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République démocratique du Congo

Persistance de l’insécurité dans l’Ituri

Dans l'Ituri, les armes continuent à circuler et les populations vivent toujours sous la menace des milices.(Photo : AFP)
Dans l'Ituri, les armes continuent à circuler et les populations vivent toujours sous la menace des milices.
(Photo : AFP)
Le lac Albert, séparant l’Ouganda de la République démocratique du Congo, voit une lente reprise de l’activité économique. Le district de l’Ituri, dans le nord-est de la RDC, n’est pourtant pas encore venu à bout des différentes milices qui opèrent dans la zone et le lac est toujours le siège d’un important trafic d’armes. La Mission des Nations unies au Congo (Monuc), et l’armée congolaise travaillent pourtant de concert depuis plus d’un mois à la pacification de cette zone cruciale de l’Ituri.

Le cadre est idyllique. Une plaine à la végétation abondante s’enfonçant dans le lac, avec pour toile de fond la chaîne des monts Bleus. Quelques barques de pêcheurs voguent paisiblement sur l’eau en cette matinée ensoleillée. En apparence, pas de trace des nouvelles violences qui ont éclaté au mois de décembre, faisant fuir la population dans des camps de déplacés à Kafé et Tché, à une trentaine de kilomètres de Bunia, chef-lieu du district de l’Ituri, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC). De Bunia, grâce à la réhabilitation de la route, il ne faut plus qu’une heure et demi pour rejoindre les abords du lac, en tutoyant deux ravins escarpés que les habitants ont baptisés : « salamu na bwana » (adieu mon mari, en kiswahili) et « salamu na bibi » (adieu ma femme). Des soldats des Forces armées de la RDC (FARDC) sont déployés tout au long de cet axe. 

On y croise quelques commerçants transportant leurs marchandises à pieds, à vélo, à moto ou en pick-up. Dans la ville de Tchomia, fief du Parti pour l'unité et la sauvegarde de l'intégrité du Congo (Pusic, de l’ethnie hema), un atelier de menuiserie, installé sur une plage, fabrique des barques. Oumène, un homme d’une vingtaine d’années, explique qu’il lui faut deux jours pour construire l’une de ces embarcations. « Avec la guerre, il était de plus en plus difficile de se procurer du bois, c’est grâce à l’ONG Agro Action Allemande (AAA), qui nous fournit le matériel, que nous pouvons travailler », poursuit-il. L’ONG les paie 30 dollars la barque. Les embarcations sont ensuite offertes à des pêcheurs. L’activité économique reprend vie progressivement.

Poursuite du trafic

Mais le lac reste une zone de trafic très difficile à contrôler. « Nous avons des informations sur la poursuite du trafic d’armes sur le lac, mais nous n’avons pas pu intercepter de cargaisons, nous n’en avons pas les moyens », explique un fonctionnaire des Nations unies, sous couvert d’anonymat. En dépit d’un embargo imposé par l’Onu, la majorité des armes (mines, lance-roquettes, fusils d’assaut…) arrivent de l’aéroport d’Entebbe en Ouganda, l’armée ougandaise soutenant tour à tour la plupart des milices d’Ituri. Le point d’entrée en RDC, sur le lac, serait notamment la ville de Joo, à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Bunia. Mais une arrestation, début avril, pourrait avoir perturbé le fonctionnement de ce trafic, florissant depuis le début, en 1999, de la guerre entre Hema et Lendu – deux ethnies qui ensemble représentent 40% de la population de l’Ituri –, alimentée par des pays voisins.

Le chef du Pusic, appelé chef Kawa, a été arrêté par la Monuc,  à la demande de la justice congolaise. « On le soupçonne d’avoir été l’un des principaux trafiquants d’armes de la région, ayant toutes ses entrées à Kampala et ayant approvisionné toutes les milices », raconte un humanitaire en poste à Bunia. Depuis l’assassinat de neuf casques bleus bangladais le 25 février, la Monuc a intensifié ses opérations militaires contre les milices, entraînant une accélération du processus de désarmement volontaire, lancé en septembre 2004 : à ce jour, plus de 10.000 miliciens ont déposé les armes. Il resterait 2.500 combattants armés dans le district selon la Monuc, chargée du processus en collaboration avec la Commission nationale de désarmement. Les rives du lac ont été le théâtre de violences, de décembre à mars, entre les milices de l'Union des patriotes congolais (UPC, un groupe hema), et du Front des nationalistes et des intégrationnistes (FNI, un groupe lendu). Plusieurs villages ont été rayés de la carte.

Fin des « tracasseries »

« Nyamamba était un important centre de négoce, où vivaient beaucoup de pêcheurs (…). Tout a été détruit », explique Basegere Dekana, père de 15 enfants. Après plusieurs mois d’errance de camp de déplacés en camp de déplacés, il est pourtant revenu dans ce village réduit en poussière, avec plusieurs centaines d’autres personnes. « Je suis un pêcheur et ma vie est au bord du lac. Il fallait que je revienne ici. Ma famille est restée dans le camp, elle me rejoindra quand j’aurai retrouvé un toit », confie-t-il assis sur une plage où sont plantées quelques cabanes de bambous. Sous l’une d’elle, trois militaires se reposent sur des bacs de bières vides, l’arme posée à terre. Quelques plages du lac Albert ont vu débarquer, début mars, des militaires des FARDC, issus de la première brigade intégrée, incluant des éléments de tous les ex-groupes armés de la guerre qui a fait rage entre 1998 et 2002 dans le pays. Dans la zone 475 hommes sont déployés.

Le commandant Jacques Sangina relate fièrement les succès de ses hommes : « Nous avons fait fuir les milices. Depuis notre arrivée, elles ne tracassent plus la population et beaucoup ont rendu les armes. » En charge de la sécurité du camp de déplacés de Tché et des environs, où 11.000 personnes sont regroupées au bord de l’eau, victimes d’une épidémie de choléra, le commandant Sangina affirme même avoir fait fuir des milices qui « trafiquaient sur le lac ». Mais il faudrait la contribution de forces navales en grand nombre pour espérer juguler un tel trafic. La Monuc, basée notamment à Kasenyi et Tchomia au bord du lac, évoque depuis quelque temps la nécessité de créer une unité fluviale. Mais les moyens lui font pour l’instant défaut.


par Pauline  Simonet

Article publié le 16/04/2005 Dernière mise à jour le 16/04/2005 à 12:25 TU