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Russie

Poutine s’installe dans la présidence

La Russie élit son président dimanche. Vladimir Poutine est le favori des sondages, avec une estimation de 80% des intentions de vote. Six autres candidats se présentent, mais aucun ne réussirait à recueillir plus de 5% des suffrages, signe que l’expression «maître du Kremlin» n’est pas un vain mot en Russie. En dépit d’un mode de gestion autoritaire, d’une perte d’influence internationale, d’une guerre civile menée avec brutalité dans le Caucase et de réformes économiques inachevées, Vladimir Poutine a manifestement réussi à convaincre les Russes qu’ils devaient lui renouveler leur confiance. Il a disposé pour cela d’un appareil d’Etat soumis et d’une presse asservie. Bilan.
Vladimir Poutine réclame un nouveau mandat de quatre ans pour parachever le train de réforme qu’il a entrepris de mener à bien et dont les résultats restent à confirmer. Au cours de sa présidence il a réussi à écarter, brutalement parfois, les oligarques, ces nouveaux riches propriétaires de l’économie russe, du champ politique. Matée, la presse télévisée est aux ordres et, de notoriété publique, elle a fait campagne pour président sortant. Les contre-pouvoirs issus de la «société civile» sont embryonnaires, les partis politique balbutiants. Quant aux députés, depuis les élections de décembre ils sont aux deux-tiers ralliés au parti présidentiel Russie Unie. Sous la conduite de Vladimir Poutine le Kremlin exerce à nouveau aujourd’hui un pouvoir sans partage sur le destin de la Russie.

Mais c’est surtout sur le plan économique –notamment le combat contre la pauvreté qui préoccupe particulièrement les Russes– que le président, assuré d’être reconduit, est attendu. La Russie fait partie de ces quelques rares pays que leur sous-sol préservera, sinon toujours, du moins longtemps encore de la faillite totale, malgré une dette extérieure colossale, évaluée à quelque 119 milliards de dollars. C’est en effet davantage grâce à ses métaux, son gaz et son pétrole, dont les cours se sont maintenus à un bon niveau, qu’au dynamisme de ses entreprises que la Russie a réussi à préserver au cours de ces dernières années un taux de croissance élevé (plus de 7% en 2003) et que le pays a contenu une pauvreté galopante depuis la dissolution de l’Union soviétique en décembre 1991. La Russie est en effet un pays où la fin du dirigisme et la privatisation de l’économie conduite à marche forcée ont abouti à l’effondrement de l’espérance de vie de dix ans au cours de la dernière décennie qui a suivi l’effondrement de l’ancien régime. Cependant ce secteur énergétique, principal moteur de la croissance, n’occupe guère plus qu’un pour cent de la population active. Et les petites et moyennes entreprises ne représentent que 10 à 15% du PIB. Ce qui fait dire à l’ancien ministre de l’Economie Evgueni Iassine : «En Russie, nous avons la croissance mais pas le développement».

Pourtant, en dépit d’une corruption toujours prospère, le bilan n’est pas non plus totalement négatif, notamment en comparaison de la situation chaotique léguée par l’administration précédente de Boris Ieltsine. Outre l’insolente croissance qui caractérise l’économie russe, la loi progresse et, par voie de conséquence, les étrangers commencent à trouver le pays attractif, comme en témoigne la progression de l’investissement. La fiscalité est allégée, les salaires sont payés, ainsi que les retraites.

La guerre en Tchétchénie est certainement la page la plus sombre écrite par le président sortant au cours de son mandat. Elle s’inscrit pourtant dans une problématique patriotique et antiterroriste dont M. Poutine tire avantage tant sur la scène nationale qu’internationale. En Russie, il peut se prévaloir de défendre les intérêts supérieurs de son pays en préservant son intégrité territoriale, malgré l’incapacité manifeste des soldats de Moscou à vaincre la rébellion et l’impossibilité pour le Kremlin d’apporter une solution politique à la crise. Celle-ci a largement débordé le cadre territorial de la république et de sanglants attentats, jusqu’au cœur même de Moscou, ont régulièrement rappelé à l’opinion russe et internationale l’enlisement dans lequel la politique de Vladimir Poutine avait conduit le pays.

«Farce électorale»

Cette conséquence du bourbier caucasien permet au Kremlin de justifier la brutalité dans la répression des indépendantistes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, au nom de la lutte contre le terrorisme. La légitimité incontestée de ce combat, notamment depuis le 11 septembre 2001, contraint les adversaires les plus acharnés de la politique menée par l’administration russe à modérer leurs critiques. Bien que très réservés sur la méthode, de nombreux gouvernements tentent désespérément d’éviter le sujet lors des traditionnels sommets et rencontres avec leurs homologues russes, en raison des questions que les journalistes ne manqueront pas de leur poser sur les relations paradoxales que les pays respectueux des droits de l’homme entretiennent avec une Russie qui ne s’embarrasse d’aucun scrupule et affiche ouvertement son mépris à l’égard de ses contradicteurs. Interrogé par la presse sur sa politique caucasienne lors d’un voyage à l’étranger, Vladimir Poutine a juré d’aller «buter les terroristes jusque dans les chiottes».

Sur le plan diplomatique, malgré la crainte et le respect que continue d’inspirer une Russie héritière d’un empire surarmé, Vladimir Poutine n’a pas pu enrayer la perte d’influence de Moscou sur la scène internationale et régionale. Ses satellites, regroupés au sein d’une Communauté des Etats indépendants (CEI) sans avenir, n’ont pas résisté à l’attrait d’autres ensembles tels que l’Union européenne et l’Otan. Les traités conclus avec les Etats-Unis, du temps de son hyper puissance, ont perdu toute validité face à son incapacité à relever les défis technologiques. Désormais la Russie est un pays cerné par les soldats américains déployés dans les ex républiques soviétiques périphériques au titre de la coopération technique.

Dans ce contexte difficile, l’autorité dont fait preuve l’ancien colonel du KGB séduit apparemment une imposante majorité de Russes qui verraient en lui l’incarnation d’un leader paternel capable à la fois de restaurer la grandeur de la nation et sa transformation en Etat moderne et prospère. Face à la popularité d’un sortant assuré d’être reconduit, la seule incertitude de ce scrutin concerne donc le taux de participation. Nombre d’intellectuels ont plaidé pour une abstention qu’ils souhaiteraient massive, en signe de protestation au monopole exercé par Vladimir Poutine sur la vie politique du pays. Regroupé au sein d’un «Comité 2008 – Libre choix», il dénonce une «farce électorale» et appelle les candidats à «cesser leur participation à cette profanation de notion électorale», faute d’alternative. Il se fixe pour objectif d’œuvrer pour des élections «libres et honnêtes» en 2008. Selon les deux principaux instituts de sondages, ce taux de participation sera néanmoins relativement élevé, entre 63 et 70%.

A écouter également:

Jean-Frédéric Saumont, correspondant permanent de RFI, fait à Moscou un point sur la mobilisation des électeurs.
Au micro d'Arnaud Pontus. 4'38''



par Georges  Abou

Article publié le 14/03/2004