Disparitions en Irak
Une terrible angoisse
(Photo : AFP)
Depuis une semaine, le portrait de la journaliste italienne Giuliana Sgrena a rejoint ceux de Florence Aubenas et d’Hussein Hanoun al-Saadi sur la place de la République. Leurs trois noms sont systématiquement associés dans les manifestations de soutien organisées quotidiennement sur le territoire français. Journalistes, artistes, intellectuels et personnalités politiques sont mobilisés depuis plusieurs semaines, une soirée réunissant ainsi lundi à l’Olympia près de 2 000 personnes. S’exprimant dans le cadre de cet événement, Serge July, directeur du quotidien Libération pour lequel travaille Florence Aubenas, a notamment insisté sur le fait que les autorités françaises avaient cette fois choisi «la stratégie de la discrétion à la différence de ce qui a pu prévaloir dans d’autres cas».
De fait, le gouvernement avait beaucoup plus communiqué sur le sort des journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot lors de leur captivité en Irak, qui a pris fin le 21 décembre après 124 jours. Très peu d’informations filtrent cette fois sur l’avancée du travail réalisé sur le terrain par les services français. Un mutisme que les autorités françaises justifient par le fait que les situations sont complètement différentes. Quelques jours après leur disparition, Christian Chesnot et Georges Malbrunot étaient apparus dans un enregistrement vidéo et le groupe de l’Armée islamique en Irak avait revendiqué leur enlèvement. Dans le cas de Florence Aubenas et d’Hussein Hanoun al-Saadi, aucun élément concret ne permet d’accréditer la thèse de la séquestration depuis leur disparition à Bagdad le 5 janvier. Une situation incertaine qui nourrit une inquiétude grandissante.
Le gouvernement se veut malgré cela plutôt rassurant. Il a communiqué mercredi une partie des informations qu’il possède à une cinquantaine de directeurs de rédaction, de rédacteurs en chefs et de patrons de presse réunis à Matignon. Cité jeudi par Libération, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin demeure ainsi persuadé qu’il y aura «une demande à un moment ou à un autre» et que le calendrier a pu être perturbé par les récentes élections irakiennes. Mais il a également admis, selon Serge July, qu’il n’y avait toujours pas de «preuve de vie». Quelques heures plus tard, le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier reconnaissait sur France Inter que les autorités ne disposaient que «d’indications qui nous donnent l’espoir qu’ils puissent revenir un jour». «Nous travaillons pour qu’ils reviennent à la maison le plus vite possible», a ajouté Michel Barnier. Au cours de la réunion organisée à Matignon, certains participants ont évoqué l’idée d’envoyer en Irak une délégation composée de responsables de la presse française. Une idée rejetée par M. Raffarin qui n’a l’a pas jugée opportune.
L’enlèvement de Giuliana Sgrena revendiquéInterrogé sur un éventuel lien entre la disparition de Florence Aubenas et Hussein Hanoun al-Saadi et celle de la journaliste italienne Giuliana Sgrena , le Premier ministre s’est dit persuadé qu’il n’existait aucun rapport. La situation de cette dernière est effectivement fort différente puisque la journaliste italienne enlevée le 4 février en Irak est apparue dans un enregistrement vidéo diffusé mercredi. Dans ce document déposé au bureau de Bagdad de l’agence audiovisuelle Associated Press Television Network (APTN), Giuliana Sgrena, âgée de 56 ans, parle d’une voix brisée par les larmes. Son visage éprouvé témoigne d’une grande fatigue de la journaliste qui travaille pour Il Manifesto. «Je demande à tous, à tous ceux qui ont lutté contre la guerre, contre l’occupation, je vous en prie, aidez-moi, ce peuple ne doit plus souffrir ainsi. Retirez-vous d’Irak, plus personnes ne doit venir en Irak parce que tous les étrangers, tous les Italiens sont considérés comme des ennemis. S’il vous plaît, faites quelques choses pour moi», implore la journaliste. Une surimpression écrite en arabe donne le nom d’un mystérieux mouvement, «Moudjahidines sans frontières», inconnu jusqu’à présent.
Son appel au retrait des troupes a été lancé peu avant l’examen par le Sénat italien du financement de la poursuite des actions militaires que mène Rome en Irak. Il est resté lettre morte puisque 141 sénateurs, sur 254, ont ensuite choisi de prolonger jusqu’au 30 juin la mission de quelque 3 000 soldats italiens. «Abandonner maintenant l’Irak serait une trahison des espoirs de démocratie des Irakiens», a expliqué Silvio Berlusconi, chef du gouvernement italien, qui s’est dit «content» de savoir que Giuliana Sgrena était en vie. Les proches de la journaliste italienne, qui ne s’attendaient pas à un revirement politique ou un désengagement militaire soudain de l’Italie en Irak, redoutent désormais que cet enlèvement se termine très mal. Car ils ont notamment en mémoire le triste souvenir du journaliste italien Enzo Baldoni, enlevé en août dernier et exécuté par ses ravisseurs.
Site de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun al-Saadi
par Olivier Bras
Article publié le 17/02/2005 Dernière mise à jour le 17/02/2005 à 17:03 TU