Transport aérien
Accident de Roissy 2E : responsabilités partagées
(Photo : AFP)
Une fragilisation de la coque en béton est certainement à l’origine de l’effondrement d’une partie du terminal 2E de l’aéroport de Roissy, accident qui a causé la mort de quatre personnes le 23 mai dernier. Pour Jean Berthier, président de la commission d’enquête administrative chargée d’élucider les raisons de cet accident : «ce bâtiment très complexe était finalement très sensible aux variations de température quotidiennes». A l’intérieur de la coque, la température était constante grâce à la climatisation. Mais les étriers, qui supportaient la structure de béton, donc au contact de la verrière, étaient sensibles aux variations de température extérieure. Bien que faibles, ces variations thermiques ont eu un impact sur toute la structure. Elles ont provoqué de tout petits mouvements de la coque, de l’ordre de un à deux centimètres, et deux fois par jour.
Le rôle des variations de température
«Ces efforts ont fait travailler le béton qui s’est affaibli progressivement», a expliqué Jean Berthier. «Au début, la coque avait une réserve de résistance puisqu’elle a tenu pendant deux ans et demi», a encore précisé le chef de la commission technique. «Mais cette réserve a été rongée progressivement, si bien qu’à un moment donné, à force de travailler et de se fissurer, on est arrivé à un stade où il a suffi d’un élément tout à fait fortuit pour déclencher l’effondrement».
Le matin de l’accident, il faisait 4,1° à Roissy. C’était la température la plus basse de ce mois de mai. Quelques jours auparavant, le thermomètre était monté à 25°. L’écart de température a donc, estiment les enquêteurs, pu être un élément déclencheur. Le rapport technique parle également d’un «manque de redondance mécanique c’est-à-dire de possibilité de transferts vers d’autres zones en cas de défaillance locale». Ce manque de souplesse de l’ensemble a empêché une évacuation des tensions sur des points du bâtiment qui les auraient amorties. Bien au contraire, ces points de tension sont devenus de plus en plus vulnérables.
Pas de faiblesse particulière du béton
Autre hypothèse, un étrier se serait décroché, provoquant l’effondrement de plusieurs anneaux de béton. Les étriers sont des éléments métalliques, les points d’encrage entre la dalle en béton et la toiture, la verrière.
Le rapport n’a pas décelé de faiblesse particulière dans le béton lui-même qui «possède les qualités prescrites et n’a pas subi de dégradations». Toutefois, son épaisseur «de 19 centimètres» a été jugée «préoccupante». En revanche le ferraillage de l’ensemble, la quantité de fer à béton, a été estimé insuffisante.
Trois recommandationsLe rapport d’enquête ne dit pas qui est responsable de l’accident. Cependant, trois acteurs différents ont réalisé le chantier du terminal 2E de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle. D’abord Aéroports de Paris (ADP) qui, avec son propre bureau d’études et son architecte Paul Andreu, cumulait les responsabilités de maître d’œuvre (donneur d’ordre), et de maître d’ouvrage, c’est-à-dire d’exécutant. Deuxième acteur de cet immense chantier, les entreprises du bâtiment qui sont intervenues sur le site, parmi lesquelles GTM, une filiale du groupe Vinci, qui avait remporté l’appel d’offres et avait sous-traité une partie des travaux à ses filiales. Et enfin le bureau Veritas, chargé de donner un avis technique et réglementaire sur la réalisation des travaux, sur la faisabilité de l’ensemble. Un expert proche du dossier explique qu’ADP aurait demandé des ouvertures supplémentaires et que ces changements architecturaux auraient dû amener les bâtisseurs à renforcer le béton. Ce qui n’aurait pas été fait parce que la dalle était déjà coulée.
Tirant les enseignements de cet accident, les membres de la commission font trois recommandations aux professionnels du secteur et aux autorités françaises. Ces recommandations concernent les différents acteurs impliqués dans la construction du terminal 2E. Au moment du projet, «le contrôle technique devrait s’appuyer plus systématiquement sur une modélisation indépendante de celle de l’entreprise, qui permette d’en recouper les résultats». Dans le cas de ce bâtiment, les calculs n’ont été faits qu’une fois. Autre recommandation concernant l’entité unique qui a présidé à la construction du terminal, en l’occurrence ADP qui était tout à fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage : les relations maître d’œuvre/maître d’ouvrage, quand elles sont cumulées par une même entité, doivent être «précisées par une procédure cadre». Enfin, concernant la manière dont le bureau de contrôle Veritas a effectué ses contrôles et donné son feu vert au démarrage de l’installation, il faut trouver «le juste niveau d’approfondissement et de rémunération des différentes catégories d’études d’une part et du contrôle technique d’autre part». Le travail effectué par le bureau de contrôle réglementaire n’aurait pas, à son tour, été vérifié.
Une enquête judiciaire va maintenant déterminer les responsabilités. Ces experts devraient remettre d’ici trois mois leur rapport au juge d’instruction chargé de l’enquête. Roger Le Loire décidera ensuite si oui ou non il procède à des mises en examen. Pour l’heure, avec la publication du rapport technique, les responsables de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle ont entendu un avis positif : le chef de la mission technique a estimé, à titre personnel et suivant son expérience, que «toute structure est sauvable». Quelques jours après l’accident, le patron de l’aéroport avait déclaré que s’il le fallait, ce nouveau terminal serait rasé.
par Colette Thomas
Article publié le 16/02/2005 Dernière mise à jour le 16/02/2005 à 17:34 TU