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Peinture

Le néo-impressionnisme de Seurat à Paul Klee

Georges Morren : <EM>A l'Harmonie</EM>, dit aussi <EM>Jardin public</EM>, 1981, huile sur toile (40 x 88 cm) Collection Mrs Arthur G. Altschul(Photo : ADAGP, Paris 2005)
Georges Morren : A l'Harmonie, dit aussi Jardin public, 1981, huile sur toile (40 x 88 cm) Collection Mrs Arthur G. Altschul
(Photo : ADAGP, Paris 2005)
Le musée d’Orsay rend hommage aux artistes fondateurs d’un courant de peinture qui succéda à l’impressionnisme, et qui dépassa largement les frontières de l’hexagone. En libérant la couleur, le mouvement créé par Georges Seurat et ses amis (les néos) au tournant des années 1900 a incarné la voie de la modernité aux yeux d’une grande partie de la génération montante, et préparé le passage à l’art abstrait.

L’exposition s’ouvre sur une vaste composition de Seurat, une très belle esquisse de Un dimanche après-midi à la Grande Jatte [ndlr : la pièce maîtresse se trouve à l’Art institute de Chicago –USA], une toile considérée comme un véritable manifeste du courant néo-impressionniste, toute peinte en petits points de couleur réguliers («des confettis», diront les détracteurs). Elle se termine sur trois salles réunissant des peintres comme Matisse, Derain, Vlaminck, Robert Delaunay, Piet Mondrian, Malévitch, Kandinsky et Paul Klee, autant de noms rattachés au fauvisme et à l’art abstrait.

Entre les deux, l’exposition décline en quatorze sections les différents aspects plastiques du mouvement néo-impressionniste, allant de l’espace-plan aux mosaïques, en passant par la géométrie, l’arabesque, la lumière, la couleur ou les nocturnes. Ce ne sont pas tant les sujets traités qui attirent l’attention (les mêmes que ceux traités par les impressionnistes, à savoir: paysages et scènes de la vie quotidienne), que la manière très particulière dont ils sont traités, par juxtaposition de touches très contrastées aux contours définis.

En donnant à voir ce riche florilège, les commissaires de l’exposition Serge Lemoine et Marina Ferretti-Bocquillon, offrent au public une exceptionnelle et remarquable leçon d’histoire de l’art en quelque 120 tableaux, qui mérite d’autant d’être saluée que c’est la première exposition consacrée au néo-impressionnisme depuis celle organisée en 1968 au Gugenheim museum de New York. Le parcours permet de comprendre comment, bien que succédant aux impressionnistes, les néo-impressionnistes n’en sont pas des continuateurs. A l’instar de Seurat qui découvre au début des années 1880 les traités d’optique et d’esthétique d’Eugène Chevreul et Charles Henry, ils refusent les recettes académiques traditionnelles, et préfèrent explorer méthodiquement les lois de la physique, et décortiquer la lumière et la couleur.

Une multitude de petits points colorés se pressent les uns contre les autres. Si l’on choisit deux couleurs, le bleu et le rouge par exemple, selon que l’on imprimera le bleu sur le rouge ou le rouge sur le bleu, les couleurs -à distance- se mélangeront sur la rétine pour vibrer différemment: comme l’explique Pascal Rousseau dans un article sur la «vision électrique et la transmission de l’image à distance»: «l’œil affiné du peintre se transforme en un rapporteur qui retranscrit le réel  sur la toile au moyen d’une série d’informations binaires dont la combinatoire autorise la réalisation  d’une harmonie abstraite». Le spectateur, de la même manière, opère le mélange à son insu,  reconstitue le sujet, l’espace est organisé par la couleur.

Un rayonnement international, et un jalon vers l’art abstrait

La tête de file du mouvement avant-gardiste, Seurat, meurt très jeune. Paul Signac reprend le flambeau, devenant alors le propagandiste et la force motrice des peintres séduits par ces découvertes qui concernent l’intelligibilité des phénomènes physiques et chimiques. La peinture devient à son tour un laboratoire. Paul Signac assure la diffusion et la continuité du mouvement en faisant paraître, en 1898, un essai intitulé «De Delacroix au néo-impressionnisme»: très vite les disciples -tels Pissaro, Luce, Henri-Edmond Cross ou Charles Angrand- font école et essaiment à l’étranger. L’exposition souligne bien ce rayonnement dans toute l’Europe, en Belgique, avec Théo Van Rysseelberghe, Willy Finch, Van de Velde ou Georges Lemmen; puis en Hollande, avec le graphiste néerlandais Jan Toorop,mais aussi en Allemagne, en Suisse et en Italie. Différentes sécessions -munichoise en 1892, viennoise en 1897, et berlinoise en 1898- se répandent même jusqu’en Russie.

Charles Angrand : La Seine, le matin, 1886, huile sur toiles (45,5 x 55 cm)
(Photo : Modern Art Foundation, musée du Petit palais, Genève)
Certes, les peintres développent chacun leur propre style et déclinent différemment les fameux points : ils sont plus ou moins ronds (Vuillard, Les Débardeurs), plus ou moins carrés (Emil Nolde, Jeune femme), rectangulaires (Braque, Petite baie de la Ciotat), ou traités en sorte de virgules (Von Jawlensky, Nature morte avec jacinthe et oranges), appuyés (Delaunay, Paysages aux vaches) ou effleurés ici ou là. Mais, la technique qui procède par touches séparées et qui consiste à utiliser la couleur pure, les conduit tous à simplifier les formes, à abolir les perspectives et à aplanir l’espace.

Van Gogh empruntera momentanément les touches nerveuses et les couleurs pures notamment dans un autoportrait (prêté pour l’exposition par l’Art institute de Chicago); Matisse (Paysage de Collioure) utilisera plutôt des touches pointillées élargies annonçant le fauvisme et les couleurs exacerbées que l’on retrouve chez Derain, Vlaminck et Kandinsky par exemple. C’est en faisant ce détour par le néo-impressionnisme que les premiers peintres abstraits, ont préparé leur émancipation au tournant du siècle dernier, en apprenant à hausser le ton et à  pousser les couleurs : «tout le monde s’est servi de cette technique très momentanément, ce fut simplement une sorte de passage qui les a menés dans des voies radicalement différentes, que ce soit le cubisme, le fauvisme (…) l’abstraction, l’expressionnisme allemand», souligne Marina Ferretti-Bocquillon dans le très complet catalogue édité par la Réunion des musées nationaux qui accompagne l'exposition.


par Dominique  Raizon

Article publié le 15/03/2005 Dernière mise à jour le 15/03/2005 à 18:06 TU

Musée d'Orsay, jusqu'au 10 juillet 2005