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Ukraine

L’affaire Gongadze relancée

Le journaliste Guéorgui Gongadze, photographié en juillet 2000 à Kiev, a été enlevé quelques semaines plus tard puis assassiné.(Photo : AFP)
Le journaliste Guéorgui Gongadze, photographié en juillet 2000 à Kiev, a été enlevé quelques semaines plus tard puis assassiné.
(Photo : AFP)
L’enquête sur le meurtre du journaliste Guéorgui Gongadze, qui était au point mort depuis plus de quatre ans, a connu un formidable coup d’accélérateur depuis que Viktor Iouchtchenko occupe la présidence de l’Ukraine. Selon le nouveau chef de l’Etat, «le pouvoir précédent couvrait les assassins». Et il espère désormais que la justice remonte jusqu’aux commanditaires de ce crime. Appelé à témoigner dans cette affaire, Iouri Kravtchenko , ancien ministre de l’Intérieur, a été retrouvé mort à son domicile vendredi 4 mars. Selon les autorités, il se serait suicidé. Le groupe parlementaire communiste a réagi en demandant au parquet général d’arrêter immédiatement l’ancien président ukrainien Léonid Koutchma.

Une affaire aussi symbolique se devait d’être traitée le plus rapidement possible par le président ukrainien Viktor Iouchtchenko, investi fin janvier dans ses nouvelles fonctions au terme d’une épique bataille politico-électorale. Il s’était engagé à plusieurs reprises à faire la lumière sur la disparition de Guéorgui Gongadze, un journaliste enlevé le 16 septembre 2000 à Kiev et dont le corps décapité avait été retrouvé dans un bois deux mois plus tard. Cet homme était l’un des principaux pourfendeurs du régime de l’ancien président ukrainien Léonid Koutchma, dénonçant régulièrement des scandales de corruption dans les médias pour lesquels il travaillait et sur le site internet qu’il venait de créer, Ukraïnska Pravda. Sa disparition avait suscité un vif émoi au sein de la population et avait entraîné d’importantes manifestations pendant lesquelles avait été ouvertement demandée la démission du président Koutchma. Et l’affaire Gongadze, qui cristallisait toutes les rancœurs et les protestations d’une partie de la population, est considérée comme le déclencheur d’un mouvement de protestation qui a progressivement augmenté et qui a largement alimenté la «révolution orange» de l’automne dernier.

Malgré l’empressement manifesté par le nouveau pouvoir pour élucider ce dossier, le chemin pourrait encore être long tant les zones d’ombres restent nombreuses. A commencer par l’identification du cadavre retrouvé en novembre 2000. Plusieurs tests ADN ont permis de confirmer qu’il s’agissait bien de celui de Guéorgui Gongadze. Mais certains de ses proches, dont sa mère, ont exprimé des doutes sur ces résultats et demandent de nouveaux examens. Le corps décapité de Gongadze n’a d’ailleurs toujours pas été enterré et se trouve dans une morgue à Kiev. Le mois dernier, le parquet général ukrainien a annoncé que des experts allemands et suisses allaient effectuer de nouveaux prélèvements pour procéder à une nouvelle identification. Et selon les médias locaux, la tête du journaliste aurait récemment été retrouvée sur une rive du Dniepr. Lors d’une conférence de presse organisée mercredi, le procureur général Sviatoslav Piskoun a détaillé les conditions de l’assassinat de Gongadze. Il a expliqué qu’il avait été battu après son enlèvement, puis tué par strangulation. Et son corps a ensuite été «aspergé d’essence et incendié».

Sviatoslav Piskoun, qui avait été démis de ses fonctions de procureur en 2003 en raison de l’avancée de son instruction dans ce dossier explosif, a récemment retrouvé son poste et semble être sur le point de boucler son enquête. Il a déclaré que le commanditaire du crime était «connu des enquêteurs» mais a refusé de donner son nom. Pour lui, il ne fait pas de doute que les auteurs de ces atrocités ont «exécuté un ordre criminel». Deux d’entre eux ont d’ailleurs été arrêtés mardi, M. Piskoun les qualifiant «d’assassins directs». Et le général Olexeï Poukatch, un haut-responsable du ministère de l’Intérieur inquiété en 2003 dans cette affaire avant d’être blanchi, est actuellement recherché. Tous ces éléments ont conduit le président ukrainien à déclarer que l’instruction de l’affaire était bouclée. «Nous avons des raisons de croire que le meurtre de Guéorgui Gongadze est élucidé (…)., des assassins ont été arrêtés et sont passés aux aveux», a expliqué mardi M. Iouchtchenko. Il avait déjà, sept jours auparavant, laissé entendre lors de son passage à Strasbourg que l’épilogue était proche, en insistant sur les difficultés de l’enquête. «Beaucoup de preuves ont été détruites. Des quatre principaux témoins, deux ont été assassinés», avait alors confié le président ukrainien.

Un enregistrement explosif

Le défi des enquêteurs est de réussir de remonter jusqu’aux donneurs d’ordre. Iouri Loutsenko, ministre de l’Intérieur, a révélé que plusieurs fonctionnaires de police directement impliqués dans l’affaire avaient été arrêtés et son prédécesseur, Iouri Kravtchenko, devait prochainement être interrogé par le procureur Piskoun (ndlr: il a été retrouvé mort vendredi 4 mars à son domicile). Il était désigné comme l’une des personnalités qui avait le plus intérêt à voir disparaître Gongadze. Peu après l’enlèvement du journaliste, Olexandre Moroz, chef du Parti socialiste, avait dévoilé le contenu d’une conversation entre deux hommes, en affirmant qu’il s’agissait du président Koutchma et Iouri Kravtchenko. Au cours de ce dialogue enregistré, l’un des deux hommes suggère que «Gongadze soit enlevé par les Tchétchènes». Cette bande audio a depuis fait l’objet d’une intense polémique. D’une part autour de l’authentification de l’identité des deux interlocuteurs, et d’autre part à propos de la manière donc cette cassette s’est retrouvée entre les mains du dirigeant socialiste.

Quatre ans plus tard, l’auteur des enregistrements est connu. Il s’agit de Mykola Melnitchenko, un ancien officier de la garde présidentielle, exilé aux Etats-Unis. Il est l’un des hommes-clef de ce dossier et constitue une véritable menace pour une partie de la classe politique en raison des nombreuses cassettes qu’il détiendrait. Et plusieurs personnalités ukrainiennes, à commencer par Olexandre Moroz, demandent à ce que ces pièces soient versées au dossier de manière à ce que la justice essaie de remonter jusqu’à l’ancien chef de l’Etat. Selon le site Ukraïnska Pravda, cette affaire représente «un test démocratique» pour l’Ukraine. Pendant de longues années, le pouvoir en place s’est en effet contenté de déclarer que le meurtre de Gongadze n’était pas «politique», la justice annonçant même le 15 mai 2001 que l’instruction de l’affaire avait permis de conclure qu’il s’agissait «d’un acte spontané». Près de quatre ans plus tard, la famille du journaliste, et toutes les personnes qui se sont battues pour connaître le nom des auteurs de ce crime, espèrent, enfin, connaître toute la vérité et fondent, pour cela, tous leurs espoirs sur le nouveau président ukrainien et son équipe.


par Olivier  Bras

Article publié le 03/03/2005 Dernière mise à jour le 04/03/2005 à 11:40 TU

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Jean-Frédéric Saumont

Envoyé spécial permanent de RFI à moscou

«L'opinion ukrainienne pourrait reprocher au nouveau pouvoir sa précipitation.»

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