Centrafrique
Selon la FIDH, «la fête démocratique n’aura pas lieu»
DR/RFI
Deux ans après le coup d’Etat qui a chassé Ange-Félix Patassé du fauteuil présidentiel, le général François Bozizé se prépare à sonner la fin d’une «transition démocratique» taillée à la mesure de ses ambitions. A la veille du premier tour des élections présidentielle et législatives du 13 mars, dont il attend la légitimité internationalement exigée, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) publie un rapport d’enquête accablant. «Fin de la transition politique sur fond d'impunité. Quelle réponse apportera la Cour pénale internationale ?» interroge la FIDH qui estime «l’instauration de l’Etat de droit en péril».
Les enquêteurs de la FIDH sont revenus en Centrafrique du 12 au 19 décembre 2004 pour une troisième mission qui les incite à renchérir sur leurs rapports précédents. Ceux-ci avaient déjà conduit la FIDH à saisir la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes contre l’humanité commis pendant la première tentative de coup d’Etat de Bozizé contre Patassé, entre le 25 octobre et le 1er novembre 2002. Ces violations des droits de l’Homme impliquaient le président déchu, Ange-Félix Patassé, ses miliciens et ses alliés, le Congolais Jean-Pierre Bemba et le Tchadien Abdulaye Miskine épaulé par le Français Paul Barril. Les ex-rebelles du général Bozizé aussi étaient en cause. Mais aujourd’hui, la FIDH documente les exactions «commises contre la population civile qui ont émaillé la période de transition» engagée depuis le coup d’Etat du 13 mars 2003 ainsi que «les exécutions sommaires perpétrées par les forces de sécurité avec l’aval implicite des autorités de l’Etat».
Impunité et risque de fraude électorale
L’impunité hypothèque très lourdement les lendemains démocratiques annoncés par le général Bozizé en réponse aux exhortes internationales. Tout en évitant lui-même de rendre le moindre compte, il s’est en revanche servi d’une audience judiciaire précipitée, le 22 décembre 2004, pour relancer contre Patassé des accusations de «crimes de sang et de crimes économiques» afin de l’écarter de la joute présidentielle. Auparavant, François Bozizé avait solidement verrouillé les scrutins à venir pour «assurer sa propre succession», expliquent les rapporteurs de la FIDH. A ce titre, ils rappellent notamment la nomination d’obligés du pouvoir dans la Commission électorale mixte «indépendante» ainsi qu’à «la tête de la Cour constitutionnelle de transition, chargée de contrôler le bon déroulement des processus électoraux». Après «la crise des candidatures» de décembre 2004 qui a vu «la recevabilité des candidatures et le pinaillage légaliste masquer une décision politique» - qui s’est quand même conclue par le «repêchage» de trois candidats sur sept évincés -, la FIDH peine à croire à la fiabilité démocratique du processus électoral.
«Tous les doutes sont permis pour les futures élections», soulignent les rapporteurs qui ont décortiqué le recensement d’octobre 2004, le traitement médiatique des candidats et le référendum constitutionnel de décembre 2004, tous marqués par des anomalies et des dysfonctionnements. Le Bureau des Nations unies en République centrafricaine (Bonuca), l’Union européenne (UE) et la France risquent finalement de valider l’habillage démocratique d’un coup d’Etat pourtant dénoncé comme tel, souligne le rapport. Il est vrai qu’à l’époque, nul n’avait bougé le petit doigt pour rétablir Patassé, exilé au Togo. Pour se débarrasser politiquement de ce dernier, Bozizé s’est appuyé sur des parodies de procès qui ont renvoyé dans un premier temps son concurrent devant la Cour criminelle centrafricaine, en compagnie de ses alliés congolais et tchadiens, avant de finir en queue de poisson.
Un non-lieu diplomatique a finalement évité tout mauvais voisinage avec Jean-Pierre Bemba, vice-président de la République démocratique du Congo. Mais au final, la justice centrafricaine a confié tous ses accusés aux bons soins de la CPI, appliquant ainsi en quelque sorte un «principe de complémentarité inversé», note la FIDH. Elle souligne en effet que les crimes concernés et leurs responsables entrent pourtant dans le champ des compétences judiciaires de la Centrafrique. Les crimes commis à l’occasion du coup d’Etat de Bozizé ne «seront pas jugés en Centrafrique», écrivent les rapporteurs, sans illusions non plus sur les «exécutions extra-judiciaires soutenues au sommet de l’Etat» et qui se poursuivent jour après nuit. Interrogé sur ce point, le pouvoir noie sans ciller ces crimes dans le banditisme qui saigne les quartiers de la capitale. «Quand on prend un braqueur en flagrant délit, on est bien obligé de tirer», explique ainsi un ministre cité par la FIDH. Pour sa part, le général Bozizé se défausse de toute responsabilité en imputant ces faits d’armes à des «éléments zélés».
Insécurité physique et alimentaire
En guise de braqueurs, les enquêteurs ont trouvé deux femmes sévèrement battues dans une cellule réservée aux malfrats, deux réfugiées congolaises un peu trop curieuses du sort du mari de l’une d’entre elles, apparemment tué par les forces de l’ordre, selon la FIDH. Ses enquêteurs n’ont vu que désordre dans les registres des différents centres de détention qu’ils ont pu visiter pour vérifier de nombreux cas de détention arbitraire. Pour le reste, les prisons sont à l’image de la terrible misère qui accompagne l’insécurité grandissante dans tout le pays. Les autorités de Bangui se targuent d’avoir fait baisser la courbe de la criminalité dans la capitale avec leur mode de traitement radical et sans sommations. Mais l’insécurité physique et alimentaire qui ronge la Centrafrique constitue sans nul doute le plus lourd handicap de sa démocratisation.
Le pouvoir Bozizé a perdu – ou plutôt n’a jamais eu – le contrôle du «tiers nord du pays». Le Nord-Ouest, frontalier du Cameroun, est sillonné par de grandes compagnies de coupeurs de route qui campent autour des villes de Bossangoa, de Markonda et de Bouar, l’ancienne base militaire française. Au nord-est, là où la frontière croise celle du Tchad et du Soudan, dans la zone du «triple point», la garnison de la ville de Birao a été attaquée fin 2004 par «des individus lourdement armés non identifiés». Globalement, les régions du Nord constituent «une réserve en hommes et en armes», des bandits déjà souvent équipés d’uniformes, des soldats de fortune prêts à toute aventure politico-militaire pourvu qu’elle soit rémunératrice, s’inquiète la FIDH. C’est du reste dans ce vivier qu’avait puisé Patassé en s’attachant les services d’Abdulaye Miskine.
Bien évidemment, les péripéties militaires de ces dix dernières années ont fait baisser le niveau de vie et monter le taux de mortalité en Centrafrique. 40 000 personnes seraient toujours réfugiées au Tchad depuis le coup d’Etat de Bozizé. Pour ceux qui sont restés au pays, inutile de compter sur les services de l’Etat. Les caisses sont vides depuis longtemps et le général Bozizé fait de la politique, pas du social. Pour toutes ces raisons, la FIDH peine à croire que la transition puisse déboucher sur la démocratie, malgré le «processus électoral imposé et financé par la communauté internationale».
par Monique Mas
Article publié le 04/03/2005 Dernière mise à jour le 04/03/2005 à 17:53 TU