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Transnistrie

Le dernier confetti mafieux de l’Empire soviétique

La statue de Lenine devant le siège du Soviet Suprême de Tiraspol.(Photo: Antoine Ageron)
La statue de Lenine devant le siège du Soviet Suprême de Tiraspol.
(Photo: Antoine Ageron)
Sur l’esplanade qui s’étend devant le siège du Soviet Suprême de Tiraspol, une immense statue de Lénine continue de tendre la tête en direction de l’avenir radieux. La «République moldave de Transnistrie» a fait sécession de la Moldavie après les sanglants combats de 1992. Depuis, cette étrange république, qui s’étend sur la rive gauche du fleuve Dniestr, survit grâce à la protection de la XIVe Armée russe.

De notre envoyé spécial à Tiraspol

« S’il y a de la contrebande en Transnistrie ? Mais bien sûr que oui ! », s’exclame le ministre des Affaires étrangères, Valeri Letskai, qui reçoit dans un bureau décoré des armes de la République, frappées de la faucille et du marteau, d’un portrait du ministre en tenue de judoka et d’une dizaine d’images du Bouddha. « Pourquoi n’accuse-t-on que la Transnistrie ? Pour faire du trafic, il faut être plusieurs : les marchandises arrivent dans le port d’Odessa, en Ukraine, elle transitent par notre territoire pour gagner la Moldavie ». Les autorités sécessionnistes essaient-elles de lutter contre les trafics de drogue, de cigarettes, d’armes et d’êtres humains ? « Oui, la Transnistrie multiplie les efforts, tout comme l’Ukraine et la Moldavie… Mais sans grand succès », ajoute le ministre en éclatant de rire. Ancien officier de la XIVe Armée russe, Valeri Letskai est accusé d’avoir commis de nombreux crimes dans les pays baltes, où cette armée était stationnée avant de se redéployer en Transnistrie après l’éclatement de l’URSS. Il est considéré comme l’un des plus proches collaborateurs du Président de la République sécessionniste, Igor Nikolaievitch Smirnov.

La Transnistrie est pointée du doigt pour ses nombreuses fabriques d’armes, qui alimenteraient différents conflits, notamment dans le Caucase. À l’époque soviétique, une vocation agraire avait été assignée à la Moldavie, tandis que les usines étaient concentrées sur la rive gauche du Dniestr, une étroite bande de territoire rattachée à la République fédérée, mais qui n’avait jamais appartenu à la Moldavie.

À l’entrée de Tiraspol, la capitale de l’entité sécessionniste, se dresse un des plus grands stade d’Europe de l’est. Ce somptueux édifice est la fierté de la compagnie « Sheriff », qui contrôle une grande part de l’économie de la Transnistrie et qui appartient au fils du président Smirnov. Grâce aux trafics et au maintien des activités industrielles, notamment de la production d’armes, les habitants de Transnistrie jouissent d’un niveau de vie sensiblement plus élevé qu’en Moldavie.

La population de Transnistrie est évaluée à 600 000 habitants, pour un tiers moldaves roumanophones, et pour deux tiers russes et ukrainiens. Durant le conflit de 1992, beaucoup de Moldaves ont cependant été chassés de la région.

Durant longtemps, l’enseignement en moldave était virtuellement interdit, mais la situation s’est partiellement normalisée. Andrei, un jeune Moldave de 20 ans, a fait ses études à l’école russe. « À la maison, nous parlons roumain, explique-t-il, mais dans la vie publique, il vaut mieux parler russe pour ne pas avoir de problèmes ».

Le professeur Alexandru Ruscu n’est pas de cet avis. Cet enseignant de langue roumaine donne aussi des cours de danses traditionnelles aux volontaires, « pour que les jeunes conservent nos traditions ». Dans la salle où une dizaine d’adolescents répètent de manière encore maladroite les pas d’une ronde, un écriteau menace d’une amende de cinq kopek quiconque parlera russe.

Trois langues sont officielles en Transnistrie : le russe, l’ukrainien et le moldave, c’est-à-dire le roumain, mais qui s’écrit ici avec l’alphabet cyrillique, comme au temps de l’Union soviétique, alors que la Moldavie a opté pour la graphie latine, comme la Roumanie.

« Nous sommes une carte de la Russie »

Dans la ville de Tiraspol.
(Photo : Antoine Ageron)

L’école numéro 9 de Tiraspol, que l’on propose volontiers aux rares étrangers de passage de visiter, représente le modèle d’une école soviétique richement dotée : salles de sports, de danse, de travaux manuels. Dans les couloirs bien tenus, on trouve de grands panneaux à la mémoire de la « Guerre patriotique » contre le nazisme, en 1941-1945, mais faisant aussi hommage aux anciens élèves de l’école tombés en 1992. Il y a même une salle informatique. « Notre président, Igor Nikolaiévitch Smirnov, a personnellement offert 20 ordinateurs à l’école », souligne avec fierté la directrice, Svetlana Alexandrovna Krupko.

Elle affirme promouvoir les valeurs de tolérance et de multiethnicité auprès des élèves. Pour elle,  la meilleure solution serait une confédération, sur le modèle du plan proposé par la Russie en 2002. Qu’est-ce qui sépare donc culturellement la Transnistrie du reste de la Moldavie ? La directrice réfléchit longuement, avant de lâcher : « l’alphabet. Ils ne veulent pas utiliser l’alphabet cyrillique. Beaucoup de gens sont morts pour cela ». Svetlana Alexandrovno ajoute ensuite un point beaucoup moins contestable : « 15 années ont passé. Une génération a grandi : ils considèrent que leur pays, c’est la Transnistrie, pas la Moldavie ».

Depuis le conflit de 1992, des « Forces de paix » mixtes, comprenant des soldats moldaves, russes et transnistriens, sont déployés sur la ligne de démarcation avec la Moldavie. Le ministre Valeri Letskai refuse de parler de retrait des troupes russes. « C’est de la propagande moldave », s’exclame-t-il. « Ici, il reste un millier de soldats de la XIVe armée, faiblement armés, tandis que nous pouvons mobiliser 40 000 hommes. En cas de conflit, c’est nous qui protégerions les soldats russes… Nous sommes prêts à reprendre la guerre : rappelez-vous qu’en 1992, nous avions aussi reçu le soutien de 10 000 volontaires cosaques de Russie. Les dirigeants moldaves se font beaucoup d’illusions sur l’Europe, mais jamais l’Europe n’osera attaquer de front une région russe. En cas de guerre, la Transnistrie serait un nouvel Irak. »

Pourtant, les jours de l’entité sécessionniste sont probablement comptés depuis la victoire de Victor Iouchtchenko aux élections présidentielles ukrainiennes. La Transnistrie est totalement enclavée entre la Moldavie et l’Ukraine, et depuis le 1er février, l’Ukraine ne reconnaît plus les passeports de Transnistrie. Si elle fermait complètement ses frontières, comme le réclame la Moldavie, la république sécessionniste serait très vite asphyxiée.

Le ministre des Affaires étrangères se rassure en évoquant la géopolitique régionale. « En elle-même, la Transnistrie n’est rien, mais nous sommes une carte de la Russie dans le contrôle de la Mer Noire. Contrairement à Gorbatchev, Poutine n’abat pas toutes ses cartes d’un coup. La Russie ne nous laissera pas tomber ». À Chisinau, les dirigeants moldaves comptent sur l’Europe pour imposer une solution rapide et négociée du conflit.


par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 17/03/2005 Dernière mise à jour le 22/03/2005 à 13:53 TU