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Chili

Le fondateur de la colonie Dignidad arrêté

L'ancien nazi Paul Schaefer a été arrêté en Argentine après neuf ans de cavale (photo d'archives non datée).(Photo: AFP)
L'ancien nazi Paul Schaefer a été arrêté en Argentine après neuf ans de cavale (photo d'archives non datée).
(Photo: AFP)
La cavale de Paul Schaefer, un ancien nazi qui dirigeait une colonie allemande au Chili, a pris fin jeudi en Argentine. Cet homme âgé de 83 ans a été arrêté dans les environs de Buenos Aires sur un mandat d’arrêt international lancé par la justice chilienne. Il est notamment accusé de délit de pédophilie et son nom figure également dans plusieurs affaires de violations des droits de l’Homme commises pendant la dictature du général Augusto Pinochet.

Sur le site internet de la police chilienne, la mention « capturé » barre maintenant le visage de Paul Schaefer. Depuis jeudi, cet homme âgé de 83 ans ne fait plus partie des personnes les plus activement recherchées. Il a été arrêté dans les environs de Buenos Aires par la police argentine en vertu d’un mandat d’arrêt international lancé par le juge chilien Joaquin Billard. Cet ancien caporal nazi aurait été repéré en Argentine voilà six mois, des problèmes cardiaques l’obligeant à quitter sa cachette pour se rendre dans un centre médical. En fuite depuis près de dix ans, il comptait sur l’aide de plusieurs proches et collaborateurs. Quatre d’entre eux ont d’ailleurs également été arrêtés lors de l’opération policière réalisée en Argentine. Se déplaçant en fauteuil roulant, Paul Schaefer, sourire aux lèvres, semblait être en bonne forme sur des clichés pris après son arrestation.

La capture de Paul Schaefer permet de mettre fin à un feuilleton judiciaire vieux de près de quarante ans. Car avant même de venir s’installer au Chili où il a créé en 1961 la Société d’éducation et de bienfaisance Dignidad, Paul Schaefer était déjà poursuivi par la justice. Cet homme, qui a servi comme brancardier pendant la deuxième guerre mondiale dans les rangs de l’armée allemande, était accusé dans son pays d’abus sexuels sur des enfants dont il s’occupait au sein d’une association. Le même scénario va ensuite se répéter à plus de 14 000 kilomètres de l’Allemagne. Epaulé par plusieurs compatriotes, il créé dans les environs de Parral, une ville située à 350 km au sud de Santiago, une enceinte dont l’objectif est d’aider la population locale. Un hôpital et des écoles voient notamment le jour et la colonie Dignidad développe de nombreuses activités économiques, ses habitants vivant peu à peu en complète autarcie.

 L’enclave de la terreur

Pendant près de trente ans, cette enceinte a vécu dans la plus grande tranquillité. Elle a pris les allures d’une secte dirigée par un gourou à la poigne de fer, Paul Schaefer, qui terrorisait les colons. Privés de papiers et d’argent, rares sont ceux qui ont réussi à fuir ces lieux et à dénoncer les maltraitances dont ils étaient victimes. Et il a fallu attendre le retour de la démocratie et le début des années 90 pour que la justice chilienne se penche enfin sur les plaintes déposées par quelques fugitifs. Car les bonnes relations qu’entretenaient cette enclave avec le régime militaire d’Augusto Pinochet conféraient la plus complète impunité à ses dirigeants. Pendant la dictature, la colonie Dignidad a été l’un des maillons de la politique de répression. Les membres de la police politique s’en servaient de centre de détention et de tortures et auraient même fait disparaître plusieurs militants dans ces lieux. Selon les auteurs du livre d’enquête La colonie du docteur Schaefer, cette enclave est équipée d’une piste d’atterrissage qui permettait le transport de passagers, ou de marchandises, dans la plus grande discrétion.

Les nombreuses perquisitions menées par la police au cours des années 90 ont permis de mettre à jour des systèmes de surveillance et de télécommunications très sophistiquées qui, sans aucun doute, permettaient à Schaefer et ses acolytes de savoir que les forces de l’ordre se rapprochaient. Dans une enceinte aussi vaste, les caches ne manquaient pas pour l’ancien caporal nazi. Et la police a même découvert que plusieurs containers avaient été aménagés et enterrés, offrant ainsi un refuge introuvable. L’incapacité des forces de police à mettre la main sur Schaefer avait alimenté toutes sortes de rumeurs ces dernières années, certains affirmant qu’il était mort tandis que d’autres expliquaient qu’il avait probablement subi des opérations de chirurgie esthétiques pour changer de visage. Et la justice semblait désespérer de pouvoir un jour le retrouver.

Expulsion ou extradition?

La fin de sa cavale en Argentine a suscité un immense soulagement au Chili et a notamment été saluée par le président Ricardo Lagos. Pour lui et son gouvernement, l’affaire Schaefer était devenue embarrassante car, malgré tous les efforts déployés, cet homme parvenait à échapper à l’action de la justice. Arrêté dans le cadre de l’enquête sur la disparition en 1974 du militant d’extrême gauche Alvaro Vallejos, il est également poursuivi au Chili dans d’autres dossiers de violation des droits de l’Homme et de nombreuses affaires de pédophilie. En novembre 2004, la justice chilienne a condamné 22 responsables de la colonie allemande pour 27 cas d’abus sexuels commis sur des enfants, un procès auquel Schaefer, alors en fuite, n’avait pas participé. Et la pression grandissante exercée ces dernières années par la justice sur cette enceinte a permis progressivement une plus grande ouverture, et surtout une plus grande transparence. Près de 300 personnes y vivent toujours. Et le porte-parole de cette communauté a réagi à la capture de Schaefer en estimant que le «moment de la justice» était arrivé.

L’avenir judiciaire de cet ancien nazi repose désormais entre les mains des autorités argentines. Le ministre chilien de l’Intérieur, José Miguel Insulza, a demandé à son homologue argentin de l’expulser vers le Chili, une décision qui appartient au président Nestor Kirchner. S’il accepte, Paul Schaefer pourrait bientôt être de retour sur le sol chilien et affronter l’action de la justice. En cas de refus, le Chili aurait encore la possibilité de solliciter son extradition. Mais il s’agirait alors d’une procédure très lourde qui prendrait des mois, voire des années. Et son issue dépendrait notamment de l’état de santé de Paul Shaefer et de la ligne suivie par ses avocats qui pourraient tenter de lui permettre d’échapper à un procès en raison de son âge avancé et des problèmes médicaux dont il souffre.


par Olivier  Bras

Article publié le 11/03/2005 Dernière mise à jour le 11/03/2005 à 17:21 TU

A lire également : La colonie du docteur Schaefer (Fayard), 
                           par Maria Poblete et Frédéric Ploquin.

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Olivier Bras

Journaliste à RFI

«Depuis le retour de la démocratie au Chili, l’affaire Schaefer était très embarrassante pour le gouvernement.»

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