Congo démocratique
Représailles onusiennes en Ituri
(Photo : AFP)
Depuis des mois et parfois même des années, de nombreux villages de la région sont régulièrement la cible de raids des miliciens qui se disputent les richesses de l’Ituri, en agitant des étendards communautaires opposant en particulier Lendu et Hema. Depuis 1999 – et la montée en puissance des marchands d’armes en Ituri –, la militarisation d’anciens conflits de souveraineté économique aurait fait plus de 50 000 morts et plus de 500 000 déplacés, toutes actions des groupes armés et toutes communauté confondues. Mardi, ce n’était pas des civils, mais souvent leurs enfants-soldats, «au moins une cinquantaine de miliciens, qui ont été tués pendant cette opération, qui a combiné l'intervention de blindés au sol et d'un hélicoptère d'attaque», selon le porte-parole militaire de la Monuc, le lieutenant-colonel Dominique Demange.
La réplique onusienne a frappé non loin de Loga, au nord-est de Bunia, dans le fief du principal accusé de l’embuscade du 25 février, le Front nationaliste et intégrationniste (FNI) présidé par Floribert Njabu Ngabu. Ce dernier a été arrêté lundi à Kinshasa par les autorités congolaises, qui ont également placé en résidence surveillée deux de ses «généraux». Ce FNI est la branche politique d’un Front révolutionnaire pour l’Ituri (FRPI) qui revendique 20 000 hommes, un mouvement à dominante lendu, créé par l’Ouganda et plus précisément par les forces militaro-affairistes liées à la famille Museveni et implantées dans la région depuis le milieu des années 90. Début 2003, le retrait des troupes ougandaises avait vu le FNI se rapprocher de Kinshasa. Le 11 décembre 2004, deux de ses chefs, Germain Katanga et Goda Sukpa, ont été intégrés, avec grade de général, dans la l’armée nationale, les Forces armées congolaises (FARC), en cours de formation. Depuis lundi, ils sont sous bonne garde au Grand-Hotel de Kinshasa, qui les héberge avec les nouveaux «généraux» des FARC issus de quatre autres milices de l’Ituri.
Outre les hommes du FNI, le Grand-Hôtel sert de caserne à Floribert Kisembo, qui appartient à l'Union des patriotes congolais (UPC), un groupe armé à dominante hema fondé en 2000 par Thomas Lubanga. Ce dernier avait quitté le giron ougandais en janvier 2003 pour obtenir le soutien de Kigali et contrôler Bunia grâce à une alliance avec le RCD-Goma. Egalement au Grand-Hotel, en attendant un commandement dans la nouvelle armée nationale, Jérôme Kakwavu Bakonde, un rwandophone du Masisi, dissident de l’UPC, qui a fondé avec l’appui de l’Ouganda les Forces armées du peuple congolais (FAPC). Celles-ci opèrent en Ituri, dans les villes frontalières de l’Ouganda, Aru et Mahagi. Ychali Gonza, enfin, du Parti pour l'unité et la sauvegarde de l'intégrité du Congo (Pusic), formé au début de 2003 par un jeune chef hema, Yves Kahwa Panga, dissident lui aussi de l’UPC. Le Pusic contrôle des territoires à l’est de Bunia, sur la rive du lac Albert, avec des soutiens ougandais.
Passibles de la Cour pénale internationale
«Tous ces chefs de bande ont été promus dans le but de décapiter les milices d'Ituri qui se sont livrées à des atrocités sur les populations civiles. En contrepartie de cette promotion, ils devaient engager leurs troupes dans le processus national de désarmement, ce qu'ils ne font pas. Certains continuent au contraire à attiser la haine à distance», explique un observateur des Nations unies à l’Agence France Presse. Tous sont en tous cas passibles de la Cour pénale internationale au regard des exactions très documentées dont différentes organisations humanitaires les tiennent pour personnellement responsables. En attendant, la Monuc vient de sanctionner de manière fracassante le FNI qui opère dans la zone où elle a essuyé l’une des plus grandes pertes de son histoire. Mais, de fait, toute l’opération de la Monuc repose sur ce genre d’arrangements.
