de bonne volonté de La Havane envers Madrid, qui cherche à assouplir la politique commune européenne à l’égard de Cuba. RFI a rencontré à leur sortie de prison le journaliste indépendant et poète Raul Rivero, et l’économiste indépendant Oscar Espinosa Chepe.

De notre correspondante à La Havane.

Ce n’est pas en lisant les huit pages du quotidien national Granma qu’on apprend la nouvelle ; ce n’est pas non plus en regardant le journal télévisé commun aux quatre chaînes de télévision. Pour la presse cubaine, l’opposition n’existe pas : on n’en parle pas. Quand on est Cubain, c’est par hasard que l’on apprend qu’un opposant vient d’être libéré, par un coup de fil d’un ami commun, ou parce qu’on a pu l’entrevoir sur l’une des chaînes de télévision étrangères autorisées dans les hôtels. Mais, surtout, la plupart du temps on ne l’apprend pas : l’immense majorité des Cubains ignore tout des activités ou du sort de l’opposition —morcelée— qui tente d’émerger dans l’île.

Une fois, en mars 2003, ce mur du silence s’est déchiré, et les médias officiels ont rapporté l’arrestation et la condamnation de 75 personnes, dénoncées comme des mercenaires à la solde des Etats-Unis. Depuis, plus rien. Au cours de cet été, sept d’entre eux ont été libérés pour raisons de santé. Et cette semaine, cinq autres viennent de bénéficier également d’une libération conditionnelle. Mais beaucoup dans l’île n’en entendront jamais parler.

C’est justement contre ce silence, ce monopole de l’information, que Raul Rivero luttait, avant d’être condamné en avril 2003 à vingt ans de prison : l’écrivain et poète, qui a été libéré mardi matin, avait créé en 1995 une agence de presse indépendante, Cubapress. Une presse non gouvernementale, sans lecteur à Cuba car interdite de publication : ses articles sont transmis à des sites Internet, le plus souvent hébergés aux Etats-Unis, ou à Madrid.

Mardi matin, de retour dans son petit appartement clair de Centro Habana, Raul Rivero ne savait pas encore s’il reprendrait l’activité qui l’a envoyé derrière les barreaux: « Je ne sais pas ce que je vais faire, je n’ai plus la force de recommencer comme en 1995 ». Après vingt mois de prison, dont onze passés dans une cellule d’isolement, Raul Rivero n’a rien perdu de son ironie. Mais sûrement un peu de sa motivation : « Par moments, je me dis que j’ai gagné le droit d’écrire de la poésie, de pouvoir profiter de choses que j’aime faire. Mais en même temps, j’éprouve une certaine obligation, en tant que citoyen, écrivain, journaliste cubain, à vivre et à partager ce qui se passe ici, quelles qu’en soient les conditions ». Il voudrait continuer à travailler, « mais avec un minimum de garanties pour moi et pour ma famille », précise-t-il.

Quant à l’exil, il préfèrerait ne pas l’envisager : « je n’ai pas à partir d’ici, parce que c’est mon pays, je m’y sens bien. Mais je ne sais pas encore exactement ce que je vais faire, je ne sais pas ce qui va se passer dans ma situation. En tout cas, personne ne m’a posé de limites ce matin quand je suis sorti de la prison ».

Une épée de Damoclès

Des limites, au contraire, l’officier de la Sécurité de l’Etat qui lui a annoncé sa libération en a posées à Oscar Espinosa Chepe. C’est dans son petit appartement au rez-de-chaussée d’un immeuble un peu excentré de la capitale qu’il nous reçoit. L’économiste indépendant, condamné en avril 2003 à vingt ans de prison, a été libéré lundi matin, le jour de ses 64 ans. « Ce matin, ils m’ont annoncé qu’on m’avait accordé la liberté conditionnelle. Mais qu’à n’importe quel moment, on pouvait me la retirer, si je commettais à nouveau ce qu’ils considèrent comme un délit. Moi je ne reconnais pas avoir commis quelque délit que ce soit, j’ai simplement exprimé ouvertement mon opinion, comme n’importe quel citoyen de n’importe quel pays ».

Tout comme Raul Rivero, Oscar Espinosa Chepe a longtemps été un compagnon de route du régime, avant de prendre une position plus critique. Assis devant un mur de livres, à ses pieds son chien sautillant de joie, et sa femme à côté répondant aux coups de fils incessants, il évoque ses combats de jeunesse contre Batista, ses années en Yougoslavie comme diplomate cubain, puis son activité d’économiste indépendant. « Je n’ai trahi aucun secret. Toutes mes informations, les statistiques que j’utilisais venaient de sources publiées officiellement. Bien sûr, je donnais mon opinion, mon interprétation de ces données. Je n’affirme pas que je détiens la vérité, je peux me tromper parfois, mais j’aspire à une Cuba où l’on pourrait exprimer ses opinions ».

S’il dit être sorti « sans haine » de la prison, Oscar Espinosa se sent en sursis, « avec une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête ». Il ne sait pas encore s’il reprendra son travail dans ces conditions. Pour le moment, à quelques heures de sa libération, il pense surtout à aller enfin rendre visite à sa mère, âgée de 96 ans qui, depuis un an et demi, a multiplié les lettres aux autorités cubaines et étrangères pour réclamer sa libération.

Reprise du dialogue

Au total, ce sont cinq opposants du groupe des 75 qui ont été mis en liberté conditionnelle lundi et mardi. Et les familles de prisonniers pensent que cela pourrait continuer. Les observateurs interprètent cela comme un geste de La Havane envers Madrid. Depuis plusieurs mois, l’Espagne répète qu’elle considère « inefficace »  la politique commune européenne envers Cuba. Une politique adoptée en juin 2003, au lendemain de la vague d’arrestations des 75.

L’un de ses aspects surtout avait irrité le gouvernement cubain : l’invitation systématique des dissidents ou des militants des droits de l’homme aux réceptions des ambassades européennes. Une reconnaissance de facto de l’opposition cubaine, à laquelle La Havane avait répondu par le gel total des contacts diplomatiques. Plus de conversations, officielles ou informelles, plus de visites, les ambassades européennes installées à La Havane s’étaient retrouvé entièrement coupées des autorités cubaines.

A plusieurs reprises, le nouveau gouvernement socialiste de Zapatero a fait savoir ces derniers mois qu’il souhaitait changer cette situation, tout en maintenant les exigences notamment sur les libérations de prisonniers politiques. Un discours resté sans réponse, jusqu’à l’annonce inattendue par Cuba de la reprise des contacts officiels avec l’Espagne, jeudi 25 novembre. Quatre jours plus tard, les premières libérations internvenaient. Même si l’Union européenne continue de demander les libérations de tous les membres du groupe des 75 encore emprisonnés, celles de lundi et mardi témoignent au moins de la reprise d’un dialogue, après un an et demi de gel.



par Sara  Roumette

Article publié le 02/12/2004 Dernière mise à jour le 02/12/2004 à 14:13 TU

Audio

Jeannette Havel

Spécialiste de l'Amérique Latine

«Depuis l’incarcération de 75 personnes, l’année dernière, les relations diplomatiques entre l’Union européenne et le Cuba étaient pratiquement gelées.»

[30/11/2004]

Articles