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Cuba

Les Etats-Unis, fournisseurs malgré l’embargo

Signature d'un accord commercial Etats-Unis-Cuba. Après l'ouragan <i>Michelle</i>, à l'automne 2000, le Congrès américain a autorisé la vente à Cuba de certains produits. 

		(Photo: Toni Giron)
Signature d'un accord commercial Etats-Unis-Cuba. Après l'ouragan Michelle, à l'automne 2000, le Congrès américain a autorisé la vente à Cuba de certains produits.
(Photo: Toni Giron)
Depuis trois ans, les entreprises américaines peuvent exporter certaines marchandises vers Cuba, malgré l’embargo en vigueur depuis 1960. Une timide ouverture au commerce entre les deux pays ennemis, qui s’est révélée très fructueuse pour les exportateurs américains.

De notre correspondante à La Havane

«Je ne lèverai pas l’embargo tant que des élections libres ne seront pas organisées à Cuba» a déclaré John Kerry, candidat démocrate à la présidence des Etats-Unis, lors de sa tournée en Floride, le 18 avril dernier. Pourtant, la même semaine, plusieurs centaines de chefs d’entreprise américains se trouvaient justement à Cuba pour signer des contrats avec le gouvernement castriste, d’une valeur totale estimée à 400 millions de dollars pour 2004. Paradoxal, certes, mais pourtant légal, depuis l’adoption par le Congrès américain de l’Amendement pour la réforme des sanctions commerciales et le développement de l’exportation (Trade Sanctions Reform and Export Enhancement Act), en 2001.

Etrangement, c’est un cyclone qui est à l’origine de la reprise des relations commerciales entre les Etats-Unis et Cuba. Quand, à l’automne 2000, l’ouragan Michelle a dévasté l’île caribéenne, le Congrès américain a décidé, pour la première fois depuis quarante ans, d’alléger l’embargo en permettant la vente à Cuba de certains produits. Cette mesure, destinée à aider le peuple cubain, a été rapidement exploitée par les entrepreneurs américains, pour qui il était difficile d’ignorer un marché de 11 millions d’habitants, situé à 200 kilomètres des côtes américaines, et qui a réalisé en 2003 pour près de 3 milliards de dollars d’importations. Mais un marché qui leur était jusque-là interdit.

Après la chute du bloc communiste, qui lui fournissait 88% de ses importations en 1988, Cuba s’est trouvé de nouveaux partenaires commerciaux. À partir de 1991, de nombreux pays ont investi dans l’île, par l’intermédiaire de sociétés mixtes, le plus souvent dans les secteurs du tourisme ou des services. L’Espagne, la France, l’Italie ou le Canada sont devenus des fournisseurs importants de Cuba, tandis que les entreprises américaines, bloquées par un embargo qui est allé en se durcissant au cours des années 90 (loi Torricelli en février 1992, loi Helms-Burton en mars 1996) ne pouvaient avoir accès à ce marché voisin.

Un commerce à sens unique

Dans ce contexte, l’allègement de l’embargo a tout de suite trouvé ses débouchés. En 2001, pour sa première année d’application, les importations balbutiantes totalisaient à peine 4,2 millions de dollars. Les années suivantes, le montant a bondi à 157,3 millions de dollars en 2002, et 298 millions de dollars en 2003. Pour 2004, les prévisions font état de 400 millions de dollars d’importations, soit cent fois plus qu’il y a trois ans. Cette situation place les Etats-Unis au septième rang des fournisseurs de Cuba tous produits confondus, et même au premier rang pour ce qui concerne les produits agroalimentaires.

Pourtant, l’amendement voté en 2001 maintient de nombreuses restrictions à ce début de commerce. D’une part, les exportations ne peuvent concerner que les produits agroalimentaires et les médicaments. D’autre part, les conditions dans lesquelles elles s’effectuent sont très réglementées: demandes d’autorisation préalables au gouvernement américain; obligation pour Cuba de payer ses importations comptant, sans possibilité de crédits; impossibilité d’utiliser le dollar comme monnaie de paiement, et règlement obligatoire à travers des pays tiers, ce qui augmente les frais de change et les délais.

Mais le plus remarquable dans ce nouvel état des choses, c’est que Cuba n’a pas le droit d’exporter en retour vers les Etats-Unis. Car bien qu’aménagé, l’embargo est maintenu, y compris dans ses aspects les plus restrictifs. Ce commerce en sens unique empêche l’île de vendre à son voisin du nord les médicaments qu’elle produit, ou le nickel (désormais le premier produit d’exportation cubain, devant le sucre), la privant d’une importante source de devises étrangères.

Pour Pedro Alvarez, le président d’Alimport, la société cubaine qui gère les importations alimentaires de l’île, ces restrictions sont néfastes pour les deux parties, comme il l’a expliqué lors de l’ouverture des négociations à La Havane la semaine dernière: «Alors que ces restrictions américaines pénalisent mon pays, en ajoutant 20% de frais à notre facture d’importations, elles sont aussi dommageables pour les entreprises américaines, qui se trouvent fortement désavantagées dans leurs relations commerciales avec Cuba, et privées de possibilités d’investissements ici. Ce sont vos concurrents, dans le monde entier, qui profitent des opportunités qui vous pourriez avoir dans ce pays voisin et traditionnellement ami». On ne saurait être plus clair.

Les entrepreneurs américains ont bien compris l’intérêt qu’ils pourraient tirer de la levée totale de l’embargo. Certains hommes politiques aussi: Butch Otter, un Républicain membre du Congrès, était présent lors de ces rencontres organisées à La Havane, où il s’est clairement exprimé pour la normalisation des relations commerciales entre les deux pays. Mais avec les élections présidentielles prévues cet automne aux Etats-Unis, il est probable qu’aucun des candidats ne souhaite se mettre à dos la communauté cubano-américaine de Miami, opposée à tout rapprochement avec le gouvernement castriste. C’est en tout cas ce que semble confirmer la récente déclaration de John Kerry en Floride.



par Sara  Roumette

Article publié le 25/04/2004 Dernière mise à jour le 25/04/2004 à 12:28 TU