Comme celle des anciens groupes rebelles à Kinshasa et des autres milices dites maï-maï, l’intégration des seigneurs de guerre de l’Ituri (dans le jeu militaire et politique fondé sur le partage du pouvoir de Sun-City) était censée neutraliser au moins provisoirement leur capacité de nuisance. L’accord inclusif tente en effet d’associer dans la transition les prédateurs d’un Congo balkanisé par les siens, mais aussi, et surtout, par une multitude de mains extérieures. La politesse faite aux chefs des micro-partis armés de l’Ituri résulte en fait largement du souci international de mettre la poussière sous le tapis, dans l’espoir que les élections promises en juin prochain autorisent de passer ouvertement la «patate chaude» à un hypothétique pouvoir congolais.
La Monuc n’a pas de stratégie de rechange
La zone où vient d’intervenir la Monuc est située sur un plateau surplombant la ville de Kafé, où plus de 8 000 déplacés ont trouvé refuge après la recrudescence des attaques des groupes armés qui continuent de les harceler, comme ils le font en tout lieu où peut se trouver quelque bien à piller. «Pour protéger les civils, il fallait nettoyer le plateau des miliciens», explique la Monuc. Pour autant, ce même motif pourrait être invoqué à tout moment dans l’ensemble de cette vaste région. Mais au-delà d’une riposte circonstanciée à l’assassinat des casques bleus, la Monuc n’a visiblement pas de stratégie de désarmement de rechange. Jusqu’à présent, au Kivu par exemple, le désarmement «volontaire» des rebelles rwandais promis au tribunal pénal international n’a pas avancé d’un pouce.
Au Katanga, l'opération «arme à feu contre vélo», lancée en janvier dernier par une organisation œcuménique basée à Kinshasa, a buté la semaine dernière sur des batailles rangées qui ont fait huit morts. En Ituri, le programme «spécifique» de désarmement de l’Onu (fondé sur des arrangements avec les chefs connus des groupes armés) lancé en septembre 2004 serait parvenu à démobiliser péniblement 3 300 miliciens sur les 15 000 plus ou moins recensés. L’état-major congolais a reçu 200 millions de dollars de la Banque mondiale pour intégrer ceux qui le voudraient. Mais pour le moment les effets du pactole ne sont nullement concrets sur le terrain..
Au-delà de la responsabilité directe éventuelle des locataires du Grand- Hotel dans les événements du 25 février, nul n’est en mesure de garantir l’autorité des uns et des autres sur les groupes dont ils revendiquent le contrôle. Et, à chaque fois que quelque part dans le vaste Congo, un chef de guerre a rejoint la table des convives de la transition, d’autres se sont levés pour réclamer leur part ou, plus prosaïquement, se servie avec leur fusil. En outre, régulièrement atomisées par quelque rivalité intestine, les factions armées lancent plus loin les métastases d’un cancer humanitaire. Visiblement, l’Onu croyait pouvoir tenir ses hommes à l’écart du mortel danger qui menace chaque vie congolaise, à tout instant, dans cet immense chaos propice à tous les trafics et à tous les abus de pouvoir ou de force.
Faute de mieux, la «Monuc et les partenaires internationaux» tiennent donc pour responsables «les chefs politiques et militaires des groupes armés qui continuent de refuser le programme de désarmement et de réinsertion - mis en place par la Commission Nationale de Désarmement et de réinsertion» et demandent leur arrestation. Pour sa part, le chef militaire du FNI, Etienne Lona, s'est rendu de lui-même mardi aux forces de l'Onu, visiblement peu pressé de risquer sa vie dans les représailles onusiennes. A Kinshasa, un concert d’hommages unanimes a salué mardi la mémoire des casques bleus «tombés pour la paix». Les quatre vice-présidents qui représentent les anciens belligérants des deux premières guerres du Congo avaient fait le déplacement au siège de la Monuc. Le ministre congolais de la Défense, Adolphe Onusumba s’est pour sa part rendu à Bunia ce week-end pour promettre que justice militaire sera faite.
«Après avoir commis des crimes de guerre contre nos soldats, achevé les blessés, les miliciens ont commis des crimes contre l'humanité en utilisant des populations civiles comme boucliers humain», déclarait l’état-major de la Monuc à Kinshasa, mercredi, en annonçant la poursuite des ratissages. Pour sa part, la transition a ouvert une enquête et 3 000 soldats congolais devraient être envoyés en Ituri. En attendant de nouveaux bruits de bottes, les 70 000 déplacés de la région pansent leurs plaies, dans le plus grand dénuement. Les organisations humanitaires ont interrompu leur aide mardi, .pour cause d’insécurité.
par Monique Mas
Article publié le 02/03/2005 Dernière mise à jour le 02/03/2005 à 18:03 TU