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Chili

Pinochet à nouveau inculpé

Le juge Guzman et Pinochet. 

		(Photo : AFP)
Le juge Guzman et Pinochet.
(Photo : AFP)
L’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet a été à nouveau inculpé lundi 13 décembre par le juge Juan Guzman qui le poursuit cette fois dans l’affaire du Plan Condor. Le magistrat estime que l’ancien dictateur, âgé de 89 ans, peut être soumis à des poursuites judiciaires. Voilà deux ans, les tribunaux ne l’avaient pas suivi et avaient cassé l’ordre d’inculpation qu’il prononcé dans une autre affaire. Les avocats de Pinochet ont annoncé leur intention de déposer un recours et une nouvelle bataille judiciaire va donc s’engager.

Des pleurs, des cris, des embrassades… Le palais des tribunaux de Santiago a connu hier (lundi 13 décembre) des scènes d’explosion de joie provoquées par la décision du juge chilien Juan Guzman d’inculper l’ancien dictateur chilien dans le cadre de son enquête sur le Plan Condor, une opération de répression menée au cours des années 70 et 80 par différentes dictatures sud-américaines. Entouré d’une forêt de micros et de caméras, le magistrat chilien s’est lui-même chargé d’annoncer le contenu de sa dernière résolution en date en expliquant qu’il avait ordonné l’inculpation et l’assignation à résidence d’Augusto Pinochet pour les délits de « séquestres permanents » de neuf opposants politiques dont les corps n’ont jamais apparu, et le délit d’ « homicide » pour un dixième cas, celui de Ruiter Arce, un militant communiste enlevé le 27 mai 1977 et retrouvé assassiné quelques jours plus tard à Santiago. Neuf hommes et une femme se trouvent parmi les victimes, l’un des disparus étant Alexis Jaccard, un citoyen chilien qui possédait également la nationalité suisse.

La majeure partie de la décision du juge Guzman en date du 13 décembre 2004 est consacrée à l’état des facultés mentales d’Augusto Pinochet, âgé de 89 ans depuis le 25 novembre dernier. Il reprend ainsi les principales conclusions des trois experts médicaux chargés d’examiner nouvellement l’ancien dictateur chilien chez qui une « démence modérée » avait été diagnostiquée en 2001 lors d’une première série de tests. L’un des spécialistes avait été choisi par la défense de l’ancien dictateur, le deuxième par les parties plaignantes et le troisième par le magistrat. Les conclusions de ces trois experts sont contenues dans la décision du juge, ainsi que le résultat du débat contradictoire organisé entre eux afin de permettre au magistrat chilien de se faire une opinion précise sur l’état de santé de l’ancien dictateur. « (…)Le juge considère que le général Augusto Pinochet Ugarte est apte mentalement pour affronter un jugement criminel au Chili », conclut Juan Guzman avant de passer aux arguments juridiques qui fondent son ordre d’inculpation.

Cette opinion n’est bien sûr pas partagée par la défense de Pinochet qui a immédiatement annoncé son intention de déposer un recours. « Ceci n’est qu’un épisode supplémentaire, un nouveau chapitre de la persécution politique la plus implacable qui a existé dans ce pays contre une personne (…) », a expliqué l’avocat Pablo Rodriguez. «Pour que l’opinion publique comprenne ce que je suis en train de dire, je veux souligner le fait que la Cour suprême a classé définitivement le dossier du général Pinochet parce qu’il ne peut pas faire l’objet d’une procédure pénale en raison d’une démence subcorticale légère », a ajouté Pablo Rodriguez en faisant allusion à la décision de l’instance judiciaire la plus haute du pays de classer en 2002 le dossier de la « Caravane de la mort » dans lequel Augusto Pinochet avait été inculpé par le même juge Guzman. Car selon le code de procédure pénale du Chili, un accusé âgé de plus de 70 ans doit être soumis à des examens mentaux pour détecter une éventuelle « démence » ou « folie ».

Des comptes bancaires bien fournis

L’état de santé d’Augusto Pinochet risque donc bien de donner lieu à une nouvelle bataille judiciaire que devra trancher en dernière instance la Cour Suprême. L’ancien dictateur avait commis l’erreur, près une longue période de mutisme, d’accorder en novembre 2003 une interview à une chaîne de télévision des Etats-Unis dans laquelle il s’était montré particulièrement alerte. Et il avait surtout démontré qu’il était capable de se souvenir de faits ou d’anecdotes remontant à trente ou quarante années. Le juge Guzman avait d’ailleurs pu se faire directement une idée en l’interrogant le 25 septembre 2004. « Je l’ai trouvé plus fatigué et plus amoindri physiquement qu’il y a trois ans », avait-il ensuite déclaré au quotidien Libération. « J’avais une longue liste de questions à lui poser et, finalement, j’ai dû les condenser, mais j’ai tout de même pu lui poser les questions essentielles », avait ajouté Juan Guzman, en précisant que Pinochet avait alors « rejeté toutes les questions liées aux atteintes aux droits de l’Homme ».

En plus de cette lourde affaire, l’octogénaire chilien doit faire face à d’autres poursuites. Privé de l’immunité que lui confère son statut d’ancien président en en août 2003 dans l’affaire du Plan Condor, Augusto Pinochet a perdu une nouvelle fois cette protection le 2 décembre dans le cadre d’un autre dossier, celui de l’assassinat voilà 30 ans à Buenos Aires du général chilien Carlos Prats. Soucieux de préserver l’unité des forces armées chiliennes au moment où le pays connaissait une crise politique très forte, le général Prats avait décidé de quitter ses fonctions de commandant en chef le 23 août 1973 et avait recommandé au président Salvador Allende de nommer à sa place Augusto Pinochet, un militaire jugé loyal. Après le Coup d’Etat, Carlos Prats avait été contraint de s’exiler en Argentine, mourant le 30 septembre 1974 dans un attentat à l’explosif qui a également coûté la vie à son épouse Sofia Cuthbert. Et la Cour suprême va devoir à son tour se prononcer  sur la levée d’immunité de Pinochet dans cette affaire.

Enfin, Augusto Pinochet est attaqué sur un troisième flan, qui n’est cette fois pas lié à des affaires de violations des droits de l’Homme. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes ces derniers mois aux États-Unis et au Chili après la découverte de comptes bancaires sur lesquels l’ancien dictateur aurait accumulé plusieurs millions de dollars. Plusieurs magistrats enquêtent sur ces mouvements financiers qui contribuent à ternir encore un peu plus l’image de cet homme dans son pays.

Pendant de longues années, l’argument ultime de ses partisans a été la probité de ce militaire dévoué à sa patrie. Pinochet aimait lui aussi insister sur le fait qu’il n’avait pas tiré profit financièrement de ses 17 ans passés au pouvoir, et ce malgré un impressionnant patrimoine immobilier. Or, l’histoire judiciaire de cet homme risque finalement de prendre bien plus de place dans les archives des tribunaux que celle qu’occupe à la Bibliothèque nationale une volumineuse production littéraire au fil de laquelle Augusto Pinochet a tenté de se forger l’image du « libérateur » du Chili. 

par Olivier  Bras

Article publié le 14/12/2004 Dernière mise à jour le 14/12/2004 à 07:40 TU