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Côte d'Ivoire

Les mystères de l’Ouest

Carte de la Côte d'Ivoire divisée.(Source: www.un.org)
Carte de la Côte d'Ivoire divisée.
(Source: www.un.org)
«Les choses peuvent commencer au Nord, au Centre, à l'Est. Mais une fois à l'Ouest tout se gâte et se complique. La guerre est en train de finir mais c'est encore à l'Ouest que commence une nouvelle guerre. Sortons de là !», a lancé Laurent Gbagbo mercredi lors d’une rencontre avec des représentants des populations wé et dan, deux grands groupes de l’Ouest ivoirien. De son côté, Paris a adressé un «signal politique» en forme d’avertissements aux anciens belligérants, dans la perspective du renouvellement du mandat des «forces impartiales», soldats de l’opération française Licorne et casques bleus, le 4 avril prochain. Enfin, l’organisation humanitaire Amnesty International s’émeut elle-aussi de l’apparition de nouveaux groupes armés mal identifiés dans l’Ouest ivoirien.

La course contre la montre a commencé en Côte d’Ivoire où le mandat du président Gbagbo échoit dans six mois. Bien sûr, chacun des anciens belligérants la conduit en fonction de la manière dont il espère tirer finalement son épingle du jeu. Celui-ci est de plus en plus difficile à arbitrer. Le terrain est tout particulièrement glissant dans l’Ouest, la riche ceinture cacaoyère dont l’arrière-pays boisé court jusqu’au Liberia. L’exaspération de populations livrées à l’insécurité monte. Ce terreau propice à toutes les aventures armées vient d’ailleurs d’enregistrer une violation du cessez-le-feu et de la fameuse «zone de confiance» placée sous le contrôle des soldats français et des casques bleus, le 28 février.

Menace de «guérilla totale» contre les Forces nouvelles

Pour revendiquer l’attaque des positions des anciens rebelles de Forces nouvelles à Logoualé (à 450 kilomètres au nord-ouest d'Abidjan), un mystérieux Mouvement ivoirien de libération de l’ouest de la Côte d’Ivoire (Miloci) est apparu, se réclamant d’un pasteur Gammi, nouveau venu sur la scène armée et qui a promis le 7 mars de lancer une «guérilla totale» contre les Forces nouvelles. Celles-ci se sont enracinées dans l’Ouest ivoirien par l’intermédiaire de deux petits mouvements armés, apparus sur le tard, en 2002, le Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (Mpigo) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP). Certains observateurs voient d’ailleurs aujourd’hui un parallèle avec l’apparition du Miloci, dans le camp adverse. En tout cas, la menace d’un regain de tensions militaires est prise au sérieux, pour des raisons diverses et souvent opposées, tant à Paris et à l’ONU qu’en Côte d’Ivoire.

D’où qu’ils viennent, les appels des «va-t-en guerre» risquent de faire voler en éclats «le statu quo précaire» qui prévaut aujourd’hui, s’inquiète Amnesty International. Selon l’organisation des droits de l’Homme, les 87 combattants faits prisonniers lors de l’assaut sur Logoualé «ont été accueillis comme des héros à leur arrivée à Guiglo, ville située dans l'ouest du pays, sous contrôle gouvernemental» où les casques bleus les ont remis quelques jours plus tard «au commissaire de police» local. Deux enfants-soldats «apparemment d'origine libérienne» auraient été confiés à l’Unicef. Quant aux autres, «certains parlaient anglais et pourraient être des mercenaires», accuse Amnesty international qui demande aussi que toute la lumière soit faite sur l’origine des armes saisies le 28 février, «notamment des RPG (lance-roquettes), des kalachnikovs (type AK-47) et des fusils à pompe».

Reste à vérifier qui sont vraiment les auteurs et les commanditaires de cette attaque, mais aussi quelles sont leurs relations avec les populations locales. Officieusement, les «forces impartiales» les identifient comme des «jeunes patriotes» venus d’Abidjan et «acheminés par cars jusqu’à Bangolo d’où ils ont rejoint à pieds Logoualé». Le communiqué officiel de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) évoque plus prudemment «un groupe d’hommes armés». Concernant le mystérieux pasteur Gammi, il faut se contenter des sources ivoiriennes qui lui donnent des origines à Guiglo. Il aurait effectivement étudié la théologie aux Etats-Unis et ferait, depuis lors, la navette entre les deux rives de l’Atlantique, pour des motifs plus ou moins commerciaux, semble-t-il.

Tout particulièrement éprouvés par deux ans de chaos dans une zone gouvernementale qui n’a jamais été sécurisée, certains habitants de l’Ouest veulent espérer que l’offensive du Miloci ne sera pas sans suite. Certains croient même à un mouvement d’envergure nationale, intégrant aussi bien des Baoulé du Centre que des Senoufo du Nord, décidés à en découdre pour restaurer l’unité nationale. D’autres au contraire s’inquiètent de voir revenir des fils de l’Ouest rompus à tous les trafics de la guerre sale du Liberia où ils s’étaient enrôlés comme mercenaires, sous l’étendard du Mouvement pour la démocratie au Liberia (Model).

Apparu en mars 2003 dans le sud-est libérien, le Model avait en effet recruté des deux côtés de la frontière où la grande famille des Krou avait des comptes à régler avec le président Charles Taylor après l’assassinat de son prédécesseur, Samuel Doe, un Khran comme on dit de l’autre côté de la frontière. A l’époque, à Abidjan, le président Gbagbo aussi avait des motifs pour soutenir les rebelles de son turbulent voisin. Mais pour la troupe, le chômage et la perspective d’un butin ont servi de motivation principale. Depuis octobre 2003, au Liberia, la transition post-Taylor a fait place au Model dans ses institutions. Les fauteuils sont garantis jusqu’en octobre prochain, date des élections. Mais bien sûr, tous les combattants n’en ont pas bénéficié. Surtout pas les soldats de fortune ivoiriens. Sont ils entrés au Miloci ? Cela reste à prouver. Le Miloci dispose-t-il d’une force de frappe notable ? Il a en tout cas raté son offensive de février, ce qui ne prouve en rien qu’il n’a pas une capacité de nuisance réelle.

