Irak
Les tractations succèdent aux élections
(Photo : AFP)
Un nom s’est clairement dégagé des intenses tractations engagées au lendemain de la victoire électorale de l’Alliance irakienne unifiée. Les principaux partis constituant cette coalition chiite, qui a remporté 48% des suffrages, ont fait d’Ibrahim Al Jaafari leur favori pour le poste de Premier ministre. La candidature de cet homme âgé de 58 ans, nommé vice-président irakien en juin 2004, a, selon différents dirigeants de l’Alliance, été préférée à celle d’Abdel Abdoul Mahdi, actuel ministre des Finances et membre du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII), la plus importante formation de la coalition chiite. C’est pour «préserver l’unité de l’Alliance» qu’Abdel Abdoul Mahdi aurait choisi de se retirer. Mais les raisons exactes de sa démission ne sont pas claires et certains membres de son entourage laissent même entendre que cette décision n’est pas définitive.
Cette incertitude s’ajoute aux nombreux obstacles qui se dressent sur la route d’Al Jaafari. Le choix du Premier ministre doit non seulement être endossé par le futur président irakien et ses deux vice-présidents, qui seront désignés à la majorité des deux tiers par l’Assemblée nationale transitoire, mais être également approuvé par cette dernière à la majorité simple. Or, la personnalité d’Ibrahim Al Jaafari ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique, comme le montrent les critiques qui n’ont pas tardé à fuser après l’annonce de sa désignation par l’Alliance. Imad Chebib, adjoint de l’actuel Premier ministre irakien, a ainsi insisté sur le fait qu’Ibrahim Al Jaafari devait «se comporter en Irakien» et ne pouvait pas être «fidèle à un autre pays», faisant ainsi référence aux liens qu’il entretient avec l’Iran. C’est dans ce pays que cet homme natif de Kerbala s’est réfugié au cours des années 80 pour échapper la répression meurtrière exercée par le régime de Saddam Hussein contre les chiites. Il appartenait depuis l’âge de 17 ans au parti al-Daaoua, l’une des formations chiites les plus anciennes du pays. Et ce médecin est parti s’installer en 1989 en Grande-Bretagne, où ses cinq enfants vivent toujours.
Ibrahim Al Jaafari a été l’un des premiers dirigeants de l’opposition irakienne à regagner Bagdad après la chute du régime de Saddam Hussein. Il a également été le premier président du Conseil de gouvernement mis en place par les Américains. Son ton posé lui vaut d’être perçu comme un homme plutôt modéré et il jouit d’une grande popularité en Irak, un sondage d’opinion réalisé l’année dernière indiquant qu’il était la troisième personnalité chiite la plus influente d’Irak, après le grand ayatollah Ali Sistani et le chef radical Moqtada Sadr. Une personnalité qui tranche fortement avec celle d’Ahmad Chalabi, autre prétendant au poste de Premier ministre. Figure marquante de l’opposition en exil à Saddam Hussein, Ahmad Chalabi était l’un des hommes sur lesquels les Etats-Unis comptaient s’appuyer pour instaurer un régime démocratique. Mais il est depuis tombé en disgrâce à leurs yeux et reste terriblement impopulaire en Irak. Une situation qui ne l’empêche pas de rêver de mener l’action du gouvernement
L’inquiétude des KurdesDéfenseur d’un islam conservateur, Ibrahim Al Jaafari a mené campagne lors des discussions sur la Loi fondamentale irakienne pour que l’islam soit considéré comme la seule source de loi. Et les thèses défendues par son parti al-Daaoua suscitent la crainte de ceux qui refusent de voir l’Irak devenir une République islamiste. C’est le cas notamment des Kurdes qui ont réaffirmé clairement mercredi leur opposition à un tel régime. «Nous sommes certes un peuple musulman et on doit respecter notre identité musulmane mais on ne peut opposer la religion à la démocratie», a expliqué Adnane Mofti, membre du bureau politique de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) dirigée par Jalal Talabani. «Ce que veulent les Kurdes, c’est un régime républicain fondé sur le principe de l’alternance au pouvoir, avec un système parlementaire, une séparation des pouvoirs et une séparation de la religion de l’Etat», a-t-il ajouté.
Cette mise au point laisse augurer de négociations difficiles entre les différentes composantes politiques de l’Irak. Les élections du 30 janvier ont accouché d’une chambre parlementaire au sein de laquelle les Kurdes ont obtenu 75 sièges, gagnant ainsi un rôle d’arbitre dans la vie politique irakienne. Sans eux, l’Alliance chiite ne peut pas espérer dégager la majorité parlementaire nécessaire à l’adoption de décisions essentielles pour l’avenir du pays. Et dans l’équilibre politique imaginé au sortir des urnes, Jalal Talabani pourrait même se voir confier le poste de président irakien, flanqué de deux vice-présidents chiite et sunnite. Toutes les communautés irakiennes seraient ainsi représentées au sommet de l’Etat.
Soucieux de donner l’image d’un rassembleur, Ibrahim Al Jaafari a notamment tenu à rassurer ces dernières semaines les sunnites qui ont choisi de massivement boycotter les élections du 30 janvier. «Si notre liste obtient de nombreux votes, cela ne veut pas dire que nous voulons un système chiite en Irak. Si nous gagnons, nous exercerons le pouvoir en tant qu’Irakiens et non seulement en tant que chiites, et nous ferons participer d’autres communautés», avait-il ainsi expliqué avant le scrutin. Et il doit désormais réussir à convaincre l’ensemble des acteurs politiques de ce pays de ses bonnes intentions pour réussir à devenir le Premier chef de gouvernement irakien désigné par une assemblée élue de l’ère post-Saddam Hussein.
par Olivier Bras
Article publié le 16/02/2005 Dernière mise à jour le 16/02/2005 à 17:34 TU