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Russie

Législatives à l’ombre du Kremlin

La Russie s’apprête à élire ses députés dans une ambiance marquée par un retour de l’autoritarisme et caractérisée par un affaiblissement du rôle de la presse. La campagne électorale a esquivé les grandes questions traditionnelles pour se concentrer sur des thèmes d’actualité plus propices aux déclarations populistes. En ligne de mire : les oligarques.
La Russie est un pays où, au cours de ces dix dernières années, l’espérance de vie a perdu dix ans. Depuis 1989, la population a baissé de 1,8 millions d’habitants. Sous l’effet des réformes, ses services publics, qui occupaient l’essentiel de la main d’œuvre, ont dépéri. Le salaire moyen n’excède pas 200 dollars mensuel. La corruption y est endémique. 80 000 soldats russes sont mobilisés dans la république sécessionniste de Tchétchénie où ils font face, avec brutalité, à une résistance acharnée.

C’est dans ce climat général difficile que 110 millions d’électeurs vont élire dimanche les 450 députés de la Douma pour une législature de quatre ans. Le système russe prévoit un panachage entre scrutins proportionnel et majoritaire. La moitié d’entre eux est élue au scrutin proportionnel de liste (avec un seuil établi à 5%). L’autre moitié au scrutin majoritaire de circonscription (à un tour). Vingt-trois partis sont en lice, mais seuls cinq d’entre eux semblent avoir des chances d’accéder à la Douma. Lors des dernières élections législatives, en 1999, le taux de participation avait atteint 61,85%. Les observateurs estiment que, dimanche, ce taux sera en baisse.

Des cinq partis vraisemblablement représentés au sein de la prochaine chambre basse, il en émerge deux, aujourd’hui dominants dans l’assemblée sortante, piliers du système politique russe et héritier des derniers épisodes. Le parti «présidentiel» Russie unie (Edinaïa Rossa), conduit par le ministre de l’Intérieur est crédité de 25 à 30% des intentions de vote. Puis vient le Parti communiste, avec 14 à 23% des suffrages. Enfin, dans la fourchette des moins de 10% viennent successivement le parti ultra-nationaliste de Vladimir Jirinovski, personnage très controversé de la scène politique russe, et deux petits partis libéraux et anti-étatiques dont le discours contre la bureaucratie, l’autoritarisme et la restauration de l’Etat soviétique et policier ne semble pas de nature à recruter largement dans le contexte russe qualifié d’apathique.

De l’avis général à Moscou, la campagne électorale a été atypique. Les thèmes traditionnels tels que la pauvreté, le logement, la sécurité, la corruption, la guerre en Tchétchénie ont été relégués à l’arrière-plan et l’essentiel les débats se sont recentrés sur les dossiers d’actualité qui agitent la société russe, en particulier la fameuse question des oligarques. Ces nouveaux riches ont bâti leur fortune sur les réformes qui ont accompagné la chute du communisme, notamment les privatisations. Or, parmi ces oligarques, certains ne se contentent plus de s’enrichir mais manifestent à présent des ambitions politiques propres à menacer un jeu institutionnel qui reste très marqué par l’influence de l’ordre ancien soviétique. D’autant plus qu’ils en ont les moyens financiers.

Etat contre oligarques

Le cas de l’un d’entre eux est exemplaire. Les ambitions de MikhaÏl Khodorkovski, patron du premier groupe pétrolier de Russie, Ioukos, considéré comme l’homme le plus riche du pays et rival potentiel de Vladimir Poutine à l’élection présidentielle de l’année prochaine, l’ont conduit tout droit en prison sous l’accusation d’évasion fiscale et de fraude. Les experts de la politique russe sont unanimes pour estimer que cette affaire, qui a eu un retentissement considérable à l’étranger, a joué un rôle central dans la campagne. En effet, elle a permis de décliner une série de thèmes de campagne empruntant au registre populiste et stigmatisant «ces oligarques qui s’enrichissent sur le dos du pays» et s’appropriant les ressources du peuple russe. La méthode a ses vertus dans ce pays encore profondément déstabilisé par les événements de la fin du XXe siècle. Elle permet notamment de recruter largement au sein de l’électorat communiste et de tenir un discours que nombre de Russes nostalgiques d’une grandeur passée veulent entendre: celui d’«un Etat fort, qui ne plie pas devant la puissance d’un groupe privé (Ioukos)» qui, a fortiori, affiche des ambitions internationales, voire «anti-patriotiques». Ce règlement de compte permet également à l’actuelle direction de se dégager de la lourde accusation de compromission avec les puissances d’argent et d’offrir aux russes «un conte de noël pour les pauvres», déclare le politologue Iouri Korgouniouk à l’AFP.

La presse ne sort pas grandie de l’exercice. Là, encore plus qu’ailleurs, se fait sentir la reprise en main entamée depuis 1999, date de l’arrivée au pouvoir de l’ex-officier du KGB Vladimir Poutine. Selon les observateurs, les médias régionaux sont livrés aux pressions des autorités locales alors que les médias nationaux, et particulièrement la télévision, roulent ouvertement pour le parti pro-Kremlin. Depuis la prise de contrôle indirecte par l’Etat de l’ex-chaîne de télévision indépendante NTV, en 2001, la présidence détient pratiquement le monopole des ondes. Et l’espace de liberté concédé à certains titres moscovites ne dépasse pas, en audience, le cercle fermé de la capitale. Le Conseil de l’Europe estimait fin octobre «qu’à moins qu’un changement majeur n’intervienne dans l’équilibre de la couverture (médiatique), l’élection ne serait pas juste». Selon un membre de la Fondation de défense de la liberté de la presse Glasnost, «la télévision a repris son rôle de l’époque soviétique, celui de la propagande». Le chef du parti communiste est plus sévère encore : «tout cela a une odeur de propagande à la Goebbels (ministre allemand de la Propagande du IIIe Reich)», déclare Guennadi Ziouganov qui affirme que la moitié des électeurs n’iront pas voter.

Dimanche, 400 observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe seront déployés sur les 17 millions de km² que compte le territoire russe, plus grand pays du monde. Aucun observateur ne sera envoyé en Tchétchénie où les conditions nécessaire à une mission internationale ne sont pas réunies en raison des circonstances. Le parti du président est donné favori.

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Ecouter:

Présentateur vedette du programme de TV politique Vremena sur le Canal 1 de la TV russe, Vladimir Pozner est l'Invité de la semaine RFI-l'Express. Il est interrogé par Pierre Ganz (RFI) et Alain Louyot, du journal l'Express (6 décembre 2003, 18'55'').



par Georges  Abou

Article publié le 04/12/2003