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Russie

Législatives : Poutine vainqueur

Après dépouillement de 90,58% des bulletins, le parti pro-présidentiel, Russie unie, confirme sa position dominante dans la nouvelle Douma. Malgré une chute vertigineuse de son score, le Parti communiste reste la deuxième formation à l'issue des législatives de dimanche, avec 12,7% des suffrages. Le PC est talonné par les ultranationalistes du LDPR de Vladimir Jirinovski (11,8%) et par l'alliance nationaliste de gauche Rodina, l'outsider de ce scrutin, qui obtient 9,0%. Seules ces quatre formations entrent au parlement, tandis les partis réformateurs, Iabloko (4,3%) et l'Union des forces de droite SPS (3,9%) ne parviennent pas à franchir la barre des 5% et sont donc éliminés de la Douma, pour la première fois depuis le début des années 90.
De notre correspondant à Moscou.

C’est un coup de tonnerre dans le paysage politique de la Russie : 4 partis seulement entrent dans la nouvelle Douma et l’on peut dire que l’opposition se réduit en fait au seul Parti communiste. Car les deux formations nationalistes joueront probablement le rôle de supplétifs à Russie unie, le parti présidentiel. Dans le passé, les ultranationalistes de Vladimir Jirinovski ont toujours voté en faveur des projets présidentiels. Quant à Rodina, le tout nouveau parti créé il y a 3 mois par un ex-communiste et un proche de Vladimir Poutine, il a atteint son but qui était de capter une partie de l’électorat des communistes en reprenant une partie de leur programme à leur compte : à savoir la lutte contre les oligarques enrichis dans les années 90, la taxation des grandes sociétés et la défense agressive des intérêts nationaux de la Russie.

C’est l’une des surprises de ces élections : avec un score autour de 9%, Rodina, la «mère patrie» en russe, effectue une percée que nul n’avait pronostiqué : ce parti avait été créé il y a seulement 3 mois par un ex-communiste, Sergueï Glaziev, allié à Dmitri Rogozine, un proche de Vladimir Poutine. Pour de nombreux observateurs politiques, le Kremlin ne serait d’ailleurs pas étranger à ce succès et aurait favorisé Rodina pour en faire un missile destiné à affaiblir la Parti communiste. Très présent sur les plateaux de télévision, les leaders de Rodina ont enfourché les thèmes chers à l’électorat communiste, vitupérant contre les oligarques enrichis dans les années 90, promettant à certains de subir le même sort que Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-parton de Ioukos, emprisonné depuis un mois et demi, et proposant de surtaxer les grandes sociétés. Un programme que ne renierait pas le Parti communiste et qui, à l’évidence, a séduit une partie de son électorat. Il est probable que Rodina agira dans la nouvelle Douma comme un parti supplétif de Russie unie et renforcera les tendances populistes et nationalistes du parti présidentiel.

L’autre surprise du scrutin, c’est malgré tout l’élimination de l’opposition libérale et démocratique : on a pu penser hier soir que les 2 partis, l’Union des Forces de Droite et Iabloko, franchiraient la barre des 5%. C’est ce qu’indiquaient les enquêtes à la sortie des urnes. Et puis, à mesure que la nuit avançait, leur score s’est réduit et il semble exclus désormais que ces 2 formations entrent à la Douma. Elles en portent en partie la responsabilité car elles n’ont pas réussi à conclure un accord électoral qui aurait accru leur chance.

Quels projets pour la Russie?

Au lendemain de ce scrutin, on quitte une campagne électorale pour entrer immédiatement dans une autre, avec la présidentielle le 14 mars. Plus que jamais, la victoire de Vladimir Poutine au 1er tour semble acquise mais il revient maintenant au président russe d’expliquer ce qu’il entend faire dans les 4 années à venir. Car le parti qui le soutient, Russie unie, est resté totalement muet sur ses intentions et sur leur programme, refusant par exemple de participer aux débats électoraux télévisés. Et sa plate-forme se réduisait à un slogan : «Ensemble avec le président». Mais les grands enjeux politiques et économiques de la Russie n’ont pas été discutés : va-t-on poursuivre le rapprochement avec les Occidentaux ? Les privatisations des années 90 vont-elles être réexaminées comme le laisse craindre l’attaque contre Ioukos et l’emprisonnement de MikhaÏl Khodorkovski ? Quel type d’Etat pour la Russie de demain alors que la presse est de plus en plus muselée, en tout cas la télévision qui aura participé à la victoire du parti présidentiel ? C’est à toutes ces question qu’il va falloir répondre.

En attendant, c’est un succès attendu et à vrai dire sans surprise pour Vladimir Poutine : avec une popularité qui surfe sur la crête des 80%, le président russe pouvait espérer à tout le moins qu’un tiers des suffrages se porte sur le parti pour lequel il a appelé à voter. Russie Unie a logiquement engrangé dans les urnes ce dimanche le soutien de Vladimir Poutine qui s’était rendu au congrès du parti, dérogeant ainsi à la règle qui veut que le président soit au-dessus des partis. De même, il était intervenu à la télévision 8 jours avant la clôture de la campagne pour expliquer qu’il avait besoin d’une majorité forte pour poursuivre les réformes. Le message a été entendu par les électeurs d’autant mieux que l’opposition communiste ou libérale n’a pas bénéficié des mêmes faveurs télévisuelles.

Il n’est pas certain que Russie Unie obtienne la majorité des deux-tiers dans la nouvelle Douma, nécessaire pour modifier la constitution mais le parti présidentiel devrait s’en approcher : il pourra quoi qu’il en soit compter sur le soutien que ne devrait pas lui monnayer trop cher les 2 partis nationalistes qui rassemblent 20% des suffrages : une percée aux dépens des communistes qui s’effondrent. Au bout du compte, l’opposition est en miettes. Et Vladimir Poutine peut aborder sa réélection annoncée en mars en toute quiétude : il est désormais l’unique maître à bord.

A écouter également :

Hélène Blanc, spécialiste de la Russie au micro de Philippe Lecaplain (08/12/2003, 6'30")



par Jean-Frédéric  Saumont

Article publié le 08/12/2003