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Portugal

Législatives sur fond de morosité

José Socrates, secrétaire général du PS (au centre), en campagne dans les rues de Lisbonne.(Photo : AFP)
José Socrates, secrétaire général du PS (au centre), en campagne dans les rues de Lisbonne.
(Photo : AFP)
Les socialistes partent favoris face au successeur de Durão Barroso lors du scrutin anticipé du dimanche 20 février.

Zé Povinho est un brave gars, rondouillard et narquois. Zé Povinho n’existe pas, ou plutôt, il est un peu tout le monde. Inventé par le célèbre céramiste Rafael Bordalo Pinheiro, Zé Povinho, « José le Peuple », est une figure caricaturale qui incarne et représente les Portugais. Et Zé Povinho ces jours-ci, passe beaucoup de temps à hausser les épaules et à proférer des commentaires désabusés en raison de la campagne électorale qui se déroule pour les législatives anticipées du 20 février.

Les journaux qui publient des dizaines de pages de compte rendu des actions partisanes chaque jour doivent se rendre à l’évidence : les familles qu’ils interrogent dans leurs rubriques « vu par… » traduisent bien, à la fois le désintérêt pour la politique et l’inquiétude réelle dans un contexte économique difficile. Le chômage atteint 7,1 % de la population active, franchissant pour la première fois un cap inédit. Le pouvoir d’achat stagne, l’abandon scolaire s’aggrave , les inégalités sociales s’accentuent et l’endettement des familles atteint 118 % de leur revenu annuel disponible. Les privations des Portugais pour tenter d’inverser la tendance ne semblent même pas être justifiées car les comptes de la nation sont à nouveau dans le rouge, et le déficit public est sur le point de réapparaître (Bruxelles fixe la limite à ne pas dépasser à 3 % du PIB national). On comprend que dans ces conditions, les leaders politiques ont fait de la lutte contre l’abstention une priorité.

La droite et la gauche à la recherche d’un nouveau souffle

Lorsqu’en novembre 2004, le président de la République, le socialiste Jorge Sampaio, a prononcé la dissolution de l’Assemblée et contraint le gouvernement de droite à démissionner, il a argué d’«une grave crise de crédibilité ». Le chef du gouvernement démissionnaire, Pedro Santana Lopes, président du Parti Social Démocrate (PSD) sera candidat à sa propre succession le 20 février. Arrivé aux commandes du pouvoir en raison du départ pour Bruxelles de Durão Barroso en juillet 2004, Santana Lopes n’a pas eu à se soumettre au verdict des urnes. Ses adversaires, nombreux, y compris dans les rangs de son propre parti, affirment qu’il n’a pas de légitimité. Son gouvernement qui n’a bénéficié d’aucun état de grâce, a enchaîné les incohérences, les approximations, les gaffes et les erreurs stratégiques.

L’homme, habile orateur, réclame du temps pour pouvoir gouverner dans la stabilité. Avant le 6 février, date du début officiel de la campagne électorale, les sondages accordaient entre 30 et 33 % des voix à sa formation, le Parti Social Démocrate. Un désaveu pour ce parti historique qui bénéficie surtout au Parti Socialiste. Son secrétaire général, José Socrates, arrivé à la tête du PS lui aussi à la faveur de la démission du précédent leader, surfe actuellement sur la vague rose. Le PS est crédité de 45 % des voix, et pourrait même obtenir la majorité absolue des 230 sièges à pourvoir au Parlement. C’est en tout cas le but que s’est fixé Socrates, qui veut avoir toute la marge de manœuvre possible pour gouverner.

Trois petits partis appelés à jouer les arbitres

Sur fond de marasme et de crise économique, l’avant campagne électorale a surtout été marquée par le jeu des vilenies et attaques en tout genre auquel se sont livrés les leaders politiques. La polémique la plus virulente a sans doute été provoquée par une déclaration hasardeuse du leader orange –la couleur du Parti Social Démocrate– devant mille femmes, réunies à Braga, dans le nord du Portugal. Santana Lopes avait alors déclaré devant un parterre subjugué, que Socrates le socialiste préférait d’autres bras, sous-entendu contrairement à lui. Voulue ou non, la « gaffe » a entraîné un tollé de protestation , obligeant même les partis à prendre position sur le mariage homosexuel et la parenté.

Mais c’est bien une question autant sociale que politique qui a dominé et domine le débat: la question de l’avortement et son éventuelle libéralisation. Un dossier qui accentue à chaque fois qu’on l’ouvre le clivage droite/gauche. Socrates s’est engagé à organiser un nouveau référendum sur la question, alors que Santana Lopes a déclaré qu’il ne prendrait aucune initiative. L’avortement au Portugal n’est autorisé que dans des cas extrêmes, comme le viol, lorsqu’il implique un danger pour la vie de l’enfant et de la mère et en cas de malformation grave du fœtus, ceci dans les délais fixés par la loi. Tous les autres cas peuvent conduire à la prison, ce qui conduit des milliers de femmes chaque année à recourir à l’avortement clandestin. Mais c’est aux extrêmes de l’échiquier politique que ce débat trouve sa plus forte expression. Le CDS/PP (Démocrate Chrétien-Parti Populaire) en a même fait sa ligne de fracture pour se démarquer du PSD avec lequel il vient de gouverner au sein de la coalition. A l’opposé, à l’extrême gauche, le BE (Bloc de Gauche) fait de la dépénalisation de l’avortement un de ses chefs de bataille.

Ces deux partis ont véritablement surpris par une campagne menée tambour battant. On a vu Paulo Portas, leader du Parti Populaire, sortir de son rôle un peu forcé de bateleur de foire qu’il adopte en période électorale, pour adopter une posture d’État plus conforme à son statut de ministre de la défense du gouvernement sortant. On a vu aussi Francisco Louçã, porte-parole du BE, oublier un peu son discours intellectuel réservé d’habitude à son électorat urbain et universitaire, pour arpenter le Portugal afin de séduire la population laborieuse. Et on a vu enfin, un Jeronimo Sousa, leader du PCP, étonner par une posture intègre et un discours clair et accessible. Le charisme du secrétaire général du Parti Communiste pourtant fraîchement arrivé sur la scène politique et dont c’est le baptême de feu électoral, pourrait maintenir le PC dans le rôle de la troisième force politique du pays. Alors que la campagne électorale est sur le point de se terminer, la bipolarisation de l’élection de dimanche ne paraît plus aussi évidente.

Un vote sanction qui le dispute à un vote protestataire

Lorsqu’ils sont apparus, ces nez rouges apposés sur les figures des hommes politiques des affiches électorales, les portugais se sont laissés aller à un sourire léger. Une concession au respect qu’ils manifestent d’ordinaire aux instituions,  jeunesse de la démocratie oblige. Les nez rouges en transformant les hommes politiques en clown sans en épargner aucun étaient inoffensifs tout en ayant le mérite d’obliger à s’interroger sur la campagne. Un éclairage différent sans doute, plus politique sûrement et peut être plus préoccupant, celui apporté par une campagne anonyme appelant à voter blanc, pour rejeter un discours unanime et répétitif de politiciens sans idées novatrices. Pour en finir avec un modèle libéral et centriste qui semble avoir épuisé ses ressources. Les 8,8 millions d’électeurs qui sont appelés aux urnes dimanche dont 150 000 vivent à l’étranger vont choisir non seulement leurs députés mais aussi leur gouvernement. Ce sera le troisième en un an.


par Marie-Line  Darcy

Article publié le 17/02/2005 Dernière mise à jour le 18/02/2005 à 08:39 TU