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Amérique latine

L’Eglise catholique en perte d’influence

Le pape et Fidel Castro, le 21 janvier 1998, à La Havane. Jean-paul II a invité les catholiques cubains à <I>«ne plus avoir peur»</I>.(Photo: AFP)
Le pape et Fidel Castro, le 21 janvier 1998, à La Havane. Jean-paul II a invité les catholiques cubains à «ne plus avoir peur».
(Photo: AFP)
Avec plus de 528 millions de fidèles, l’Amérique latine est la région la plus catholique au monde. Et même si elle voit l’influence du catholicisme se réduire au profit d’autres religions ou sectes, elle continue d’occuper une place prépondérante au sein de l’Eglise romaine. A tel point que les noms de différents cardinaux latino-américains sont avancés pour prendre la succession de Jean-Paul II.

La décision de Jean-Paul II de réaliser sa première visite à l’étranger à Saint-Domingue et au Mexique en janvier 1979 démontre l’importance que représentait l’Amérique latine pour le défunt pape. Elle constituait à ses yeux la «terre de l’espérance», une région dans laquelle l’Eglise catholique pouvait prétendre conserver un rôle déterminant. Et le Mexique, deuxième pays catholique au monde, incarnait particulièrement cet espoir. Le pape Jean-Paul II s’y est d’ailleurs rendu cinq fois durant son pontificat, canonisant lors de son dernier voyage sur place en juillet 2002 un paysan indien, Juan Diego, qui a eu des apparitions de la Vierge de Guadalupe au XVIe siècle. Un symbole culturel et religieux très fort pour Karol Wojtyla, un homme qui a dédié toute sa vie à la Vierge Marie.

Sur les 104 déplacements qu’il a réalisés hors d’Italie, il s’est rendu 18 fois en Amérique latine, n’oubliant aucun pays de cette région qui abrite plus de la moitié de la population catholique mondiale. Des voyages au cours desquels il ne s’est pas contenté de défendre la place et le rôle de l’Eglise, n’hésitant pas à intervenir dans des sphères beaucoup plus politiques. Il a ainsi réalisé une médiation très importante en 1979 entre le Chili et l’Argentine, au bord d’un affrontement armé à cause d’un différent territorial. Et il parvenait en 1998, après de longues années de démarches infructueuses, à obtenir enfin le droit de se rendre à Cuba. Reçu par Fidel Castro, il plaide en faveur de la levée des sanctions économiques qui visent l’île et invite les catholiques cubains à «ne plus avoir peur». Des propos interprétés par certains comme un appel à renverser l’un des derniers bastions communistes du monde et à lutter contre l’homme qui le dirige depuis plus de quarante ans, Fidel Castro.

Le danger évangélique

«L’Amérique latine s’imposa à Jean-Paul II comme une préoccupation de premier plan dès son élection, dans la mesure où les Eglises nationales y étaient confrontées à deux défis qui mettaient en jeu l’avenir même de la catholicité», estime Olivier Compagnon, spécialiste du catholicisme latino-américain au XXe siècle, dans une tribune publiée jeudi par Libération. Le premier a été la lutte contre la Théologie de la libération, née à la fin des années 60. L’un de ses pères était le théologien péruvien Gustavo Gutierrez qui défendait «l’option préférentielle pour les pauvres». Ce courant vise à créer une société plus juste et plus fraternelle en permettant aux déshérités de se libérer des maux dont ils souffrent. Une théorie très influencé par la pensée marxiste que choisit de combattre Jean-Paul II.

