Génocide arménien
La Turquie propose une « commission-vérité » à l’Arménie
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Ankara
Mettre fin au cercle vicieux de la rancœur et de la vengeance pour ne pas léguer aux générations futures le fardeau de haine et d’incompréhension qui définit les relations turco-arméniennes depuis des décennies : c’est le message que veut transmettre le président de la commission parlementaire des Affaires étrangères Mehmet Dülger après la signature dans un bel ensemble de tous les chefs de parti d’un appel à en finir une bonne fois pour toutes avec « la question du génocide ». « Ce sera très utile à tout le monde », explique ce député du parti AKP au pouvoir, et d’abord bien sûr à la Turquie qui montre ainsi au monde sa « bonne volonté » et « tend la main » à ses détracteurs. « Nous sommes en paix avec notre histoire », a expliqué le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gül dans une longue adresse à la session plénière de l’Assemblée nationale, reconnaissant que la Turquie n’avait pas jusque là donné assez d’importance à la nécessité de s’expliquer et d’ouvrir ses archives pour faire la lumière sur cette question empoisonnée.
La contre-attaque ne manque pas de panache, avec d’abord l’annonce d’une lettre du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan envoyée directement au président arménien Robert Kotcharian – les deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques – et dont le contenu n’a pas été dévoilé. « Il s’agit d’une invitation » personnelle à régler ce différend, suppose Mehmet Dülger. Abdullah Gül a lui-même appelé le gouvernement arménien à s’asseoir à la table d’une « commission vérité » mixte dont la composition reste à définir entre les deux parties. La réponse ne s’est pas fait attendre : immédiatement, le ministre arménien des Affaires étrangères Vardan Oskanian a accusé la Turquie de « vouloir réécrire son histoire de manière éhontée et de vouloir la propager dans les autres pays ». La « nouvelle approche » du gouvernement turc dont la presse soulignait le caractère « historique », faite de volonté de transparence et de dialogue direct est-elle alors vouée à l’échec ? Les tentatives ces derniers mois existaient, dans le plus grand secret, elles ont avorté à l’initiative des Arméniens souligne le député de l’opposition Onur Öymen.
Brandissant un livre opportunément publié le même jour, il révèle aux députés turcs que « L’armée a décidé de déclassifier les archives secrètes de l’état-major des forces armées impériales ». Il en lit un extrait à la tribune du Parlement, citant le commandant de la IIIe Armée, Mustafa Kamil Pacha qui raconte comment ses troupes, harcelées sur l’arrière par les « bandes arméniennes », doivent choisir entre dégarnir leurs lignes de front (contre la Russie) ou procéder à « l’évacuation » de ces éléments. « Nous avons beaucoup de documents, nous savons désormais comment se sont passées les choses, si d’autres pays ont également des archives intéressantes, nous sommes prêts à les étudier », explique-t-il non sans cynisme : « mais les Arméniens refusent d’ouvrir leurs archives d’Erevan et de Boston, pourquoi ? » Le parlement turc lance un appel au monde : « Il faut aller au bout de la recherche des réalités, tout le monde doit faire face à ces réalités, les Turcs, les Arméniens les autres, les pays qui ont manipulé les Arméniens aussi contre les Turcs en prêtant leurs uniformes aux militants arméniens », allusion à peine voilée à la Russie, notamment.
Faire preuve de sa « bonne volonté »
Autre initiative spectaculaire : l’appel des députés turcs au parlement britannique pour qu’il reconnaisse avoir fait oeuvre de propagande en publiant des ouvrages orientés et calomnieux comme le « Livre bleu », dont la version visant l’Allemagne fut par la suite désavouée par le gouvernement britannique. Jeudi le journal turc Radikal craignait que la Turquie ne se ridiculise avec de telles exigences ; il suggérait plutôt de documenter le sort des disparus arméniens du reste du territoire de l’Empire, pas seulement ceux des provinces en guerre. Le chef de la diplomatie turque argumente que la définition par les Nations unies en 1948 du crime de génocide ne recoupe pas les faits survenus en Anatolie, mais appelle les nations occidentales à jouer, elles aussi, cartes sur table.
Ankara aura ainsi fait preuve de sa bonne volonté et de sa disponibilité à « normaliser ses relations avec l’Arménie » et à faire un « travail de mémoire », comme le lui demandent les Européens. Même si, pour le député de l’AKP au pouvoir Hasan Kara, « cette affaire n’a rien à voir avec l’ouverture ou la non ouverture des discussions d’adhésion à l’Union européenne ». Européens qui, bien souvent, ont jugé sans avoir participé à cet effort scientifique, regrette Onur Öymen, rappelant la visite du président de l’Assemblée nationale française en Turquie, en février dernier, et demandant que la Turquie se prête au jeu d’une conférence internationale, alors que la France a déjà reconnu le génocide en 2001. À vrai dire, les Turcs ne semblent pas se faire trop d’illusions. « La réponse à cette main tendue, au bout du compte, ne compte guère. Nous, nous aurons ouvert nos archives et demandé que ce problème cesse d’être un problème politique, qu’on sorte du domaine de la politique car les faits historiques doivent être jugés par les historiens à la lumière des documents et des renseignements historiques. Nous, nous avons fait preuve de notre volonté à ce que le problème soit résolu », explique Hasan Kara, comme si tout s’arrêtait là.par Jérôme Bastion
Article publié le 15/04/2005 Dernière mise à jour le 18/04/2005 à 18:10 TU