Tchétchénie
Après la mort de Kadyrov
(Photo AFP)
Akhmad Kadyrov était un élément clé de la politique de Vladimir Poutine en Tchétchénie: il en était l’instrument depuis que le président russe l’avait nommé il y a quatre ans administrateur avant d’en faire la président de la République tchétchène, en lieu et place d’Aslan Maskhadov, le président indépendantiste dont Moscou ne reconnaissait plus la légitimité.
L’idée centrale de cette politique s’organisait sur ce qu’on appellela « tchétchénisation », à savoir confier le pouvoir à des Tchétchènes si tant est qu’il reconnaissent l’autorité centrale de la Russie: la nouvelle constitution adoptée en mars 2003 était le cadre de cette politique qui allait ouvrir la voie à l’élection d’Akhmad Kadyrov.
Mais aussi bien, le référendum que le scrutin présidentiel d’octobre dernier n’ont été ni libres, ni démocratiques. Et le Kremlin avait pris soin d’éliminer tous les adversaires d’Akhmad Kadyrov en les faisant invalider par la Commission électorale car les sondages démontraient que Kadyrov n’avait aucune chance de l’emporter: selon les sondages, il était très largement distancé par tous les autres candidats ce qui montre son degré d’impopularité: d’une part, parmi les séparatistes qui le percevaient comme un traître depuis qu’Akmad Kadyrov, ancien chef de guerre état passé du côté de Moscou mais aussi par la population tchétchène. Akhmad Kadyrov n’était pas aimé, il était craint tout autant que ses miliciens, dirigés par son fils Ramzan, accusés de semer la terreur en Tchétchénie…
Pour le moment, on ne voit personne qui soit en mesure de succéder à Kadyrov: autrement dit quelqu’un qui serait disposé à poursuivre la même politique et s’exposerait du coup à la même sanction que celle subie hier par Akhmad Kadyrov. Vladimir Poutine a nommé dimanche le Premier ministre tchétchène Sergueï Abramov président par intérim, mais ce ne sera qu’un intérim.
L’une des solutions préconisées dimanche par certains responsables politiques serait d’instaurer une administration présidentielle directe. Mais ce serait pour le Kremlin avouer son échec: reconnaître que cette politique de « tchétchénisation » ne fonctionne pas et qu’il y a bien une guerre qui mérite donc des dispositions institutionnelles exceptionnelles. Ce sera peut-être malgré tout la solution provisoire adoptée par Moscou, le temps de trouver un remplaçant à Kadyrov ce qui semble aujourd’hui mission impossible.
Vladimir Poutine déstabiliséC’est à coup sur le plus gros revers pour le président russe dans sa politique en Tchétchénie: l’attentat de Grozny le touche très directement 48 heures seulement après son intronisation officielle pour un second mandat qui le ramène quatre ans en arrière, au moment où il promettait d’en finir rapidement avec la guerre et les séparatistes tchétchènes.
Sur le plan intérieur, il ne risque rien: il dispose en effet d’une majorité écrasante au Parlement qui lui restera très fidèle. L’opinion reste majoritairement favorable à des négociations avec la rébellion mais elle ne tient pas rigueur à Vladimir Poutine de son échec: il y a une forme de fatalisme et comme l’explique le sociologue indépendant Youri Levada, «les Russes se sont habitués à vivre avec cette guerre de Tchétchénie comme on vit avec le mauvais temps: on ne peut rien y faire, simplement le subir».
A l’étranger bien sûr, on condamne cet attentat mais on souligne la nécessité de trouver une solution politique: la France, la Grande-Bretagne, ou l’Allemagne qui sont les Trois principaux alliés européens de Vladimir Poutine ont fait mine de considérer que la constitution et l’élection de Kadyrov pouvaient représenter une solution politique durable. Les événements d’hier sont un cinglant démenti et les occidentaux vont éprouver quelque difficulté à « endosser » comme ils font la politique tchétchène de la Russie.
par Jean-Frédéric Saumont
Article publié le 10/05/2004 Dernière mise à jour le 11/05/2004 à 09:31 TU