Union européenne
Le projet Bolkestein remanié
(Photo : AFP)
La proposition phare de l’eurodéputée allemande Evelyne Gebhardt est d’abord d’abandonner le principe du pays d’origine. Ce principe prévoyait qu’un artisan, fournissant des services dans d’autres pays de l’Union que son pays d’origine, resterait soumis à la loi de son pays à lui, aussi bien pour le salaire que pour la protection sociale ou les cotisations-retraite. L’arrivée en Suède de travailleurs du bâtiment Lituaniens, et faisant concurrence au secteur du bâtiment suédois, avait soulevé des protestations et montré les effets de la libéralisation des services bien avant que Frits Bolkestein soit sous les feux de la rampe. Devant le tollé général, le chantier a été stoppé, les Lituaniens sont rentrés chez eux. Leurs salaires, leur statut n’ont pas été alignés sur le système suédois.
Cette affaire a été la première à montrer les futurs effets de la directive Bolkestein, prévoyant de libéraliser les services à l’intérieur de l’Union. Ensuite, les syndicats européens se sont emparés de la question. Et les hommes politiques aussi, notamment les Français partisans du «non» à la Constitution. Avec le nouveau traité constitutionnel, expliquaient-ils, l’Europe allait être de moins en moins sociale. La preuve en était faite. La directive Bolkestein fût enterrée. Mais Bruxelles doit faire de nouvelles propositions pour ne pas écarter les dix nouveaux pays membres du marché que représente l’Europe de l’Ouest.
Le marché du travail sera tiré vers le haut
Evelyne Gebhardt propose tout d’abord de remplacer le principe du pays d’origine par le principe de «reconnaissance mutuelle qui permet à un acteur économique qui assure un service dans un autre Etat membre, conformément à la législation de ce dernier, de fournir sans entrave le même service dans un autre Etat membre». La réalisation d’un travail dans le secteur des services, hors du pays auquel ce travail est commandé, se fera donc dans les conditions sociales les plus intéressantes après comparaison entre les deux pays. Les syndicats devraient apprécier : le marché du travail en Europe sera tiré vers le haut plutôt que vers le bas. On ne parle plus de dumping social.
La protection des consommateurs, la protection de l’environnement sont exclues du champ de la future directive. Et bien sûr le droit du travail, les conditions de travail, les rémunérations, les mesures de sécurité et de santé au travail. L’auteur du rapport propose également que la directive «ne s’applique pas aux services d’intérêt général», ce que le texte faisait déjà en partie. Les services publics sont directement visés par ce point. Bruxelles est également en train de préparer une autre réglementation qui pourrait mettre fin, en France par exemple, au monopole des transports détenus par la SNCF ou la RATP. On murmure dans la capitale européenne que la montée en puissance de cette réforme-là a été mise en sourdine en raison du risque de refus de la Constitution européenne par les Français.
Le texte couvrira ce qui est purement commercial
D’autres secteurs d’activités seront exclus du champ d’action de la nouvelle directive comme les services relatifs à la sécurité d’approvisionnement, les secteurs qui concernent la cohésion territoriale et sociale, ou encore l’éducation, la diversité culturelle, les services audiovisuels, la sécurité sociale, la santé, et même les jeux d’argent… Le nouveau texte couvrira uniquement ce qui est purement commercial. Il prévoit par ailleurs une harmonisation des règles des différents pays dans cinq ou six «domaines», ce que la Commission avait jusqu’à présent refusé.
Le rapport de l’eurodéputée allemande prévoit quelques exceptions, notamment lorsqu’une entreprise d’un pays donné travaillera quelques jours seulement dans un autre pays. Une manière de laisser la porte ouverte à ceux qui critiqueront ce recul draconien et qui veulent toujours que les prestations de services s’exportent sans aucune entrave à l’intérieur de l’Union. Pour la Commission européenne, ce rapport «est une bonne base ; nous voulons travailler de manière constructive avec le Parlement européen d’ici la séance plénière de septembre», a déclaré le porte-parole du Commissaire chargé du Marché intérieur, Charlie McCreevy.
L’Allemagne est déjà confrontée, sur son propre marché du travail, à l’arrivée de main-d’œuvre bon marché venant d’Europe de l’Est. Un groupe de travail vient de faire des propositions pour freiner le dumping social, découvert en particulier dans le monde des abattoirs. Petit à petit, tous les travailleurs allemands ont été remplacés par des Polonais, moins bien payés, et contraints de prendre le statut de travailleur indépendant. Ce système exclut les congés payés, et oblige à cotiser soi-même pour avoir une protection sociale et des droits à la retraite.
Un SMIC en Allemagne ?
Au moment où les dix nouveaux pays sont entrés dans l’Union européenne, l’Allemagne avait obtenu une dérogation pour limiter, pendant sept ans, l’arrivée de ressortissants de ces pays nouvellement intégrés. Comme cette législation est contournée, Berlin envisage d’étendre à tous les secteurs d’activité économique une loi qui encadre déjà le travail dans le secteur du bâtiment et dans celui de la marine marchande. Cette loi prévoit que le droit allemand du travail s’applique aux entreprises étrangères qui envoient leurs salariés travailler en Allemagne. Cette loi de 1997, a également instauré un salaire minimum qui met ces salariés venus d’ailleurs à égalité avec les travailleurs Allemands. Le projet d’étendre cette loi à d’autres secteurs d’activité pour lutter contre le dumping social a fait réagir le patronat car en Allemagne, contrairement à la France, il n’existe pas de salaire minimum légal imposé dans tous les secteurs d’activité.
par Nazim Ayadat, Colette Thomas
Article publié le 14/04/2005 Dernière mise à jour le 21/04/2005 à 14:45 TU