Afrique
En un an, 350 000 réfugiés sont rentrés chez eux
(Photo: HCR)
Paix durable ou accalmie politico-militaire, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) enregistre pour la première fois depuis bien longtemps une décrue dans la marée des 4, 242 millions de réfugiés africains – sur un total mondial de 17,087 millions – enregistrés au 1er janvier 2004. En mars 2005, quelque 350 000 d’entre eux étaient rentrés dans neuf pays africains particulièrement marqué par des guerres le plus souvent civiles et désormais complètement ou partiellement éteintes: l’Angola, la Sierra Leone, le Libéria, la République démocratique du Congo (RDC), le Burundi, le Rwanda, le Soudan, la Somalie et l’Erythrée. Mais le HCR souligne qu’il reste encore 2, 070 millions de réfugiés à rapatrier dans ces pays où des millions d’habitants ont également été déplacés – la moitié des 25 millions de déplacés de la planète sont Africains – par des conflits qui ont ruiné les infrastructures.
«Faire bouger les réfugiés, c’est difficile. Mais c’est encore ce qu’il y a de plus facile dans le rapatriement», le pire, c’est après, lorsque les moyens de réinstallation manquent et que tout capote, explique le directeur du bureau Afrique du HCR, David Lambo, qui appelle à une aide internationale pour consolider à long terme les premiers effets de la paix. «Il faut au moins deux ans à un cultivateur pour relancer la production suffisante pour nourrir sa famille», lorsqu’il a la chance de retrouver sa parcelle inoccupée après des années d’absence, ajoute-t-il. Et pour cela, il faut non seulement assurer la soudure, mais aussi fournir matériel et intrants agricoles, sans compter le déminage, comme en Angola par exemple où un quart de siècle de guerre avait tout particulièrement vidées les régions reculées qui lui servaient de théâtre principal.
Retours spontanés en Angola et au Burundi
En Angola, la mort de Jonas Savimbi, le chef de l’Union pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita) et l’accord de paix d’avril 2002 ont mis fin à une guerre en trois volets (colonial, international et civil) qui a rasé non seulement les infrastructures routières, sanitaires ou scolaires, mais aussi les habitations ou les systèmes d’irrigation. Pourtant, 300 000 réfugiés ont déjà spontanément repassé les frontières de l’immense Angola et le HCR compte bien voir rentrer les derniers cette année. Il les estime à 75 000. Mais en Angola comme ailleurs, les réfugiés de retour sont en quelque sorte en concurrence avec les déplacés qui eux aussi veulent quitter les camps de fortune et les bidonvilles où la guerre les a jeté depuis si longtemps que certains ont oublié leurs racines rurales. Ils seraient 900 000 en Angola. Bien plus encore si l’on considère que seuls les papiers délivrés par le HCR permettent de les comptabiliser vraiment en donnant le statut de réfugiés à ceux d’entre les déplacés qui ont passé une frontière.
Le HCR s’inquiète de la réinstallation des Burundais, dispersés au quatre coins des Grands lacs, principalement en Tanzanie, où les plus anciens réfugiés du Burundi végètent depuis le début des années soixante-dix. Depuis 2002 en effet, plus de 225 000 Burundais ont rejoint le territoire national, sinon leurs terroirs. Le HCR réclame 60 millions de dollars d’urgence pour les 90 000 réfugiés rentrés en 2004. Il espère qu’en 2005 le processus électoral (qui vient de s’engager) va en inciter 150 000 de plus à rentrer (sur les 400 000 restant). Mais dans ce minuscule pays où la pression foncière engendre les pires affrontements, la question des terres reste entière, sans parler de l’impuissance économique de l’Etat et de la maigreur squelettique des infrastructures sociales. Même s’ils ont gardé des titres de propriétés, les rapatriés ne peuvent guère espérer recouvrer leur bien et plus largement, les terres arables du Burundi sont bien trop exiguës pour redevenir le gagne-pain privilégié des réfugiés qui rentrent. Le problème est le même au Rwanda où, avant le génocide, feu Habyarimana prétextait justement le manque de terres pour interdire le retour des réfugiés tutsi.
