Russie
Pas de trêve pour les Tchétchènes
(Photo : AFP)
Les multiples pressions de Moscou n’y ont rien fait. La chaîne de télévision britannique Channel 4 a diffusé comme prévu jeudi une interview de Chamil Bassaïev, l’homme le plus recherché de Russie pour avoir organisé certaines des plus meurtrières attaques perpétrées par les indépendantistes tchétchènes. Selon le quotidien Times, cette interview a été tournée voilà environ un mois dans un endroit inconnu par un proche de Bassaïev et a ensuite été transmise à un journaliste au Proche-Orient. Par le biais de son ambassade à Londres, la Russie avait demandé aux autorités britanniques «d’exiger la non-diffusion» de cet enregistrement, en insistant sur «les conséquences négatives que peut entraîner la propagande des positions des terroristes». La question tchétchène a déjà suscité des différents entre Londres et Moscou par le passé, notamment lorsqu’un tribunal britannique avait accordé l’asile politique au dirigeant rebelle Ahmed Zakaïev en 2003. Jugeant que la décision appartenait à la chaîne, le Foreign Office s’est contenté de rappeler qu’il condamnait les opérations menées par M. Bassaïev.
Vêtu d’un tee-shirt portant l’inscription « contre la terreur », Chamil Bassaïev s’exprime en russe dans l’interview. Il parle notamment de la sanglante prise d’otages de Beslan, dont il est considéré responsable. «Honnêtement, je suis choqué par ce qui s’est passé là-bas», explique M.Bassaïev. Selon lui, le plan original était de prendre des otages dans une ou deux écoles simultanément à Moscou ou à Saint-Pétersbourg. Mais le choix se serait porté sur la région de l’Ossétie du Nord, située dans le Caucase, par manque de fonds. Les négociations entre les preneurs d’otages de l’école de Beslan et les autorités russes étaient dans leur troisième jour lorsque les forces russes ont choisi de donner l’assaut. Le bilan avait été extrêmement lourd, de nombreux enfants se trouvant parmi les 331 civils tués. «Je ne m’attendais pas à tant de cruauté», explique Chamil Bassaïev dans son interview, en expliquant que la situation pourrait le «contraindre» à monter des opérations de ce type. «Nous les préparons et nous les mènerons, ne serait-ce que pour montrer le vrai visage du régime russe», assène Chamil Bassaïev.
Ces menaces télévisées ont généré une vive réaction du gouvernement russe qui craint la multiplication des prises d’otages sur son territoire. Il avait d’ailleurs annoncé à la mi-janvier avoir mis hors d’état de nuire un groupe de rebelles qui préparaient une action similaire à Beslan au Daguestan. Pour le Kremlin, Bassaïev, dont le nom figure sur la liste des organisations terroristes dressée par les Nations unies, est lié à la nébuleuse islamiste Al-Qaïda. Et il juge du coup inacceptable le fait qu’une tribune puisse lui être offerte à l’étranger. «Nous sommes convaincus que de tels actes irresponsables (…) vont a l’encontre des efforts de la communauté mondiale luttant contre le terrorisme», a estimé le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué.
Dix années de guerre
Ce discours ferme des autorités russes s’accompagne d’une politique intransigeante de leurs représentants sur le terrain. L’offre de cessez-le-feu du président indépendantiste Aslan Maskhadov a ainsi été qualifiée de «bluff et de provocation» par Taous Djabraïlov, président du Conseil d’Etat tchétchène, une institution pro-russe. Une opinion partage par le président tchétchène Alou Alkanov, soutenu par le Kremlin, qui ne voit dans cette proposition qu’une tentative désespérée des rebelles de faire parler d’eux. «Le gouvernement tchétchène est ouvert à tous les efforts visant à établir la paix», a déclaré M. Alkanov. «Mais en ce qui concerne Maskhadov et Bassaïev, ils n’ont jamais respecté les engagements qu’ils avaient pris».
Elu à la présidence de la Tchétchénie en 1997, lorsqu’elle jouissait d’une souveraineté de fait, Maskhadov est passé dans la clandestinité après le retour des forces russes en 1999, Moscou offrant d’importantes sommes d’argent pour sa capture. Il a déjà proposé aux forces russes plusieurs cessez-le-feu pour mettre un terme à la guerre qui, depuis 1994, a fait au moins 20 000 morts dans les rangs de l’armée russe et tué des dizaines de milliers de civils. La dernière offre en date a été diffusée cette semaine sur un site internet par le biais d’un communiqué signé par Oumar Khanbiyev, un proche de Maskhadov. «C’est un signe de bonne volonté et une invitation faite aux Russes de mettre un terme à cette guerre autour de la table des négociations», précise le texte de ce communiqué, en fixant une durée de trois semaines à ce cessez-le-feu commencé le 2 février.
Selon un responsable tchétchène pro-russe, ses premiers effets se feraient déjà sentir avec une nette diminution des attaques rebelles contre les positions des forces fédérales. Mais la capitale tchétchène continue cependant d’être le théâtre quotidien d’actes de violence. Aux pertes des combats s’ajoutent les enlèvements de civils qui se sont multipliés ces derniers mois. La sœur aînée d’Aslan Maskhadov a ainsi été enlevée voilà deux mois à Grozny, ses proches accusant les membres de la milice du vice-Premier ministre tchétchène, Ramzan Kadyrov, d’être les auteurs de ce rapt. L’objectif serait de contraindre le leader tchétchène à se rendre. Mais les autorités pro-russes réfutent cette thèse et affirment au contraire tout faire pour la retrouver. Et dans le but de prouver leur bonne foi, elles ont demandé au parquet militaire d’ouvrir ouvert trois enquêtes judiciaires pour tenter de retrouver la sœur de Maskhadov et deux de ses frères également portés disparus.
par Olivier Bras
Article publié le 04/02/2005 Dernière mise à jour le 04/02/2005 à 17:07 TU