Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Chili

Pinochet dans les serres du Plan Condor

Le juge Guzman et Pinochet. 

		(Photo : AFP)
Le juge Guzman et Pinochet.
(Photo : AFP)
Contraint de repousser deux fois ce face-à-face, le juge chilien Juan Guzman a enfin réussi à interroger, ce samedi 25 septembre, Augusto Pinochet dans le cadre de son enquête sur le plan Condor. L'interrogatoire a eu lieu à Santiago au domicile de l'ancien dictateur, âgé de 88 ans. Le magistrat chilien doit désormais se pencher sur la mise en examen de Pinochet dans ce dossier, les avocats des parties civiles ayant formulé une demande en ce sens.

Une fois de plus, Augusto Pinochet est rattrapé par le Plan Condor. C’est dans le cadre de son enquête sur cette opération de répression menée entre plusieurs dictatures latino-américaines au cours des années 70 et 80 que le juge espagnol Baltazar Garzon avait lancé en octobre 1998 un mandat d’arrêt contre Augusto Pinochet qui se trouvait alors à Londres. Dans sa demande, il citait une centaine de cas de personnes portées disparues en Argentine et au Chili et accusait Augusto Pinochet d’être «l’un des responsables les plus importants de l’organisation, en coordination avec d’autres responsables militaires et civils d’autres pays». Le 16 octobre, Augusto Pinochet était arrêté, entamant une bataille judiciaire de plus de 500 jours avec les autorités judiciaires et politiques anglaises qui acceptaient finalement de lui rendre sa liberté en mars 2000 en raison de état de santé jugé trop faible.  

A son retour au Chili, Pinochet fait l’objet d’innombrables plaintes dans différentes affaires de violations de droits de l’Homme, dont celle du Plan Condor. Chargé de l’instruction de ce dossier, le juge Juan Guzman a obtenu le mois dernier (août 2004) la levée de l’immunité judiciaire dont jouit Augusto Pinochet en qualité d’ancien président de la République. Successivement, la Cour d’appel de Santiago et la Cour suprême ont estimé que la justice devait examiner le rôle exact joué par l’ancien dictateur dans le Plan Condor. Pour argumenter leur décision, les magistrats de la Cour d’appel se sont notamment appuyés sur le témoignage de Manuel Contreras, ex-chef de la police politique de la dictature (Dina), qui a notamment déclaré aux enquêteurs avoir été chargé par Pinochet de «d’extirper et d’éliminer l’extrémisme marxiste».

Les accusations du général Contreras prennent d’autant plus de poids que ce général en retraite est considéré comme l’un des instigateurs du Plan Condor. C’est en effet à son invitation que se retrouvent en novembre 1975 à Santiago les dirigeants d’une demi-douzaine de services d’intelligence sud-américains. L’Amérique du Sud est à l’époque un bastion de dictatures militaires qui ont toutes en commun le même ennemi, le marxisme. Et dans tous ces pays, les opposants vont être victimes des mêmes méthodes de répression : arrestations illégales, tortures, exécutions sommaires, disparitions… Et l’idée des régimes militaires est de réussir à mettre en place une collaboration pour échanger des informations et réussir ainsi à lutter encore plus efficacement contre la «subversion». Le Chili demande ainsi à l’Argentine de surveiller attentivement les nombreux exilés qui ont franchi la Cordillère des Andes après le Coup d’Etat du 11 septembre 1973 pour tenter de se protéger. Et beaucoup n’auront d’autre choix que celui de quitter l’Amérique du Sud une fois que l’Argentine deviendra à son tour une dictature militaire.

«Equipes spéciales»

Il est encore difficile de connaître avec exactitude la manière dont ces différents régimes militaires collaboraient. Avant même que les coups d’Etat n’éclatent, des liens très forts unissaient déjà beaucoup de militaires de cette région qui avaient reçu la même formation à l’Ecole des Amériques, une institution militaire créée au Panama par les Etats-Unis en 1946. Son objectif prioritaire était de préparer les différentes armées sud-américaines à lutter contre le communisme et elle instruisait des officiers venant de 22 pays de la région. Une certaine forme de rapprochement existe donc entre les différents pays dès les années 50 et 60,  qui permettra ensuite la mise en route d’une redoutable machine répressive.

La découverte en 1992 au Paraguay de cinq tonnes d’archives contenant notamment environ 10 000 photos de détenus et près de 2 000 documents d’identité a permis d’accréditer l’existence formelle de ce plan, les documents découverts provenant de tous les pays participants. Le terme «Plan Condor» n’apparaît, lui, que dans certaines archives de la CIA récemment déclassifiées qui détaillent le fonctionnement de cette opération, en décrivant le Chili, l’Argentine et l’Uruguay comme les membres les plus «enthousiastes». Et il est notamment précisé dans l’un de ces documents que ces «trois pays ont participé à des activités conjointes, essentiellement en Argentine, contre des objectifs terroristes», une «troisième phase» de cette opération prévoyant «la formation d’équipes spéciales dans les pays respectifs pour réaliser des opérations incluant assassinats de terroristes et de personnes soutenant leurs organisations».

Avant même que ne se tienne la réunion de Santiago en 1975, la Dina avait démontré qu’elle pouvait faire preuve d’une redoutable efficacité hors des frontières du Chili. Le 30 septembre 1974, la voiture du général chilien, ancien commandant en chef des forces armées chiliennes, explosait dans un quartier luxueux de Buenos Aires. Prats, qui avait refusé de trahir Salvador Allende, était un ennemi du régime militaire. En novembre 2000, la justice argentine a condamné à la prison à perpétuité le Chilien Enrique Arrancibia Clavel, ex-agent de la Dina, et a impliqué sept autres personnes dans cet attentat parmi lesquelles se trouvent Augusto Pinochet et Manuel Contreras, demandant par la suite en vain leur extradition. Tous les deux font désormais partie de la très longue liste d’anciens militaires poursuivis dans le cadre des enquêtes menées dans différents pays sur le Plan Condor. Un travail judiciaire de longue haleine qui devrait permettre de mieux comprendre le fonctionnement de cette sinistre association.



par Olivier  Bras

Article publié le 26/09/2004 Dernière mise à jour le 26/09/2004 à 12:21 TU