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Chili

Pinochet reste inculpé

Augusto Pinochet, le 30 août 2000.(Photo : AFP)
Augusto Pinochet, le 30 août 2000.
(Photo : AFP)
La mise en examen d’Augusto Pinochet dans l’affaire du Plan Condor, et son assignation à résidence, ont été confirmées par la chambre pénale de la Cour Suprême. Cette décision, adoptée par trois des cinq membres de cette chambre et annoncée mardi, ouvre la voie à un procès de l’ancien dictateur chilien. Mais ses avocats espèrent toujours réussir à convaincre la justice que son état de santé ne lui permet pas d’être soumis à de telles poursuites.

L’annonce de la décision de la Cour suprême n’a cette fois été précédée d’aucun bulletin de santé alarmant ou hospitalisation en extrême urgence. L’ancien dictateur chilien, âgé de 89 ans, a, au contraire, semblé en meilleure forme ces derniers jours, s’offrant même pour les fêtes de fin d’année un petit saut sur la côte Pacifique dans sa résidence de Los Boldos, située à environ 120 kilomètres de Santiago. Un déplacement qui prouve, selon les parties plaignantes, que l’ancien dictateur n’est pas aussi malade et affaibli que le prétend son entourage, et que les hospitalisations à répétition font partie d’une stratégie dont le but est de lui permettre d’échapper aux poursuites judiciaires engagées contre lui. De fait, l’historique médical de l’ancien dictateur chilien a souvent coïncidé ces dernières années avec des décisions judiciaires cruciales. Son dernier séjour à l’hôpital militaire de Santiago remonte ainsi au 18 décembre, deux jours avant que la Cour d’appel ne se prononce, en première instance, sur sa mise en examen dans l’affaire du Plan Condor.

Selon cet établissement hospitalier réservé aux membres des forces armées et à leurs proches, Augusto Pinochet a alors été victime d’un accident cérébro-vasculaire. Un diagnostic qui n’a visiblement pas pesé dans la décision de la Cour suprême rendue publique mardi, ses membres confirmant la mise en examen de l’ancien dictateur prononcée le 13 décembre par le juge Juan Guzman dans le cadre de son enquête sur le Plan Condor. Cette opération de répression menée au cours des années 70 et 80 s’était traduite par une intense collaboration entre différentes dictatures sud-américaines visant à l’élimination de certains opposants politiques. Mis en examen et assigné à résidence, Pinochet est poursuivi pour les délits de « séquestres permanents » de neuf opposants politiques dont les corps n’ont jamais apparu, et le délit d’ « homicide » pour un dixième cas, celui de Ruiter Arce, un militant communiste enlevé le 27 mai 1977 et retrouvé assassiné quelques jours plus tard. Neuf hommes et une femme se trouvent parmi les victimes, l’un des disparus étant Alexis Jaccard, un citoyen chilien qui possédait également la nationalité suisse.

Pour la deuxième fois de sa carrière, le juge Guzman, saisi d’une première plainte déposée contre Pinochet en janvier 1998, a donc franchi toutes les barrières judiciaires qui l’empêchaient de s’en prendre directement à l’ancien dictateur. Il a tout d’abord obtenu la levée de l’immunité dont jouissait Pinochet en tant qu’ancien président du Chili, et ce malgré le fait qu’il se soit autoproclamé à ce poste à la faveur d’un coup d’État, et a ensuite reçu l’aval des plus hautes instances juridiques du pays qui ont validé la mise en examen de l’ancien dictateur. Et rien ne semble donc plus pouvoir l’empêcher d’aller jusqu’au bout dans ce dossier, Pinochet voyant ainsi se rapprocher l’hypothèse d’un procès qu’il a jusqu’ici réussi à éviter.

Le juge Guzman accusé de cruauté

Ce scénario se heurte cependant toujours au même obstacle, l’état de santé de l’ancien dictateur. En 2001, le juge Guzman avait vu la Cour d’Appel, puis la Cour suprême en 2002, classer les poursuites engagées sur la base de rapports médicaux indiquant que Pinochet souffrait d’une « démence légère à modérée » due à son grand âge. Sénile, l’ancien dictateur ne pouvait pas répondre des crimes dont il était accusé dans l’affaire de la « Caravane de la mort ». Selon la loi chilienne, seule la « folie » ou la « démence » peuvent en effet permettre à une personne âgée de plus de 70 ans d’échapper à la justice, les problèmes physiques n’étant eux pas pris en compte. Mais le juge Guzman possède cette fois un atout supplémentaire puisqu’il a pris soin de soumettre Pinochet à diverses expertises psychologiques avant de le mettre en examen en 13 décembre, accompagnant les attendus de sa décision des rapports réalisés par trois experts.

La marge de manœuvre de la défense de l’ancien dictateur est du coup beaucoup plus restreinte. Ses avocats et ses proches ont affirmé ces dernières semaines que chaque nouvelle étape judiciaire contribuait à la dégradation de l’état de santé l’homme qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 17 ans. Le général en retraite Luis Cortes Villa, directeur exécutif de la Fondation Pinochet, a ainsi rendu le juge Guzman directement responsable de ses récents problèmes de santé, tandis que Marco Antonio Pinochet, fils cadet de l’ancien dictateur, a demandé en décembre au juge de venir constater par lui-même à l’hôpital militaire qu’il ne s’agissait pas d’un «show» et que son père avait souffert d’une «attaque plus forte que les précédentes à cause du stress auquel il est soumis».

C’est désormais dans la propriété de Los Boldos, où Pinochet est assigné à résidence, que devraient se dérouler les prochaines étapes de cette interminable épopée judiciaire initiée voilà pratiquement sept ans. Mis en examen, l’ancien dictateur devrait maintenant être fiché. Or, cette procédure risque, comme en 2001, de se heurter au refus de l’entourage de Pinochet qui ne peut accepter l’idée qu’un officier judiciaire vienne prendre ses empreintes digitales et des clichés de lui. Et la défense réfléchit déjà au dépôt de nouveaux recours qui lui permettront de repousser cette échéance, et celle, beaucoup plus menaçante, d’un procès.

par Olivier  Bras

Article publié le 04/01/2005 Dernière mise à jour le 05/01/2005 à 11:07 TU

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Michèle Gayral

Journaliste à RFI

«On dit déjà dans l'entourage de Pinochet que ces nouveaux développements vont le tuer.»

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