Royaume-Uni
Blair malmené sur sa loi antiterroriste
(Photo : AFP)
Depuis que les Law Lords, la plus haute instance judiciaire britannique, ont jugé en décembre dernier illégales et contraires à la Convention européenne des droits de l’Homme certaines dispositions de la loi antiterroriste actuellement en cours en Grande-Bretagne, rien ne va plus pour le gouvernement de Tony Blair. Obligé de revoir en profondeur sa copie, il est en butte depuis le début de la semaine à une opposition féroce menée par les conservateurs, les démocrates-libéraux mais aussi par certains travaillistes qui jugent le nouveau projet de loi présenté au parlement tout aussi liberticide que la législation qui le précède et qui permettait la détention indéfinie de suspects étrangers, sur simple décision ministérielle et sans inculpation. Pressé par le temps –la loi existante expire le 14 mars– le ministre de l’Intérieur Charles Clarke a depuis lundi entamé une humiliante marche arrière pour tenter de sauver son nouveau texte mis en pièce par les parlementaires qui n’ont visiblement pas l’intention de céder un pouce de terrain.
Pourtant le recul du gouvernement par rapport à son projet initial est loin d’être négligeable. Dans sa première version en effet, ce texte, qui propose des mesures de substitution à la prison, laissait au seul politique le pouvoir de décision. Ces mesures vont de l’interdiction de téléphoner ou d’utiliser l’internet, d’avoir des contacts avec certaines personnes, à l’obligation de porter un bracelet électronique ou encore de ne pas quitter son domicile. Face au tollé des parlementaires qui réclament que toutes ces décisions soient au préalable soumises à l’accord d’un juge, le ministre de l’Intérieur a dans un premier temps accepté que seule la sanction la plus grave, à savoir l’arrêt domiciliaire, passe par l’approbation d’un magistrat, avant de céder aux exigences de l’opposition. L’autre concession majeure de Charles Clarke aura été d’accepter que le projet de loi, une fois adopté par les deux chambres du parlement, puisse être revu chaque année. Cette modification entendait répondre à un amendement voté mardi par les Lords, la «sunset clause» qui limite à huit mois la durée de vie du projet de loi antiterroriste en cours de discussion. Coup dur pour le gouvernement, 24 travaillistes ont appuyé cette demande, parmi lesquels Lord Irvine, ancien Attorney général au sein du gouvernement Blair et mentor juridique du Premier ministre.
«Un problème constitutionnel majeur»Mais si Charles Clarke a accepté de faire des concessions sur ces deux questions, il a en revanche catégoriquement refusé d’aller plus et d’accéder à la demande de l’opposition qui exige que les restrictions à la liberté de mouvement d’un suspect de terrorisme soient basées sur des preuves et non sur de simples soupçons. «C’est un risque que je refuse de prendre», a-t-il insisté, défendant l’idée que «le pays a besoin d’une loi pour prévenir le terrorisme et protéger le peuple». Le ministre tient en effet à garder les mains libres pour les cas où il existerait une forte suspicion de complot terroriste mais dans lesquels une inculpation est impossible parce que la charge de preuve réside dans des éléments ne pouvant être utilisés devant un tribunal.
Alors que l’actuelle loi antiterroriste expire dimanche à minuit, les discussions étaient toujours dans l’impasse vendredi. Après dix-huit heures de débats houleux, le gouvernement et les Lords étaient en effet toujours campés sur leurs positions, apparemment irréconciliables. Visiblement excédé, le ministre de l’Intérieur a vivement critiqué l’attitude de l’opposition. «Il est temps pour les conservateurs et les démocrates-libéraux de respecter les vues de la chambre élue», a-t-il lancé, estimant que la résistance des Lords posait «un problème constitutionnel majeur». La chambre haute du parlement, où les travaillistes ne sont pas majoritaires, est en effet composée de membres «non élus» par opposition à la chambre des Communes.
C’est dans ce contexte de tensions politiques –qui ne sont sans doute pas étrangères à l’approche des législatives de mai– que la justice britannique a ordonné la libération de huit détenus étrangers soupçonnés de terrorisme et dont certains étaient incarcérés depuis plus de trois ans. Elle a toutefois assorti leur libération de strictes conditions comme celles de rester chez eux de 19h00 à 07h00, de vivre à leur adresse connue et de porter un bracelet électronique permettant de les localiser. Ces ex-détenus, parmi lesquels le Palestinien Abou Qatada –présenté comme l'«ambassadeur» d'Oussama Ben Laden en Europe– n'auront pas non plus le droit à un téléphone portable ou à l'internet. Leur libération intervient au moment où expire la dérogation à la Convention européenne des droits de l'Homme qui permettait au gouvernement de Tony Blair, en vertu de sa loi antiterroriste, leur détention sans inculpation et sans procès.
par Mounia Daoudi
Article publié le 11/03/2005 Dernière mise à jour le 11/03/2005 à 18:15 TU