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Cuba

Radio Martí, ou la guerre des ondes

Les Cubains ont manifesté en masse contre les nouvelles mesures américaines. 

		(Photo : AFP)
Les Cubains ont manifesté en masse contre les nouvelles mesures américaines.
(Photo : AFP)
À Washington, le président George Bush a rendu public début mai un long rapport sur les mesures destinées à «accélérer la transition» à Cuba et donc à durcir l’embargo américain contre l’île. Pour protester contre les dispositions prises par l’administration Bush, une marche gigantesque a réuni vendredi environ un million trois cent mille personnes à La Havane. Parmi les mesures destinées à isoler et affaiblir le régime castriste, il y a l’augmentation du budget d’une radio pas comme les autres, Radio Martí.

De notre correspondante à La Havane

Il faut tourner longtemps le tuner de la radio, très doucement. Les ondes courtes sont pleines d’interférences, une voix s’approche puis disparaît. Plus loin, c’est une musique déformée qui retentit, et à nouveau une voix, en espagnol. La bande est traversée de zigzags sonores, de bulles de bruits, de crachotements, et le signal disparaît parfois aussi vite qu’il est apparu. Pour écouter Radio Martí à La Havane, il faut de la patience, beaucoup d’attention, et un récepteur radio en ondes courtes, une denrée rare dans l’île. Car Radio Martí est une radio hors-la-loi pour le gouvernement cubain, et sa réception est systématiquement brouillée.

Le nom de cette radio est en soi une déclaration d’intentions pleine d’ironie. José Martí est un héros des guerres d’indépendance cubaines du XIXe siècle. Célébré, encensé par le régime castriste, son buste en plâtre blanc orne tous les édifices publics de l’île. L’ironie, c’est que la radio qui porte son nom a justement déclaré la guerre au régime castriste, la guerre des ondes en tout cas. Radio Martí est produite en Floride, à 200 km à peine au nord des côtes cubaines. Elle diffuse 24heures sur 24 des informations, des talk shows et des feuilletons radiophoniques à destination de l’île. Son but : briser le monopole du gouvernement cubain sur l’information.

«No se TV»

Le projet est né en 1983, au cœur de la guerre froide, sur le modèle de Radio Free Europe, qui diffusait alors ses programmes vers les pays de l’Est, derrière le rideau de fer. Présentée par la puissante Fondation nationale cubano-américaine de Mas Canosa (des Cubains anticastristes exilés à Miami) et soutenue par le président Ronald Reagan, Radio Martí a commencé à émettre le 20 mai 1985. Entièrement financée par le gouvernement américain, elle dispose d’un budget annuel de 13 millions de dollars pour la réalisation et la diffusion de ses programmes.

Dans les années 80, Radio Martí a bénéficié d’une audience considérable dans l’île. Mais en mars 1990, une TV Martí a été lancée par les Etats-Unis. Contrairement à la radio, cette télé, rapidement surnommée «No se TV» («on ne te voit pas»), n’a jamais pu trouver son public. Une semaine après son lancement, ses quatre heures et demie d’émissions quotidiennes ont été brouillées par Cuba. Depuis, la chaîne continue à produire ses programmes, avec un budget de 9millions de dollars par an, et un ballon atmosphérique qui relaie le signal vers Cuba. En vain : personne dans l’île ne peut la capter. Et les autorités cubaines, en représailles, ont commencé à brouiller également la réception de Radio Martí.

70% d’audience dans les années 80

Impossible évidemment de faire un sondage officiel à Cuba pour connaître l’audience de la radio: c’est la radio de l’ennemi, et l’écouter ou travailler pour elle peut être interprété comme un délit. Pourtant des estimations partielles existent, qui témoignent d’une chute de l’audience, passée de 70% à la fin des années 80, à 5% d’auditeurs ces dernières années. Une chute due aux difficultés de réception bien sûr, mais aussi à la qualité médiocre de ses émissions. Car si la radio permet à des dissidents cubains de l’intérieur de se faire entendre de leurs compatriotes (ce qu’ils ne peuvent jamais faire dans l’île), ses méthodes sont aussi contestées.

Ainsi en 2002, une information relayée et déformée par Radio Martí s’est trouvée à l’origine de la tentative de prise d’assaut de l’ambassade du Mexique à La Havane par de jeunes Cubains candidats à l’exil. Ces derniers, qui avaient entendu à la radio que Mexico délivrait des visas, avaient détourné un bus et défoncé les grilles de la légation. Plus généralement, ses auditeurs reprochent à la radio de privilégier le discours des exilés anticastristes les plus radicaux au détriment de sa mission d’information. Un reproche qui ne décourage pas l’administration Bush: si les mesures du rapport de la semaine dernière sont appliquées, des avions C-130 en vol en permanence autour de l’île devraient bientôt servir de relais émetteurs à la radio, pour contourner les brouillages cubains.



par Sara  Roumette

Article publié le 15/05/2004 Dernière mise à jour le 15/05/2004 à 11:40 TU