Tchétchénie
La mystérieuse élimination de Maskhadov
(Photo : AFP)
La violence de l’explosion a été telle qu’une habitation voisine a été endommagée, tandis que les vitres d’une école ont été brisées et son toit endommagé. Lundi, les forces russes ont procédé à la destruction de la maison dans laquelle avait été filmé une semaine auparavant le cadavre du président indépendantiste tchétchène Aslan Maskhadov. Selon la version donnée par Moscou, Aslan Maskhadov a été tué au cours d’une opération spéciale des forces de sécurité qui cherchaient intensément depuis plusieurs années le dirigeant tchétchène, un homme qui avait été élu président en 1997 lors d’un scrutin reconnu par Moscou et qui avait été contraint, deux ans plus tard, de quitter le pouvoir. Il aurait été trahi par l’un de ses proches qui aurait indiqué aux Russes le lieu de sa cache, une maison située dans le village de Tolstoï-Iourt.
Le Kremlin a annoncé mardi avoir versé les dix millions de dollars promis pour toute information permettant l’élimination de cet homme. Il avait offert cette somme en septembre dernier, juste après la sanglante prise d’otage réalisée dans une école à Beslan, une ville d’Ossétie du Nord. Maskhadov, qui avait pourtant condamné cette action menée par des rebelles tchétchènes, était depuis très activement recherché. «Des citoyens se sont adressés au FSB (service fédéral de sécurité) et ont donné les renseignements nécessaires», a indiqué le service de presse du FSB. «Cela a permis de déterminer le lieu exact où se trouvait le terroriste international et leader des rebelles tchétchènes Aslan Maskhadov afin d’effectuer une opération spéciale». Et c’est au cours de celle-ci que, selon Moscou, le président tchétchène aurait été accidentellement tué par l’un de ses gardes du corps, tandis que les soldats russes investissaient le bunker creusé sous la maison dans laquelle il se cachait.
Une semaine plus tard, ce scénario est remis en cause par différents médias russes, et notamment le quotidien Moskovski Komsomolets dont l’un des correspondants s’est rendu dans le village de Tolstoï-Iourt. Dans un article publié ce mardi, il donne une description du sous-sol de la maison dans laquelle a été filmé le cadavre de Maskhadov qui diffère fortement de celle avancée par les services de sécurité. Car il ne s’agirait en rien d’un bunker aménagé mais d’un simple sous-sol dépourvu de tout système de ventilation dans lequel Aslan Maskhadov n’aurait pas pu tenir plus de dix minutes. Une cache qui, à la différence de lieux précédemment occupés par Aslan Maskhadov, ne possédait pas de sortie de secours. Et pour ce quotidien, il ne fait pas de doute que ce scénario a été inventé par les autorités russes. «Maskhadov a été interrogé avant d’être tué par balles, puis son corps a été amené dans le village de Tolstoï-Iourt où une opération spéciale a été simulée», affirme ce journal.
Un nouveau chef tchétchèneAprès la destruction de la maison dans laquelle a été retrouvé le cadavre de Maskhadov, l’examen de son corps pourrait permettre d’obtenir plus d’informations sur la manière dont il a été tué. Mais il est très peu probable que sa dépouille puisse un jour faire l’objet d’une autopsie digne de son nom, les proches du défunt président ne sachant absolument pas où se trouve sa dépouille. Une loi adoptée en 2002 stipule en effet que les corps des terroristes doivent être enterrés anonymement. Et sa famille n’a pu, à ce jour, voir que les images de télévision montrant Aslan Maskhadov baignant dans une flaque de sang, le torse nu. Soutenue par différentes ONG, elle a demandé aux autorités russes d’accepter de lui rendre son cadavre, qui aurait été transféré vers la capitale pour être identifié scientifiquement. Mais Moscou est opposé une telle restitution qui pourrait mettre à mal la version officielle des faits.
Pour le Kremlin, la mort de Maskhadov est le résultat de l’intense lutte menée contre le terrorisme et est interprétée comme un signe encourageant. Le gouvernement russe espère d’ailleurs bientôt pouvoir se réjouir de l’élimination d’un autre dirigeant tchétchène activement recherché et dont la tête est aussi mise à prix dix millions de dollars, le chef de guerre Chamil Bassaïev. Car il pense pouvoir anéantir la résistance tchétchène en la privant de ses chefs, et pouvoir ensuite poursuivre sa politique de «normalisation» dans cette région. Dénonçant l’attitude de Moscou, plusieurs dirigeants tchétchènes ont réagi en affirmant que la guérilla ne baisserait jamais les bras. «Le mouvement de résistance atteindra ses buts», a ainsi déclaré depuis l’Azerbaïdjan Anzor Maskhadov, fils du défunt président.
La preuve de cette détermination est la rapide nomination d’un successeur. Abdoul-Khalim Saïdoullaïev, un mystérieux chef religieux, a été désigné pour diriger la rébellion tchétchène. Ni son âge, ni sa nationalité, ne sont connues. Il s’agirait, selon Anzor Maskhadov, d’un homme qui se battait depuis six ans au côtés de son père. L’émissaire tchétchène Akhmed Zakaïev, qui vit en exil à Londres, a confirmé qu’il se trouvait à la tête de «l’infrastructure militaro-politique» jusqu’à la tenue de nouvelles élections. Un homme qui, selon plusieurs observateurs, prendrait directement ses ordres de l’extrémiste Chamil Bassaïev, l'instigateur de la prise d'otage de l'école de Beslan.
par Olivier Bras
Article publié le 15/03/2005 Dernière mise à jour le 15/03/2005 à 16:54 TU