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Soudan

Le difficile retour des réfugiés dans le Sud

A Rumbek, la future capitale du Sud Soudan, plusieurs centaines de rapatriés vivent dans un camp par manque de moyens et de relations.(Photo : AFP)
A Rumbek, la future capitale du Sud Soudan, plusieurs centaines de rapatriés vivent dans un camp par manque de moyens et de relations.
(Photo : AFP)
L’accord de paix entre le Nord et le Sud du Soudan, signés à Nairobi le 9 janvier dernier, ouvre la voie à la reconstruction du pays ravagé par 21 ans de guerre civile.

L’un des principaux défis pour le Sud Soudan sera la réintégration des millions de personnes déplacées par la guerre. L’Onu estime à 500 000 le nombre de réfugiés dans les pays voisins, et à 4 millions le nombre de déplacés dans d’autres parties du Soudan. Depuis quelques mois, pressentant la signature de l’accord de paix, des milliers de personnes ont regagné leur terre d’origine dans le sud du pays. Après parfois plusieurs décennies d’absence, ils sont confrontés à de nombreux problèmes de réintégration. A Rumbek, la future capitale du Sud Soudan, plusieurs centaines de rapatriés vivent dans un camp par manque de moyens et de relations.


De notre envoyée spéciale à Rumbek

Un petit abri de fortune en feuilles de palmier. Une natte pour dormir. Ni assiette, ni tasse, ni casserole pour cuisiner. Une ration quotidienne de nourriture donnée par le Programme alimentaire mondial, c’est le nouveau cadre de vie de Noura Sawah. Bien éloigné de son rêve de retour sur sa terre natale. Nourah a plus de 40 ans.

Originaire de Rumbek, elle a passé la moitié de sa vie à Khartoum, déplacée par la guerre. Et la voici contrainte de vivre dans un camp avec plus de 300 autres personnes. Du haut de son mètre quatre-vingt, elle toise son dernier enfant qu’elle a adopté sur la longue route du retour, un après-midi à une heure précise ; il s’appelle One o’clock. Mis à part un bijou autour de la taille, One o’clock est complètement nu. « Je n’ai même pas de vêtements à donner à mon enfant, déplore Nourah, mais j’ai besoin de tellement de choses qu’il ne faudrait pas me demander de choisir : des vêtements, de la nourriture et un toit ! », lâche-t-elle en riant aux éclats.

Sur sa vie à Khartoum dans un camp à l’extérieur de la capitale, elle ne souhaite pas s’étendre : « j’étais une esclave, c’est tout !», tranche-t-elle. Elle décrit en revanche avec une foule de détails le long périple qui l’a ramenée dans son village d’origine après la mort de son mari à Khartoum. Avec l’avancement des négociations de paix, entamées en 2002, des dizaines de milliers de déplacés ont pris la route vers le sud du pays dès fin 2003.

Capitale sans eau ni électricité

Nourah était de ceux-là, elle a effectué le trajet en car de Khartoum à Abyei, à la frontière entre le Nord et le Sud Soudan, et a marché les 800 derniers kilomètres à pieds en deux mois. Miraculée après plusieurs attaques de milices contre le convoi improvisé, Nourah est arrivée à Rumbek en juillet dernier. Mais la paix n’est pas synonyme de réconfort : « Beaucoup de gens ont été déplacés par la guerre. Je n’ai retrouvé aucun membre de ma famille en arrivant ici. On m’a dit qu’ils se sont enfuis, peut-être dans les pays voisins. Et en tant que femme seule, je n’ai ni les moyens ni la force de construire une case », explique-t-elle. Il y a très peu d’interactions entre les populations locales et les personnes de retour après plusieurs années, parfois plusieurs décennies, d’absence.

Selon Vincent Chordi, responsable du HCR, (Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés), « Il faut mettre en place un système global de réintégration comprenant les aspects matériels, économiques et sociaux. La réconciliation doit être le pilier principal. Les gens qui sont restés et qui se sont battus dans le Sud peuvent voir d’un œil curieux l’arrivée des rapatriés. Il y a un potentiel de tension et il faudra un travail colossal de  la communauté internationale en collaboration avec le nouveau gouvernement du Sud Soudan ». L’accueil des rapatriés sera d’autant plus difficile que Rumbek, la future capitale du Sud, est une grosse bourgade de 20 à 30.000 habitants, sans eau courante, ni électricité, ni route goudronnée. A peine une dizaine de bâtiments en dur.

Interdit de prier

Nourah nous indique où se trouvait sa maison d’enfance. Aujourd’hui se dresse au milieu du terrain une grande antenne pour le réseau de téléphone mobile, qui en est à ses balbutiements. Quand ses enfants la rejoindront, elle tentera de récupérer son terrain, affirme-t-elle. Ses cinq aînés, âgés de plus de 20 ans, sont restés à Khartoum, faute d’argent pour le trajet.

Le Père Henri Gidudu, de l’Eglise catholique de Rumbek, petit homme jovial, vient réconforter trois fois par semaine les rapatriés. Il leur apporte une nourriture spirituelle mais aussi de l’eau et du pain. « Ces gens ont été exploités là où ils étaient dans le nord du pays. Souvent on leur interdisait de prier et ils devaient se cacher pour célébrer la messe. Ils étaient traités comme des citoyens de seconde zone. J’appelle cela l’injustice », enrage le père Henri, d’origine ougandaise, qui officie depuis une dizaine d’années dans le Sud Soudan. En écho aux paroles du prêtre, l’une des rapatriées, les yeux vagues, brandit une grande croix en bois qu’elle trimballe à travers le camp, en marmonnant des incantations.

Les agences de l’Onu veulent bannir à l’avenir ce type de camp de transit pour les rapatriés. Le HCR a rouvert en juillet dernier ses bureaux (fermés depuis 1990) avec notamment pour objectif de mettre en place un système d’information et de transport afin de faciliter le retour en masse de Soudanais dans leur région d’origine. D’après les Nations unies, sur les 500 000 réfugiés vivant dans les pays voisins (Ethiopie, Kenya, Ouganda,…) et les quatre millions de déplacés, plus d’un million de personnes pourraient regagner le sud Soudan dans le courant de l’année.

par Pauline  Simonet

Article publié le 18/01/2005 Dernière mise à jour le 18/01/2005 à 10:18 TU