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Kirghizistan

L’opposition prend le pouvoir

Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées jeudi 24 mars dans les rues de Bichkek, la capitale kirghize.(Photo: AFP)
Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées jeudi 24 mars dans les rues de Bichkek, la capitale kirghize.
(Photo: AFP)
Le président Askar Akaïev a choisi de fuir face au mouvement de protestation grandissant qui secouait son pays. Plusieurs milliers de manifestants s’étaient rassemblés jeudi dans la capitale kirghize pour réclamer sa démission. Ils ont réussi à prendre le contrôle du siège du gouvernement, puis de la télévision et enfin de la présidence. Seulement quelques heurts entre forces de l’ordre et manifestants ont été signalés au cours de cette journée qui a vu le renversement dans la douceur du président Akaïev, au pouvoir depuis quinze ans. La Cour suprême kirghize a annoncé que les résultats contestés des dernières élections législatives n’avaient pas été enregistrés et que le Parlement précédent retrouvait donc ses compétences.

Le scénario maintes fois vécu par différents pays de l’Est s’est répété jeudi en Asie Centrale. En l’espace de quelques heures, l’opposition kirghize descendue dans la rue a réussi à s’emparer du pouvoir en prenant successivement le contrôle des points névralgiques du pays. Les milliers de manifestants rassemblés dans le centre de Bichkek pour demander la démission du président Askar Akaïev ont tout d’abord réussi à pénétrer dans le siège du gouvernement. Des policiers équipés de boucliers anti-émeutes ont bien tenté de les repousser mais ils ont été rapidement débordés et ont choisi de battre en retraite. Quelques minutes après l’entrée des premiers manifestants dans le siège du gouvernement, des portraits du président Akaïev étaient jetés par les fenêtres, un geste salué par la foule réunie à l’extérieur du bâtiment, tout comme l’entrée solennelle de l'un des principaux leaders de l’opposition, Kourmanbek Bakiev.

Des manifestants se sont ensuite dirigés vers les locaux de la télévision d’Etat. Après en avoir pris le contrôle, ils ont commencé à diffuser leurs informations et à montrer des images des événements en cours. Devant les caméras, Kourmanbek Bakiev déclarait : «Le président doit voir combien de gens demandent sa démission et partir de lui-même». Après s’être rendu dans la matinée au siège de la présidence, baptisé la Maison Blanche, Askar Akaïev était à ce moment-là introuvable. Des responsables kirghizes ont ensuite expliqué qu’il avait rencontré dans sa résidence privée située hors de la capitale des représentants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Et alors que la Maison Blanche tombait à son tour entre les mains de l’opposition, l’agence russe Interfax annonçait que le président s’était envolé avec sa famille vers le Tadjikistan, une information confirmée par l’opposition.

Le départ à l’étranger d’Akaïev devrait permettre au Kirghizstan d’éviter toute explosion de violence. Selon un bilan encore provisoire, les heurts entre manifestants et forces de l’ordre n’auraient fait qu’une trentaine de blessés. Plusieurs témoins indiquent que les policiers ont refusé d’utiliser la force contre les manifestants, certains d’entre eux se joignant même à la foule pour demander le départ du pouvoir d’Akaïev. Un scénario pacifique encouragé par l’une des figures emblématiques de cette journée, Felix Koulov. Cet ancien vice-président avait été emprisonné en 2000 après être passé dans le camp de l’opposition. Il a retrouvé jeudi sa liberté et a invité, devant les caméras de télévision, le président Akaïev à accepter une transition pacifique et constitutionnelle. «J’appelle à ne pas se venger et à ne recourir en aucune manière à la force», a ajouté M. Koulov.

Les craintes de la Russie

Après la révolution des Roses en Géorgie et la révolution orange en Ukraine, Moscou redoute qu’un troisième pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) ne vive un renversement politique. Le ministère russe des Affaires étrangères a d’ailleurs demandé dans une déclaration que le Kirghizstan retrouve «le terrain de la légalité». «Il est indispensable s’assurer le plus rapidement possible l’application de la Constitution du Kirghizstan, de se garder de toute action faisant peser un risque sur la paix et de restaurer l’ordre», indique le communiqué du Kremlin.

Un retour en arrière semble cependant difficile et l’opposition, après plusieurs semaines de lutte, devrait bientôt pouvoir savourer sa victoire. Sa colère a été déclenchée par les résultats des récentes élections législatives. L’opposition n’avait obtenu que six des 75 sièges que compte le Parlement monocaméral, soit quatorze de moins que dans la chambre précédente. Des résultats immédiatement dénoncés par ses principaux dirigeants qui ont dénoncé des fraudes électorales, leurs accusations se fondant notamment sur les premières conclusions de l’OSCE. Ses observateurs ont fortement critiqué le déroulement de ce scrutin, en estimant notamment que le premier tour n’avait pas été conforme aux normes démocratiques. Après les événements qui ont secoué jeudi le pays, le président de la Cour suprême kirghize, Kourmanbek Osmonov, a annoncé que les résultats de ce scrutin contesté ne seraient pas enregistrés, l’ancien Parlement retrouvant ainsi ses compétences.

C’est dans le sud du pays, une région qui avait déjà connu des affrontements communautaires violents dans les années 90, que la colère et le mécontentement se sont tout d’abord fait entendre. La semaine dernière, des manifestants avaient notamment pris le contrôle du siège du gouverneur de la région d’Och. Refusant de remettre en cause les résultats électoraux, Askar Akaïev s’était contenté de dénoncer un complot ourdi de l’étranger. Et cet homme arrivé au pouvoir en 1990 nourrissait l’espoir de pouvoir raisonner l’opposition, son Premier ministre anticipant une série de pourparlers. Sa stratégie a échoué, le mouvement de protestation mettant fin au pouvoir de cet homme qui pensait conserver le fauteuil présidentiel jusqu’aux élections prévues à l’automne.


par Olivier  Bras

Article publié le 24/03/2005 Dernière mise à jour le 25/03/2005 à 12:10 TU

Audio

Sophie Malibeaux

Journaliste au service international de RFI

«L’opposition estime que le pouvoir a usé de moyens frauduleux pour remporter les élections.»

[23/03/2005]

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