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Kirghizistan

Des législatives, prélude à une Révolution de velours ?

Le président Akayev a de bonnes raisons de s’inquiéter d’une possible révolution chez lui.(Photo: AFP)
Le président Akayev a de bonnes raisons de s’inquiéter d’une possible révolution chez lui.
(Photo: AFP)
Ce dimanche, le Kirghizstan élisait ses 75 députés. Le scrutin inquiète le président Askar Akaïev. Contesté notamment pour la corruption dont profite son clan, il sait qu’une «révolution non violente» peut être organisée dans cette ancienne République soviétique d’Asie centrale, en particulier à la faveur de la présidentielle d’octobre ou il ne devrait pas se représenter.
De notre envoyé spécial à Bichkek, Régis Genté

Ces derniers jours, le pouvoir kirghize semblait paniquer. A l’approche des législatives du 27 février, le président Akaïev a durci le ton. Des radios ont été empêchées d’émettre, l’imprimerie de la presse d’opposition a été mystérieusement privée d’électricité, des candidats ont été rayés des listes…Voilà près d’un an et demi, depuis la «Révolution des roses» géorgienne, qu’Askar Akaïev met en garde contre ces «technologies financées de l’extérieur» qui sévissent dans l’ancien espace soviétique. De fait, ces inquiétudes sont justifiées. Le scrutin de ce dimanche a des airs de répétition, avant la présidentielle d’octobre prochain où le président Akaïev, 61 ans, a répété qu’il ne se représenterait pas.

Elu en 1991, Askar Akaïev ne peut légalement pas briguer un troisième mandat. Son bilan contrasté en fait un «candidat» pour une «révolution non violente» sur le modèle de celles qui ont chassé du pouvoir le Serbe Slobodan Milosevic, en 2000, le Géorgien Edouard Chevardnadze, en novembre 2003, et l’Ukrainien Leonid Koutchma, en décembre dernier. Sans doute que là non plus, dans cette ancienne République soviétique d’Asie centrale située à la frontière chinoise, les Etats-Unis ne verraient pas d’un mauvais oeil une «transition du pouvoir non violente» en faveur d’un dirigeant pro-occidental. Ils disposent d’une base militaire sur place depuis l’intervention en Afghanistan de 2001.

«Le Kirghizistan demeure relativement tolérant»

En se comportant comme un démocrate dans les années 90, ce qui lui a valu le soutien des puissances occidentales et des grandes organisations internationales, Askar Akaïev n’a pas fait du Kirghizstan une dictature comme c’est le cas en Ouzbékistan et au Turkménistan voisins. Et cela, malgré le net tournant autoritaire d’après 1999 et notamment l’emprisonnement de Félix Koulov, le principal rival du président. «Toutefois, le Kirghizistan demeure relativement tolérant et fort peu policier tout en ayant su préserver la stabilité», explique l’écrivain René Cagnat, ancien attaché de défense français dans la région, désormais installé dans le pays. Pour autant, la corruption dont l’entourage présidentiel ne s’est pas privé ont fait d’Akaïev un nom souvent haï par les cinq millions d’habitants de la République marquée par la pauvreté.

Les Kirghizes vivent en moyenne avec 40 euros par mois. Ces dernières semaines, les articles de la presse d’opposition concernant la corruption ont causé du tort au pouvoir. Notamment ceux du journal MSN, aujourd’hui poursuivi en diffamation. «Il faut préciser que les médias d’opposition, à l’image de ceux qui soutiennent le pouvoir, ont souvent des pratiques bien peu conformes a la déontologie du journalisme», fait remarquer Nicolas Ebnother, qui dirige Internews au Kirghizstan, une organisation américaine qui assure une formation au journalisme et surveille le déroulement de la campagne au plan médiatique.

Le président Akaïev a de bonnes raisons de s’inquiéter d’une possible révolution chez lui. Les ingrédients de la recette qui ont renversé ses homologues serbe, géorgien et ukrainien apparaissent peu a peu. La volonté internationale de contraindre Bichkek à ne pas frauder, ce qui pourrait lui coûter le pouvoir, s’affirme de plus en plus. Ce qui vaut a l’ambassadeur des Etats-Unis au Kirghizstan, Stephen Young, de régulières remontrances des autorités kirghizes. L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) déploie 200 observateurs. Les organisations, américaines notamment, qui soutiennent le déroulement «libre et transparent» du scrutin, comme pour les trois révolutions mentionnées, sont a l’œuvre, la Freedom House ou le National Democratic Institute entre autres. Officiellement il ne s’agit que d’encourager des élections propres. Mais ce sont elles qui aident, financièrement et techniquement, un puissant rassemblement d’organisations non gouvernementales kirghizes, la Coalition pour la démocratie et la société civile, également chargée de surveiller le vote. Un mouvement étudiant, Kel Kel, aux étranges airs du Kmara géorgien ou du Pora ukrainien vient également de se créer.

Apprendront-ils la leçon des fameux étudiants d’Otpor, ce mouvement serbe qui fut l’un des principaux artisans de la chute de Slobodan Milosevic ? «Je veux les faire venir pour des raisons humanitaires», reconnaît Edil Baisalov, le jeune et enthousiaste président de la Coalition pour la démocratie et la société civile. «Il s’agit que le sang ne coule pas et que nous sachions conduire un mouvement parfaitement pacifiste. Je suis en train de chercher de l’argent pour qu’ils assurent des formations ici», ajoute-t-il.

Tous ces ingrédients ne permettent pas d’affirmer catégoriquement qu’une révolution non violente renversera le clan Akaïev dont plusieurs représentants se présentent aux élections, à commencer par la fille et le fils du président. «Le courage et l’intelligence de notre opposition, estime Edil Baisalov, vont jouer un rôle capital.» La nécessaire unité de l’opposition est l’une des principales inconnues de l’avenir kirghize. Des figures émergent. Comme celle de l’ancien Premier ministre Kurmanbek Bakiev. Du coté du pouvoir comme de ses opposants, chacun a manifestement bien étudié le fonctionnement des «révolutions de velours». Si grande bataille il doit y a voir, ce sera probablement pour la présidentielle d’octobre.


par Régis  Genté

Article publié le 27/02/2005 Dernière mise à jour le 22/03/2005 à 11:56 TU