«Le pape voyait ce mouvement avec l’optique d’un Polonais ayant combattu le nazisme et le stalinisme: il voulait maintenir une Eglise fortement unie, traditionnelle, devant être une force s’opposant à ce type de régimes», estime le théologien brésilien Leonardo Boff, un homme sanctionné par les autorités doctrinales du Vatican qui lui ont intimé «silence et obéissance». Le pape redoutait alors la diffusion de cette doctrine dans le premier pays catholique au monde et plus largement en Amérique latine, une région secouée par les luttes sociales et politiques. Et il alla même jusqu’à adresser publiquement une réprimande au ministre nicaraguayen de la Culture, le père Ernesto Cardenal, qui avait défié une interdiction du Vatican en acceptant de participer au gouvernement révolutionnaire de son pays. Pour Leonardo Boff, le pape «s’est convaincu qu’en Amérique latine, le danger était le marxisme, alors que le véritable danger a toujours été le capitalisme sauvage et colonialiste, avec ses élites anti-populaires et rétrogrades».

Si la Théologie de la libération a connu un net déclin ces dernières années, la lutte menée par le Vatican contre les religieux les plus militants a clairement contribué à l’émergence d’autres mouvements en Amérique latine qui concurrencent désormais l’Eglise romaine. C’est notamment le cas en Amérique centrale où les églises évangéliques, venues des Etats-Unis, ont gagné beaucoup de poids depuis le début des années 90. Au Guatemala, par exemple, les évangéliques revendiquent désormais 30% des fidèles du pays, contre 18% voilà vingt-cinq ans. Le discours de certaines de ces églises qui promettent aux plus pauvres le bonheur terrestre en échange de prières ferventes et de donations conséquentes rencontrent un succès grandissant, le pourcentage de Latino-Américains se déclarant catholiques ne cessant de décliner. Et pour Mgr Cipriano Calderon, secrétaire de la commission pontificale pour l’Amérique Latine, il s’agit d’un «phénomène très grave nécessitant une réponse urgente et responsable».

Un pape latino ?

L’une des solutions pour enrayer cette chute serait, de l’avis de différents dignitaires catholiques, l’élection d’un pape provenant de cette région. «L’hypothèse d’un pape latino-américain, plus sensible au problème de la terre et à la quotidienneté de la misère outre-Atlantique doit être prise en considération», estime également Olivier Compagnon. Une éventualité qui se heurte cependant à la faible influence des représentants latino-américains au sein de l’Eglise catholique. Car bien qu’elle abrite 528 millions de catholiques sur 1,1 milliard dans le monde, l’Amérique latine ne compte que 21 cardinaux au sein du conclave chargée d’élire le pape, un chiffre très faible en comparaison avec les 58 cardinaux européens. Et comme sur les autres continents, il n’existe pas de cohésion derrière un cardinal.

Cette situation réduit considérablement les chances des différents cardinaux latino-américains pressentis pour prendre la succession du pape. Le nom du Brésilien Claudio Hummes, archevêque de Sao Paulo, est fréquemment cité. Agé de 70 ans, cet homme a été l’un des artisans de la théologie de la libération avant d’épouser des thèses plus conservatrices. Invité à dresser le portrait du successeur de Jean-Paul II, Claudio Hummes a expliqué que cette personnalité devait être capable de montrer qu’elle était «au service de l’humanité, en particulier des pauvres et des plus exclus».

Parmi les prétendants se trouvent également le cardinal hondurien Oscar Rodriguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa, l’Argentin Jorge Mario Bergoglio, le Mexicain Norberto Rivera Carrera, le Chilien Francisco Javier Errazuriz et le Cubain Jaime Ortega y Alamino, archevêque de La Havane depuis 1981. «Un candidat latino-américain n’aura une chance que s’il parvient à capter, en plus de ceux des Latinos-Américains, ceux des Nord-Américains et de quelques dissidents ou opposants à Rome, comme les Français», estime David Gutierrez, directeur de communication du conseil épiscopal latino-américain dans une interview accordée au quotidien El Nuevo Herald. Et de l’issue des tractation en cours dépend la possibilité pour le sous-continent de voir enfin l’un des siens devenir le chef de l’Eglise catholique.


par Olivier  Bras

Article publié le 07/04/2005 Dernière mise à jour le 26/04/2005 à 09:56 TU