Russie
Crimes et châtiments du roi du pétrole
Le chef de l’administration présidentielle, proche des oligarques, a démissionné jeudi soir tandis que plane la menace d’une renationalisation de l’économie.
De notre correspondant à Moscou
Le Kremlin avait pris soin d’attendre la fin de soirée pour annoncer le départ d’Alexandre Volochine: sans doute pour éviter que la presse puisse relayer et commenter la démission du chef de l’administration présidentielle. Car désormais, le Kremlin ne peut plus éviter une «lecture politique» de l’affaire Ioukos et de l’arrestation spectaculaire de son patron, Mikhaïl Khodorkovsky: la décision d’Alexandre Volochine est bel et bien une réaction à la spirale infernale qui risque de porter un coup majeur à l’économie de la Russie: «L’évasion de capitaux va s’accentuer», estime Boris Nemtsov, le chef de l’Union des forces de droite, un parti d’opposition d’obédience libérale. «La réputation de la Russie va grandement souffrir, ce qui réduira les investissements aussi bien étrangers que domestiques» pronostique Boris Nemtsov.
Fidèle à son habitude, Alexandre Volochine n’a fait aucun commentaire mais sa démission parle d’elle-même et signifie son refus de cautionner l’attaque en règle dont le premier groupe pétrolier russe est la cible et qui pourrait aboutir rapidement à son démantèlement et à une redistribution de ses actifs. Jeudi après-midi, le parquet général a annoncé la saisie de 44% des actions du groupe pétrolier afin de couvrir les préjudices financiers dont Mikhaïl Khodorkovsky et Platon Lebedev, emprisonné depuis le 2 juillet dernier, se seraient rendus coupables. «Imaginez que sous prétexte qu’un des locataires d’un immeuble ne paie pas ses charges, on décide d’expulser touts ses habitants. C’est exactement ce qui vient de se passer». L’image est signée du porte-parole de Ioukos, Alexandre Chadrine quelques minutes après l’annonce par le parquet général de la saisie. «Ce n’est pas une saisie mais un gel», rectifie le bureau de presse du procureur.
«L’État les a fait milliardaires»
L’effet fut en tout cas dévastateur à la Bourse où le titre Ioukos a dégringolé, entraînant dans sa chute l’ensemble des titres côtés sur la place de Moscou avec en toile de fond, une interrogation majeure: va-t-on assister à une remise en cause généralisée des privatisations des années 90 qui permirent à une poignée d’hommes d’affaires de s’enrichir en faisant main basse sur les ressources naturelles du pays en jouant et parfois en détournant une législation défaillante. Vladimir Poutine a eu des mots très durs à l’encontre des ces «oligarques»: «leur fortune a été créée par l’État lui-même qui les a fait milliardaires», déclarait le président russe. De tels propos reçoivent un écho plus que favorable dans la Russie profonde où l’idée prévaut que le pays a été spolié après l’effondrement de l’Union Soviétique.
Pour autant, Vladimir Poutine assure qu’il n’est pas question de réexaminer les privatisations. Le président russe a tenté de rassurer la communauté du monde des affaires, ébranlée par l’affaire Ioukos, en recevant jeudi soit au Kremlin les cadres dirigeants des banques d’investissements russes et étrangères. Mais ce geste tardif risque d’avoir peu d’effet: la machine judiciaire s’est apparemment emballée et le «gel» ou la «saisie» d’actions du groupe Ioukos qui ne sont pas toutes la propriété personnelle de Mikhaïl Khodorkovsky est un précédent qui affectera le climat des affaires en Russie et certains y voient une forme de «nationalisation» larvée.
Au bénéfice de qui ? A cette question, un mot en forme de réponse: les silovikis, comme on les désigne en russe, ce sont tous ceux qui font partie des «structures de force» et essentiellement du FSB, l’ex-KGB dont Vladimir Poutine fut le patron avant d’être propulsé Premier ministre puis président par intérim. On les appelle aussi les «Petersbourgeois» en référence à la ville natale du président russe. Ces collaborateurs arrivés au pouvoir dans le sillage de Vladimir Poutine sont depuis des mois en lutte ouverte avec les «libéraux» dont Alexandre Volochine mais aussi le Premier ministre Mikhaïl Kassianov sont les plus éminents représentants: hérités de l’ère Eltsine, ils représentent les intérêts de la «famille» comme on a baptisé ce cercle élargi d’hommes d’affaires qui se sont enrichis sous les 2 présidences de Boris Eltsine. Jusqu’à présent, Vladimir Poutine jouait sur les 2 piliers pour asseoir son pouvoir; il semble désormais que les silovikis l’aient emporté, laissant présager un durcissement du régime et un plus grand interventionnisme dans le secteur économique.
Ce n’est pas un hasard si l’offensive des silovikis, qui ont littéralement envahi les structures du pouvoir, s’est concentrée sur Ioukos: le géant pétrolier est le premier groupe russe a mettre en place une réelle transparence de ses comptes et de son actionnariat. Mikhaïl Khodorkovsky avait compris tout l’avantage qu’il pouvait retirer à faire naître et à promouvoir une «nouvelle société civile» en subventionnant une multitude d’associations ou en aidant à la création de petites et moyennes entreprises.
Enivré par sa fabuleuse réussite qui en faisait avant son incarcération l’homme le plus riche de Russie avec une fortune estimée à 8 milliards de dollars, le patron de Ioukos a franchi la ligne rouge en déclarant qu’il soutenait financièrement deux partis d’opposition, Iabloko et l’Union des forces de droite qui sont, à l’exclusion des communistes, les seules voix discordantes et critiques à l’encontre de la politique de Vladimir Poutine.
