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Chili

L’amnistie vole en éclats

Images de personnes disparues (Santiago du Chili, le 5 novembre 2004).  

		(Photo: AFP)
Images de personnes disparues (Santiago du Chili, le 5 novembre 2004).
(Photo: AFP)
Pour la première fois, la Cour suprême du Chili a décidé de ne pas appliquer la décision décrétée par le régime militaire dans le dossier Miguel Angel Sandoval, un militant d’extrême gauche enlevé en 1975 et porté disparu depuis. Cette volonté marque un tournant car les auteurs des crimes commis pendant la période couverte par la loi d’amnistie (1973-1978) n’avaient jamais pu, jusqu’à présent, être condamnés.

Attendue depuis plusieurs mois, la décision de la Cour suprême, adoptée mercredi à l’unanimité par les cinq membres de la chambre pénale de la plus haute institution judiciaire du Chili a une valeur inestimable pour tous ceux qui attendent depuis plus de trente ans de voir condamnés les auteurs des crimes commis pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Car, après la Cour d’appel au mois de janvier, la Cour suprême a, à son tour, estimé que l’amnistie n’était pas applicable dans le dossier de Miguel Angel Sandoval, un militant d’extrême gauche enlevé en 1975 et porté disparu depuis, et a ainsi confirmé les condamnations contre les auteurs de ce crime.

Cinq militaires en retraite doivent ainsi purger pour ce crime des peines de prisons allant de 5 à 12 ans, le général en retraite Manuel Contreras, qui dirigeait la police politique du régime militaire chilien au moment des faits, écopant la plus lourde peine. Déjà condamné pour l’assassinat du ministre chilien des Affaires étrangères Orlando Letelier, tué en 1976 dans un attentat à Washington, il avait purgé une peine de sept années de prison pour ce crime non couvert par la loi d’amnistie et avait retrouvé sa liberté en 2001. Il devrait donc bientôt être à nouveau détenu dans une prison militaire et pourrait même faire l’objet rapidement de nouvelles condamnations, son nom revenant dans les nombreuses enquêtes menées par différents juges chiliens sur des affaires de violations des droits de l’homme.

La décision de la Cour suprême devrait en effet faire jurisprudence et entraîner la condamnation de nombreux militaires poursuivis par la justice dans des dossiers de disparitions. Pour contourner l’application systématique de la loi d’amnistie, qui couvre les délits d’homicide, d’exécution et de torture commis entre le 11 septembre 1973 et le 11 mars 1978, des juristes ont peu à peu développé au cours des années 90 la thèse du «séquestre permanent», en affirmant que le délit de disparition se poursuit tant que le corps de la victime n’a pas été retrouvé et qu’il échappe ainsi aux délais fixés par la loi d’amnistie. Une figure juridique qui a pris beaucoup de poids ces dernières années et sur laquelle s’est notamment appuyé le juge Juan Guzman pour poursuivre l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet et obtenir sa mise en examen en 2002.

Un contexte politique et juridique différent

Le jugement de la Cour suprême a «ratifié le fait que le séquestre est permanent, qu’il ne peut pas être amnistié ni prescrit et cela permet que de nouvelles affaires puissent être jugées et entraîner des condamnations», a expliqué la secrétaire générale de l’association des familles de détenus disparus, Viviana Diaz, dont le père a été enlevé en 1976. A ce jour, près de 1 200 personnes sont toujours portées disparues et les recherches de restes se poursuivent actuellement. Mais il ne fait pas de doute que de nombreux corps ne pourront jamais été retrouvés, plusieurs accusés ayant avoué avoir fait disparaître les corps dans les eaux chiliennes ou bien avoir fait explosé leurs ossements pour ne laisser aucunes traces.

Doutant de la validité juridique de la décision de la Cour suprême, Juan Carlos Manns, avocat de Manuel Contreras, a estimé qu’elle entraînait un traitement inégal devant la loi vis-à-vis d’autres militaires qui ont bénéficié de l’amnistie lors de procès antérieurs. Ses critiques traduisent l’inquiétude grandissante de tous ceux qui ont participé à la politique de répression du régime militaire et qui ne se sentent désormais plus du tout protégés par la législation imaginée par le régime militaire et inchangée depuis le retour de la démocratie. Car le contexte politique et juridique a complètement changé au cours des dernières années, l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en 1998 ayant brisé le tabou de l’impunité.

L’avalanche de procédures et la multiplication de confessions d’anciens militaires a également contraint les forces armées chiliennes à changer d’attitude. Elles n’avaient jamais accepté de reconnaître officiellement les crimes commis pendant le régime militaire par ses membres, se contentant d’avouer certains excès ou actes isolés. Or, dans un document rendu public le 5 novembre, le chef de l'armée de terre, le général Juan Emilio Cheyre, a assumé la responsabilité institutionnelle des crimes commis sous la dictature militaire de Pinochet en estimant qu'il s'agissait de «faits punissables et moralement inacceptables». Une déclaration en forme de mea culpa qui a précédé la publication d’un rapport très dur sur les tortures commises pendant les 17 années de dictature.

Trente-et-un ans après le coup d’Etat, il n’est donc plus possible pour personne de nier les atrocités commises pendant le régime d’Augusto Pinochet. Ce dernier, qui célèbrera ses 89 ans la semaine prochaine, attend toujours d’être fixé sur son sort, la justice devant décider si son état de santé permet ou non de relancer les poursuites à son encontre.



par Olivier  Bras

Article publié le 18/11/2004 Dernière mise à jour le 18/11/2004 à 13:54 TU