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France-Japon

Désaccord persistant entre Paris et Tokyo

En visite officielle au Japon, Bernadette et Jacques Chirac sont reçus par l'empereur Akihito et l'impératrice Michiko.(Photo : AFP)
En visite officielle au Japon, Bernadette et Jacques Chirac sont reçus par l'empereur Akihito et l'impératrice Michiko.
(Photo : AFP)
Pendant sa visite de trois jours au Japon, Jacques Chirac a vu un tournoi de sumo, visité l’exposition universelle d’Aichi et rencontré les plus hautes autorités de l’Etat japonais. Si, avec la lutte, le plaisir était au rendez-vous, en revanche sur le plan politique, le président français reste sur sa faim car le Japon ne lui a rien cédé.

Le voyage officiel de Jacques Chirac au Japon s’est terminé par un déjeuner, lundi, avec l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko. Déjeuner à connotation protocolaire car depuis la Seconde Guerre mondiale, l’empereur ne fait plus de politique.

Profitant auparavant d’une intervention devant patrons français et japonais, Jacques Chirac a relancé sa campagne en faveur d’une taxe internationale pour financer la lutte contre le sida. Cette première « contribution de solidarité internationale » pourrait être prélevée « sur le kérosène ou sur les billets d’avion, ou les deux », a indiqué le chef de l’Etat français. « Plus de trois millions de vies sauvées chaque année, voilà l’enjeu. Ces idées progressent », s’est-il réjoui. L’Allemagne, le Brésil, le Chili et l’Espagne sont pour, les Etats-Unis sont contre, le Japon est réservé.  

Sur le plan politique, le président français n’a rien obtenu des autorités japonaises. Plusieurs pays européens veulent construire le réacteur expérimental Iter, sur un site voué au nucléaire, dans le sud de la France. Ce projet a l’appui des Russes et des Chinois. Le projet a été bloqué pendant longtemps car le Japon s’est lui aussi positionné, avec son site de Rokkasho-mura, pour construire ce prototype consacré à la fusion nucléaire. Les spécialistes estiment qu’elle représente peut-être l’énergie de demain.

La rivalité sur Iter

Les Américains et les Sud-Coréens soutiennent le projet japonais. Jacques Chirac le sait, et a déclaré à l’occasion d’un symposium sur le développement durable : «La France, et avec elle l’Europe, souhaite la participation du Japon au programme de coopération internationale IterJe ne doute pas qu’un accord sur ce point puisse être trouvé rapidement entre l’Union européenne et le Japon », a encore déclaré le président français. A l’issue d’un long entretien avec lui, le Premier ministre japonais a pour sa part annoncé que son pays n’avait «nullement l’intention de renoncer. Nous sommes convenus de poursuivre nos pourparlers en la matière pour parvenir à une solution qui soit acceptable pour nos deux parties », a encore indiqué Junichiro Koizumi.

Le Japon reste ouvert à la négociation mais n’a rien cédé. la semaine dernière, avant le voyage de Chirac au Japon, les dirigeants de l’UE avaient annoncé leur intention de commencer la construction d’Iter avant la fin de cette année. Un délai, jusqu’en juillet est prévu pour que le Japon puisse encore rejoindre le projet européen. Une visite au Japon du commissaire européen à la Recherche est d’ailleurs prévue dans les jours à venir. Janez Potocnik doit y rencontrer le ministre des Sciences et de la Technologie Nariaki Nakayama pour tenter une fois encore de rallier le Japon au projet européen. Selon une source diplomatique nippone, cette initiative a été bien accueillie par Junichiro Koizumi. Les deux camps ont tout intérêt à s’entendre car le projet Iter est très coûteux. Il est estimé à 10 milliards d’euros sur 30 ans. La seule construction du réacteur, qui devrait s’étaler sur 10 ans, coûtera 4,57 milliards d’euros.

L’embargo et l’équilibre en Asie

L’autre sujet de tension entre l’Europe et le Japon évoqué à l’occasion de la visite du président français, c’est la levée de l’embargo européen sur les armes vendues à la Chine. La mesure avait été prise après la répression de la place Tian an Men il y a plus de quinze ans. Jacques Chirac s’est prononcé pour la levée de cet embargo, estimant qu’elle est « légitimement revendiquée » par Pékin. « La décision de l’Union européenne n’est pas de nature à changer les exportations d’armes ou de technologies sensibles vers la Chine dans la mesure où elles sont soumises à des contraintes et des règles qui ne peuvent être enfreintes », a déclaré le président français à l’issue d’un entretien avec Junichiro Koisumi.

Malgré l’argument, le Japon, inquiet, se montre inflexible. Il ne veut pas entendre parler de la levée de cet embargo. « La région Asie-Pacifique pourrait perdre son équilibre militaire si les technologies avancées de l’Union européenne étaient transférées à la Chine. Ce serait une situation extrêmement inquiétante pour le Japon et les Etats-Unis », a souligné le journal conservateur Yomiuri Shimbun. «Pour l’UE, la Chine qui connaît une forte croissance économique, est un marché attractif», remarque le quotidien.

Un rapport qui tombe à pic

Alors que le désaccord persiste entre Paris et Tokyo sur cet embargo, un rapport a été publié au dernier jour de la visite du président Chirac. Il tombe à pic pour mettre en garde le gouvernement japonais contre l’essor militaire de la Chine. Ce rapport, élaboré par l’Institut national des études de défense, dépendant du ministère japonais de la Défense mais n’exprimant pas forcément le point de vue du gouvernement, ce rapport donc, souligne que «les perspectives d’équilibre stratégique entre Taiwan et la Chine deviennent de plus en plus incertaines. La Chine a continué de moderniser son armée tandis que Taiwan n’a pas pu se procurer d’armements à cause d’obstacles politiques».

Ce rapport s’inquiète également de l’éventuelle levée de l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Chine. «Nous ne pensons pas que la levée de l’embargo signifierait que des armes de pointe européennes seraient immédiatement transférées en Chine. Mais il conduirait probablement à ce que diverses technologies militaires parviennent en Chine sans que nous puissions les détecter», a expliqué l’un des auteurs de l’étude. Selon ce chercheur, qui s’est exprimé sous couvert de l’anonymat, la levée de l’embargo mettrait les Européens en concurrence avec les Russes sur le marché de la défense chinois. Cela pourrait entraîner les Russes à vendre du matériel bon marché (ou au contraire très sophistiqué) aux Chinois afin de l’emporter sur les Européens.

Au cours de son entretien avec le président français, le Premier ministre japonais avait évoqué le décalage entre les moyens militaires de son pays et ceux de la Chine. Tandis que le Japon diminue ses dépenses militaires depuis trois ans, la Chine augmente les siennes de 10 % par an depuis dix ans.


par Colette  Thomas

Article publié le 28/03/2005 Dernière mise à jour le 28/03/2005 à 16:22 TU