«Plus de dix ans après l’exode massif d’au moins deux millions de Rwandais, la grande majorité de ces réfugiés est désormais de retour au Rwanda», assure le HCR qui a compté 23 000 rapatriements en 2003 et 14 000 en 2004. Restent, selon ses chiffres, 50 000 réfugiés dont il entend cette année ramener au pays une bonne moitié, en exil en Ouganda. Pour les inciter à rentrer, le HCR organise des visites au Rwanda. Le gouvernement rwandais aussi a mis en place tout un dispositif pour ceux qui craignent d’être inculpé de crime de génocide. Restent, en particulier dans les deux Kivu congolais, les partisans de l’ancien régime, en lutte armée contre Kigali et qui échappent pour cette raison à la tutelle du HCR, sauf lorsqu’ils se présentent en civil.
Consolider la paix
Toujours en proie à l’insécurité, en particulier dans sa partie orientale, la RDC compterait quelque 380 000 réfugiés dispersés dans une dizaine de pays, parfois très loin des frontières nationales. Le HCR vient de démarrer un programme dans la province de l’Equateur, dans le nord-ouest du pays où il a rapatrié 2 000 réfugiés de Centrafrique en 2004. Pour cette année, il s’est fixé comme objectif le retour de 25 000 personnes. Mais au Congo aussi, l’Etat a lâché prise depuis des décennies, laissant les infrastructures tomber en ruines. Pourtant, consolider la paix, c’est aussi permettre aux Congolais qui veulent rentrer chez eux de se construire un avenir. Début 2005, le HCR a lancé un nouvel appel de fonds pour 15 millions de dollars à leur intention. Visiblement, la détresse du Congo soulève moins de compassion que le tsunami d’Asie. Les Congolais risquent longtemps encore de se voir condamnés à alimenter la sombre chronique européenne de l’immigration clandestine.
Au Soudan, le HCR brosse un tableau mi-figue, mi-raisin. Le Darfour a pris feu au moment où s’apaisait le conflit Nord-Sud. L’accord de paix entre Khartoum et le Mouvement de libération du peuple soudanais (SPLA) «permet d’envisager le retour de quatre millions de déplacés et de plus d’un demi million de réfugiés», espère le HCR qui pointe là «un défi considérable étant donné le manque total d’infrastructures au Sud». Le HCR en est aux préliminaires, attendant la fin de la saison des pluies (septembre-octobre) pour lancer une opération de rapatriement. Mais surtout, il est débordé au Darfour par le déplacement de 1,8 million de personnes dont plus de 200 000 sont passées au Tchad où il a dû installer pas moins de douze camps de réfugiés. Après deux ans de guerre, à l’ouest du Darfour, comme de l’autre côté des frontières, ces camps menacent déjà de se transformer en abcès de fixation pour des populations épouvantées et sans ressources.
28 000 retours au Somaliland et au Puntland en deux ans
Entre 2001 et 2004, plus de 121 000 Erythréens ont quitté leur exil soudanais. 200 000 seraient encore réfugiés chez le voisin soudanais. Pour certaines familles, l’exil dure depuis les années soixante et les débuts de la guerre du front de libération de l’Erythrée. Le chaos somalien, aussi, maintient en exil quelque 240 000 personnes. Mais le calme relatif qui perdure au Somaliland et au Puntland a permis l’année dernière le rapatriement de 18 000 réfugiés d’Ethiopie et de Djibouti, après les 10 000 de l’année précédente. En 2005, le HCR table sur 16 000 retours. Son plus beau succès, il l’enregistre en Sierra Leone où les rapatriements sont terminés depuis juillet 2004 avec le retour de plus de 270 000 réfugiés en quatre ans de paix. Celle-ci reste à consolider, comme au Libéria où 2004 a vu 100 000 retours spontanés. 330 000 réfugiés libériens restent quand même encore hors les frontières. Le HCR veut en ramener au pays 150 000 en 2005. Mais déjà, le Libéria devient, à l’instar de la Guinée, une terre d’exil pour des réfugiés ivoiriens en nombre croissant.
par Monique Mas
Article publié le 08/03/2005 Dernière mise à jour le 08/03/2005 à 16:51 TU