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Russie

Après le carnage, l’impasse

Trois jours après l’attentat du métro attribué par le pouvoir aux rebelles tchétchènes, Moscou enterre ses morts. Mais la population critique sans retenue les services de sécurité et les autorités.
Pour les Moscovites, ce lundi 9 février est journée de deuil. Ainsi en a décidé la mairie de la capitale russe pour marquer le jour des funérailles de 39 de leurs concitoyens, tués dans l’attentat qui a frappé vendredi le métro de Moscou à la station Avtozavodskaïa. Le maire a par ailleurs décidé de renforcer les «mesures contre les migrants illégaux». Autrement dit, les Caucasiens en général et les Tchétchènes en particulier.

Car dès vendredi, le président Poutine n’a pas perdu de temps en vaines investigations pour désigner les coupables : pour le président russe, ce sont les «terroristes tchétchènes». Tout en recevant les condoléances des chefs d’État du monde entier, Vladimir Poutine a réitéré son refus de négocier avec les Tchétchènes modérés, comme l’ancien président indépendantiste Asla Maskhadov. «On ne négocie pas avec les terroristes, on les élimine», a répété Poutine.

Pour sa part, Maskhadov a condamné l’attentat de vendredi et exprimé ses condoléances aux familles des victimes. Le leader indépendantiste tchétchène a appelé Moscou à des négociations «sans délai et sans conditions préalables». Pour son porte-parole Akhmed Zakaïev, réfugié en Grande Bretagne, «s’il n’y a pas de négociations, le nombre de victimes innocentes augmentera des deux côtés».

L’inefficacité d’une police pourtant omniprésente

Les Moscovites, choqués par la violence de l’explosion du métro, ont cependant appris à vivre avec le terrorisme. En décembre dernier, un attentat suicide avait déjà fait six morts et 14 blessés à deux pas du Kremlin. Mais c’est surtout la prise d’otage du Théâtre Doubrovka en octobre 2002 qui a marqué un tournant. Lors de l’assaut donné par les forces spéciales, 129 otages et 41 membres du commando tchétchène ont été tués, la plupart par le gaz de combat employé par les forces de l’ordre.

Cela ne signifie pas que les Moscovites soient résignés. L’hostilité envers les Caucasiens est de plus en plus marquée. Selon un sondage publié par les Izvestia, 70 % des Moscovites sont pour l’interdiction du territoire russe aux Caucasiens. Mais leur colère vise également les autorités et les forces de sécurité, déjà vivement mises en cause lors du carnage d’octobre 2002. De nombreux passants, dans les rues de Moscou, ont confié à la presse russe leur indignation que les services spéciaux n’aient rien fait pour anticiper une telle attaque dans le métro. Le contraste est d’autant plus vif –et durement ressenti– que la police est omniprésente dans les rues de la capitale russe et que les forces de sécurité ont toute latitude pour agir comme elles l’entendent depuis l’arrivée aux affaires de Vladimir Poutine.

L’affaire est également désastreuse pour ce dernier, qui se représente au suffrage des électeurs pour un second mandat de quatre ans le 14 mars. Non que l’issue du scrutin soit en cause : nul ne doute que Poutine sera élu haut la main, ne serait-ce qu’en raison de l’absence de toute concurrence crédible. Mais si dans le passé, il a pu jouer du réflexe sécuritaire lors de précédents attentats, tel n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Il est aux affaires depuis quatre ans, a la haute main sur les services dont il est d’ailleurs issu. L’échec de ces derniers à enrayer les attentats est donc aussi et d’abord le sien.

En mars 2000, un an après la reprise de la guerre en Tchétchénie, Vladimir Poutine a inauguré ses fonctions en s’engageant à «régler» rapidement (et militairement) le problème tchétchène. Quatre ans après, s’il a effectivement réussi à vaincre militairement les rebelles tchétchènes, par son refus d’envisager une solution politique autre que la reddition sans condition des indépendantistes, il a exporté la violence de Tchétchénie vers la capitale russe.



par Olivier  Da Lage

Article publié le 08/02/2004