Le Kremlin avait pris soin d’attendre la fin de soirée pour annoncer le départ d’Alexandre Volochine: sans doute pour éviter que la presse puisse relayer et commenter la démission du chef de l’administration présidentielle. Car désormais, le Kremlin ne peut plus éviter une «lecture politique» de l’affaire Ioukos et de l’arrestation spectaculaire de son patron, Mikhaïl Khodorkovsky: la décision d’Alexandre Volochine est bel et bien une réaction à la spirale infernale qui risque de porter un coup majeur à l’économie de la Russie: «L’évasion de capitaux va s’accentuer», estime Boris Nemtsov, le chef de l’Union des forces de droite, un parti d’opposition d’obédience libérale. «La réputation de la Russie va grandement souffrir, ce qui réduira les investissements aussi bien étrangers que domestiques» pronostique Boris Nemtsov.
Fidèle à son habitude, Alexandre Volochine n’a fait aucun commentaire mais sa démission parle d’elle-même et signifie son refus de cautionner l’attaque en règle dont le premier groupe pétrolier russe est la cible et qui pourrait aboutir rapidement à son démantèlement et à une redistribution de ses actifs. Jeudi après-midi, le parquet général a annoncé la saisie de 44% des actions du groupe pétrolier afin de couvrir les préjudices financiers dont Mikhaïl Khodorkovsky et Platon Lebedev, emprisonné depuis le 2 juillet dernier, se seraient rendus coupables. «Imaginez que sous prétexte qu’un des locataires d’un immeuble ne paie pas ses charges, on décide d’expulser touts ses habitants. C’est exactement ce qui vient de se passer». L’image est signée du porte-parole de Ioukos, Alexandre Chadrine quelques minutes après l’annonce par le parquet général de la saisie. «Ce n’est pas une saisie mais un gel», rectifie le bureau de presse du procureur.
«L’État les a fait milliardaires»
L’effet fut en tout cas dévastateur à la Bourse où le titre Ioukos a dégringolé, entraînant dans sa chute l’ensemble des titres côtés sur la place de Moscou avec en toile de fond, une interrogation majeure: va-t-on assister à une remise en cause généralisée des privatisations des années 90 qui permirent à une poignée d’hommes d’affaires de s’enrichir en faisant main basse sur les ressources naturelles du pays en jouant et parfois en détournant une législation défaillante. Vladimir Poutine a eu des mots très durs à l’encontre des ces «oligarques»: «leur fortune a été créée par l’État lui-même qui les a fait milliardaires», déclarait le président russe. De tels propos reçoivent un écho plus que favorable dans la Russie profonde où l’idée prévaut que le pays a été spolié après l’effondrement de l’Union Soviétique.
Pour autant, Vladimir Poutine assure qu’il n’est pas question de réexaminer les privatisations. Le président russe a tenté de rassurer la communauté du monde des affaires, ébranlée par l’affaire Ioukos, en recevant jeudi soit au Kremlin les cadres dirigeants des banques d’investissements russes et étrangères. Mais ce geste tardif risque d’avoir peu d’effet: la machine judiciaire s’est apparemment emballée et le «gel» ou la «saisie» d’actions du groupe Ioukos qui ne sont pas toutes la propriété personnelle de Mikhaïl Khodorkovsky est un précédent qui affectera le climat des affaires en Russie et certains y voient une forme de «nationalisation» larvée.
Au bénéfice de qui ? A cette question, un mot en forme de réponse: les silovikis, comme on les désigne en russe, ce sont tous ceux qui font partie des «structures de force» et essentiellement du FSB, l’ex-KGB dont Vladimir Poutine fut le patron avant d’être propulsé Premier ministre puis président par intérim. On les appelle aussi les «Petersbourgeois» en référence à la ville natale du président russe. Ces collaborateurs arrivés au pouvoir dans le sillage de Vladimir Poutine sont depuis des mois en lutte ouverte avec les «libéraux» dont Alexandre Volochine mais aussi le Premier ministre Mikhaïl Kassianov sont les plus éminents représentants: hérités de l’ère Eltsine, ils représentent les intérêts de la «famille» comme on a baptisé ce cercle élargi d’hommes d’affaires qui se sont enrichis sous les 2 présidences de Boris Eltsine. Jusqu’à présent, Vladimir Poutine jouait sur les 2 piliers pour asseoir son pouvoir; il semble désormais que les silovikis l’aient emporté, laissant présager un durcissement du régime et un plus grand interventionnisme dans le secteur économique.
Ce n’est pas un hasard si l’offensive des silovikis, qui ont littéralement envahi les structures du pouvoir, s’est concentrée sur Ioukos: le géant pétrolier est le premier groupe russe a mettre en place une réelle transparence de ses comptes et de son actionnariat. Mikhaïl Khodorkovsky avait compris tout l’avantage qu’il pouvait retirer à faire naître et à promouvoir une «nouvelle société civile» en subventionnant une multitude d’associations ou en aidant à la création de petites et moyennes entreprises.
Enivré par sa fabuleuse réussite qui en faisait avant son incarcération l’homme le plus riche de Russie avec une fortune estimée à 8 milliards de dollars, le patron de Ioukos a franchi la ligne rouge en déclarant qu’il soutenait financièrement deux partis d’opposition, Iabloko et l’Union des forces de droite qui sont, à l’exclusion des communistes, les seules voix discordantes et critiques à l’encontre de la politique de Vladimir Poutine.
par Jean-Frédéric Saumont
Article publié le 31/10/2003