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Tchétchénie

Le candidat de Moscou plébiscité

Le candidat de Moscou a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle du 5 octobre dans la république autonome de Tchétchénie ravagée par quatre ans d’une guerre impitoyable entre, d’une part, l’armée russe et ses alliés locaux et, d’autre part, les indépendantistes. Selon la commission électorale centrale, Akhmad Kadyrov a obtenu 81,1% des suffrages. Officiellement, le taux de participation a été de plus de 80%. Mais les observateurs du scrutin, et notamment les journalistes présents lors du vote, relèvent surtout une faible affluence dans les bureaux de vote.

Le Kremlin attend de cette élection présidentielle qu’elle tourne définitivement la page de l’épisode séparatiste entamé avec la disparition de l’Union soviétique et légitimé avec l’élection en 1997 du leader indépendantiste Aslan Maskhadov, aujourd’hui passé dans la clandestinité. Moscou dispose désormais d’un nouveau président pro-russe sur lequel il peut compter pour ne plus contester l’intégration de la Tchétchénie au sein de la fédération de Russie et l’option militaire privilégiée pour y parvenir.
Mercredi 1er octobre, la Tchétchénie est entrée dans sa cinquième année de guerre. Dimanche 5 octobre, ses citoyens étaient appelés à élire leur président lors d’un scrutin qui devrait, selon les vœux du Kremlin, mettre fin à «l’épisode séparatiste» dont la forme la plus récente remonte à l’année 1991, au moment de l’éclatement de l’Union soviétique. Moscou et ses alliés tchétchènes ont réussi a dissuader tous les candidats opposés au maintien de la Tchétchénie au sein de la fédération de Russie et sont finalement parvenus à faire plébisciter le chef de l’administration pro-russe de Grozny, Akhmad Kadyrov. Ce dernier, ancien mufti, règne sur sa capitale en ruines par la terreur imposée par ses hommes réputés experts en rackets, meurtres, enlèvements, tortures. La petite république indépendantiste (19 300 km²) accrochée au flanc sud de la fédération «accueille» également un contingent estimé à 80 000 soldats russes qui, de notoriété publique, apportent une contribution déterminante au climat d’anarchie et de brutalité qui règne sur place. La peur au ventre, en raison de l’extrême radicalisation du conflit, ils se livrent également aux rackets, trafics illicites (notamment d’armes avec les indépendantistes), enlèvements accompagnés de meurtres, tortures, demandes de rançon et autres exactions. Selon les témoignages disponibles, la consommation d’alcool et de stupéfiants est très importante parmi les jeunes appelés des forces d’occupation russes. Mais, en dépit d’une dégradation constante de la situation et des droits élémentaires des populations, rares sont les manifestations critiques contre la politique du Kremlin dans la région.

Plusieurs facteurs conjugués expliquent ce silence. D’une part, Washington paye à la fois à Vladimir Poutine le prix de son soutien dans la lutte contre le terrorisme international, auquel le Kremlin associe les indépendantistes tchétchènes, et la tolérance de Moscou à l’égard de l’implantation américaine en Asie Centrale où se dessinent les futures autoroutes du pétrole. Côté européen, entre enjeux gaziers et construction communautaire, on ne manque pas de bons arguments pour ne pas fâcher le grand voisin. Les habillages islamistes qui ont parfois maladroitement accompagné la radicalisation du combat indépendantiste tchétchène ont certainement contribué à justifier une attitude compréhensive, quoique embarrassée, à l’égard du Kremlin que les indignations de quelques intellectuels et journalistes ne parviennent pas à infléchir.

«Pas de films politiques»

Cette guerre dispose par ailleurs d’une couverture médiatique soigneusement filtrée par une télévision russe sous contrôle qui diffuse généreusement les images des attentats suicide commis par les séparatistes («bandits» et «terroristes», selon la terminologie officielle) et dissimule le reste. La presse étrangère n’est pas autorisée à travailler sur place en dehors des voyages organisés sous bonne escorte par les autorités russes. Dans ces conditions, malgré quelques radios et titres de la presse écrite qui continuent à travailler honnêtement, la parole des opposants est inaudible pour la grande masse des citoyens russes qui n’ont donc pas accès aux informations concernant les enlèvements, tortures et meurtres dont les forces russes et leurs alliés tchétchènes sont accusés. Et «la haine et le racisme visant les Caucasiens» ne cesse de croître, relève le sociologue russe Iouri Levada, cité par l’AFP. Ainsi, dans ce huis clos, le scénario qui avait conduit Boris Ieltsine a conclure la paix à l’issue de la première guerre (1994-1996) n’a aucune chance de se reproduire. A l’époque, il est vrai, la chaîne de télévision privée NTV, notamment, proposait un regard différent sur la situation caucasienne.

La situation est évidemment régulièrement dénoncée, sur place comme à l’extérieur, par les organisations de défense des droits de l’Homme qui, en dépit de la lassitude de l’opinion publique et du contexte international sécuritaire, poursuivent leur dénonciation des crimes de guerre et autres exactions commis sous couvert de lutte anti-terroriste. Désormais nombre d’institutions refusent également de cautionner par leur présence sur place la politique du Kremlin. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sollicitée en tant qu’observateur pour les élections, a décliné l’invitation, officiellement parce que les conditions de sécurité n’étaient pas réunies. A la veille du scrutin, le rapporteur de l’Assemblée sur la Tchétchénie avait estimé qu’«il serait irresponsable» de se rendre sur place pour observer des élections qui «ne sont pas de véritables élections». L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a également préféré s’abstenir.

A Moscou la semaine dernière, un grand cinéma a renoncé à organiser un festival documentaire consacré au drame tchétchène. «Nous ne montrons pas de films politiques, surtout quand ils concernent le gouvernement et le président russes. Nous sommes en très bonnes relations avec les autorités, pourquoi mettre ces relations en danger ?», a justifié le directeur, qui a assuré n’avoir été soumis à aucune pression. Les films ont néanmoins été projetés sur un petit écran, au musée Sakharov.



par Georges  Abou

Article publié le 06/10/2003