«Une situation qui se détériore»

A Paris, dans une déclaration conjointe, les ministères français des Affaires étrangères et de la Défense ont pointé, le 8 mars, comme des «signaux négatifs», les «affrontements localisés» dans l’Ouest ivoirien «ou encore la pénétration de la zone de confiance, la semaine dernière, par des jeunes patriotes armés». La défense et la diplomatie française listent d’autre part «plusieurs sujets de préoccupation», à commencer par «le refus persistant des Forces nouvelles d'amorcer le désarmement, l'absence de progrès dans la composition de la commission électorale indépendante…, le non-fonctionnement du conseil des ministres, le caractère inachevé de la modification de l'article 35» en raison de l’option référendum retenue par l’UA. Paris souligne que l’heure est d’autant plus grave que pour tenir le calendrier électoral, «il reste de nombreuses tâches concrètes à accomplir : le cantonnement, le désarmement et la réinsertion des anciens combattants, le redéploiement de l'administration sur l'ensemble du territoire». Mais surtout, indiquent l’armée et la diplomatie françaises, «le renouvellement du présent mandat de l'Onuci et de Licorne, le 4 avril, est l'occasion de poser la question de son éventuelle adaptation» à une situation qui se détériore.

Le porte-parole du ministère de la Défense, Jean-François Bureau rappelle que la force française Licorne «comporte à peu près 4 000 hommes aujourd'hui» en Côte d’Ivoire ou elle est mandatée pour appuyer l'Onuci qu’il est question de renforcer, à la demande de Kofi Annan. Le 4 avril prochain, le Conseil de sécurité doit examiner en particulier l’envoi d'un bataillon supplémentaire de 1 260 casques bleus, mais aussi le renforcement du mandat de l’Onuci dont Paris souhaite que «les moyens et le mandat soient très étroitement articulés» pour une capacité et une efficacité plus grande. Dans l’immédiat, il s’agit de mettre en œuvre la résolution 1584 du 1er février 2005 . Celle-ci réaffirme l’embargo international sur les livraisons d’armes aux ex-belligérants ivoiriens qu’elle accuse, tous deux, d’employer des mercenaires. Mais surtout, dans son article 8, elle donne 45 jours (à compter du 1er février) «au gouvernement de Côte d’Ivoire et aux Forces nouvelles, en particulier leurs forces armées» pour donner à l’Onuci la localisation et la «la liste complète des armements en possession de ces forces armées et en possession des forces paramilitaires et des milices qui en dépendent».

La résolution 1584 est contraignante, non seulement pour les Ivoiriens, mais aussi pour les pays de la région où le Conseil de sécurité appelle également en renfort «la Mission des Nations unies au Liberia (Minul), la Mission des Nations unies en Sierra Leone et les gouvernements concernés, y compris en inspectant autant que nécessaire et sans préavis, les cargaisons des aéronefs et de tout véhicule de transport utilisant les ports, aéroports, terrains d’aviation, bases militaires et postes frontière en Côte d’Ivoire». Reste pour les soldats français et les casques bleus à ramasser les armes en circulation, en Côte d’Ivoire. C’est là que le bât blesse. Et dans ce contexte, les évènements du 28 février prennent la tournure d’un pied-de-nez, en pleine «zone de confiance» sous contrôle franco-onusien.

En clair, selon Paris, si les forces de l’opération Licorne et de l’Onuci restent en Côte d’Ivoire, elles doivent avoir les moyens de leur mission de désarmement et parallèlement, les Ivoiriens doivent trouver une solution politique à leurs différents. C’est le «signal politique» transmis par le porte-parole de la diplomatie française, Henri Ladsous, qui assure que la France ne veut pas se «substituer à ce qui doit être le moteur de l'action, c'est-à-dire l'engagement pro-actif et sans réserve de toutes les parties ivoiriennes». Pour sa part, Laurent Gbagbo est allé tâter le terrain de l’Union africaine (UA), mardi. A sortir de sa rencontre de quatre heures avec son homologue nigérian Olusegun Obasanjo, président en exercice de l'UA, le président ivoirien a commenté comme une «poussée de fièvre» l’attaque de Logoualé, renvoyant la balle dans le camp de l’opposition en faisant valoir auprès de l’UA que «tant que le désarmement n'est pas fait et que la crise n'est pas finie, on aura d'autres poussées de fièvres».

Laurent Gbagbo se déclare satisfait de la médiation de Thabo Mbéki. Elle «avance bien», affirme-t-il en se félicitant de l’intervention du dirigeant sud-africain, un homme qui s’est battu contre l’apartheid, un homme logique et moderne, bref un homme à qui personne ne fera prendre des vessies putschistes pour des lanternes démocratiques. Pour sa part, le président ivoirien défend toujours fermement l’idée d’un référendum pour valider la modification de l’article 35 de la Constitution qui réglemente les candidatures à la magistrature suprême. C’est Thabo Mbéki qui devra fixer le calendrier électoral, ajoute-t-il, en souhaitant «que les élections aient lieu en octobre 2005, aux dates constitutionnellement prévues». A défaut, chacun se prépare à remplir le vide politique à sa manière. Mais personne ne veut évoquer une telle perspective à haute voix.


par Monique  Mas

Article publié le 10/03/2005 Dernière mise à jour le 10/03/2005 à 17:39 TU