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Irak-Jordanie

Le torchon brûle entre Amman et Bagdad

Signe du sentiment anti-jordanien, des manifestants chiites brûlent à Hilla en Irak le drapeau jordanien.(Photo : AFP)
Signe du sentiment anti-jordanien, des manifestants chiites brûlent à Hilla en Irak le drapeau jordanien.
(Photo : AFP)
Les relations entre le royaume hachémite et les autorités irakiennes se sont considérablement dégradées ces dernières semaines. Depuis l’attentat de Hilla, qui a fait le 28 février dernier 118 morts et dont l’auteur présumé serait Jordanien, les manifestations en Irak contre le pouvoir du roi Abdallah II se sont en effet multipliées. Amman a même été ouvertement accusé de laxisme envers les terroristes qui, selon les autorités de Bagdad, utilisent son territoire comme base-arrière pour mener des attaques contre la population civile irakienne.

Considérée comme l’attaque la plus meurtrière menée contre des civils irakiens depuis plus d’un an, l’attentat de Hilla a cristallisé sur la Jordanie la colère des chiites dont la communauté a payé un lourd tribut aux violences qui endeuillent le pays depuis la chute du régime de Saddam Hussein. L’information publiée par la presse d’Amman et relayée par les journaux irakiens selon laquelle l’attaque aurait été commise par un kamikaze jordanien, Raëb al-Banna, a certes contribué à accentuer le sentiment anti-jordanien chez les Irakiens. Mais ce qui a véritablement mis le feu aux poudres a été l’annonce selon laquelle la famille du terroriste aurait organisé une cérémonie en son honneur dans sa ville natale de Salt, près d’Amman, à l’occasion de laquelle elle aurait reçu des félicitations pour son «martyr». Les manifestations hostiles au royaume hachémite se sont aussitôt multipliées dans les principales villes chiites du pays. Le drapeau jordanien a même été brûlé et les appels pour une expulsion du représentant diplomatique d’Amman à Bagdad se sont faits de plus en plus pressants.

Ce sentiment antijordanien, déjà fort du simple fait que le principal instigateur de la terreur en Irak n’est autre que le Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui –représentant officiel d’Oussama Ben Laden dans la région–, a largement été encouragé ces dernières semaines par plusieurs imams chiites qui ont fustigé pendant les prêches du vendredi le régime d’Amman dénoncé pour chercher à déstabiliser le pays. Ils ont ainsi ouvertement  accusé le royaume hachémite d’«envoyer des terroristes et de soutenir les assassinats en Irak». Ils ont également réclamé des excuses officielles du roi Abdallah II et des compensations financières pour les proches des victimes de l’attentat de Hilla où quelque cent vingt personnes ont trouvé la mort et plus de trois cents autres ont été blessées.

Ces attaques contre les autorités jordaniennes ont également trouvé un large écho dans les milieux politiques irakiens. Le ministre des Affaires étrangères, Hoshyar Zebari, a ainsi convoqué la semaine dernière le chargé d’affaires jordanien à Bagdad pour lui faire part de l’indignation des autorités irakiennes et de l’espoir de voir enfin Amman «contribuer aux efforts destinés à faire face aux terroristes et à leurs actes irresponsables». Le Premier ministre Iyad Allaoui a, quant à lui, exprimé officiellement au gouvernement jordanien «sa colère et son dégoût» pour la façon dont la famille du kamikaze a célébré sa mort. Mais les attaques les plus virulentes sont venues du chef du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak, la plus puissante formation politique chiite. Recevant le représentant jordanien, Abdel Aziz Hakim a non seulement réclamé «des excuses du roi Abdallah II et des responsables jordaniens pour les crimes commis en Irak» mais il a aussi pressé Amman d’expulser les anciens responsables du régime de Saddam Hussein qui seraient réfugiés sur son territoire et de rendre à l’Irak le trésor de guerre de l’ancien homme fort du pays dans lequel ses fidèles puisent pour financer la violence. Sans ces mesures, a menacé le responsable chiite, «l’avenir des relations entre la Jordanie et l’Irak serait en péril».  

 «Le croissant chiite» semble inquiéter la Jordanie

La polémique entre les deux pays a pris un tour encore plus sérieux avec le rappel dimanche par Amman puis par Bagdad de leur représentant diplomatique. Alors que la Jordanie a mis en avant des raisons sécuritaires –«l’ambassade n’est plus sûre», a ainsi estimé le chef de la diplomatie Hani Moulki– l’Irak compte saisir l’occasion pour protester contre ce qu’il estime être le laxisme d’Amman lorsqu’il s’agit de dissuader ses ressortissants de commettre des attentats sur son sol. «Les relations ont empiré et nous devons étudier la situation avec l’ambassadeur», a notamment expliqué un responsable irakien sous couvert de l’anonymat. Et même si Amman a tenté lundi de désamorcer la crise en qualifiant la situation actuelle de simple «nuage dans un ciel d’été», le malaise semble beaucoup plus profond.

Pour de nombreux observateurs en effet, ce malaise serait largement lié à la victoire en Irak des chiites aux élections générales du 30 janvier dernier. Le roi Abdallah II n’avait-il d’ailleurs pas mis en garde en décembre, dans une interview au quotidien américain Washington Post, contre l’émergence d’un «croissant chiite» allant de l’Iran au Liban en passant par un Irak où le pouvoir serait aux mains de cette même communauté ? Le souverain hachémite avait à l’époque estimé en effet que le régime de Téhéran «avait tout intérêt à voir s’instaurer une république islamique en Irak» qui favoriserait la création de ce fameux arc qui selon lui n’est pas sans danger pour la stabilité de toute la région. Car même s’il a été le seul à se prononcer sur le sujet, les monarchies du Golfe, toutes dirigées par des pouvoirs autoritaires sunnites, partagent la même inquiétude de voir leur régime déstabiliser par leur communauté chiite qui représente près de 12% des 24 millions d’habitants que comptent ces pays. Elle est même majoritaire au Bahreïn où elle représente plus de 60% de la population. Et elle compte en Arabie saoudite quelque deux millions de personnes installées dans les riches zonent pétrolifères de l’est du royaume.

Mais si le réveil de la communauté chiite en Irak n’est pas sans inquiéter le pouvoir jordanien, rien n’indique pour autant qu’Amman soit derrière la rébellion qui depuis deux ans plonge le pays dans la plus grande insécurité. Il est cependant des alliances qui sont difficiles à renier. La Jordanie est en effet traditionnellement proche de la communauté sunnite irakienne avec laquelle elle partage de nombreux liens tribaux. Et la mise à l’écart de plus en plus vraisemblable de cette minorité qui a longtemps présidé aux destinées de l’Irak –les Kurdes et les chiites semblent de moins en moins disposés à partager le pouvoir avec les sunnites– n’est pas pour plaire au pouvoir hachémite.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 21/03/2005 Dernière mise à jour le 21/03/2005 à 17:09 TU