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Ethiopie

L’obélisque d’Axoum restitué par l’Italie

Le gardien de la plaine des obélisques d’Axoum, Atobrhane Gebrewaad, espère que le retour de la stèle attirera de nombreux touristes.(Photo : AFP)
Le gardien de la plaine des obélisques d’Axoum, Atobrhane Gebrewaad, espère que le retour de la stèle attirera de nombreux touristes.
(Photo : AFP)
Le premier élément de l’obélisque d’Axoum, dérobé par les troupes mussoliniennes en 1937, est arrivé à Axoum par avion ce mardi.

Après soixante ans de vaines promesses italiennes et de longues querelles diplomatiques, le fameux obélisque d’Axoum quitte enfin Rome pour rentrer en Ethiopie et retrouver ainsi la place qu’il n’aurait jamais du quitter. En 1937, le dictateur italien Benito Mussolini avait voulu célébrer à sa manière le quinzième anniversaire de la «marche sur Rome» des chemises noires fascistes, par le vol du principal symbole de l’histoire et de l’identité du royaume pré-chrétien d’Axoum, qu’il a fait placer devant le ministère des Colonies (devenu ensuite le siège de la FAO), et célébrer ainsi son éphémère «empire africain».

La stèle haute de 25 mètres a dû être coupée en trois morceaux, pour pouvoir être transportée par avion jusqu’à Axoum. Le premier segment a quitté lundi soir Rome, à bord d’un avion cargo Antonov (An-124) – loué en Ukraine – pour atterrir tôt le lendemain matin sur le petit terrain d’aviation d’Axoum, qui ne dispose même pas d’une couverture radar. Ainsi le plus grand avion du monde – il mesure 69,1 m, peut transporter jusqu’à 120 tonnes et dispose d’une autonomie d’environ 5 000 km – a pu effectuer la première rotation Rome-Axoum, apparemment sans encombre. Dans l’indifférence totale des Italiens mais pour la plus grande satisfaction des Éthiopiens, à commencer par le Premier ministre Meles Zenawi, lui-même originaire de la ville voisine d’Adua, symbole de la plus grande victoire remportée en 1896 par une armée africaine contre les envahisseurs italiens.

«L'obélisque appartient à notre héritage, il fait partie de nous», a expliqué la semaine dernière Ledtu Ayalew, porte-parole d'un mouvement d'opposition, la Coalition pour l'unité et la démocratie (CUD). Quant au gouverneur de la région du Tigré, il a fait savoir il y a quelques jours que des milliers de personnes se dirigeaient déjà vers Axoum, la capitale historique du royaume, afin d’accueillir dignement la stèle enfin restituée. Avant même que le premier élément de l’obélisque n’ait quitté Rome. Une façon de forcer quelque peu la main au gouvernement de Silvio Berlusconi, qui récemment s’est montré très réticent à restituer une stèle que ses prédécesseurs ont mille fois promis de remettre à son légitime propriétaire ?

C’est en effet en 1947, lors de la signature du traité mettant fin à la deuxième guerre mondiale, que l’Italie a promis à l’empereur Hailé Sélassié de restituer l’obélisque d’Axoum. A ses frais et dans les dix-huit mois. Le présent italien Oscar Luigi Scalfaro, lors d’un voyage à Addis Abeba, l’avait de nouveau proclamé solennellement, il y a une dizaine d’années, devant la foule d’Addis Abeba. Entre temps, le «negus negesti» (roi des roi) Sélassié avait néanmoins obtenu, non sans peine, la restitution de la célèbre statue du Lion de Judas ; et, impuissant face à la bureaucratie romaine dirigée par de vieux coloniaux peu repentis, semblait résigné à laisser la stèle d’Axoum au beau milieu d’un rond-point romain, minée par la pollution avant d’être sérieusement endommagée par la foudre.

Finalement, ce sont ses successeurs qui ont eu gain de cause, en dépit de l’opposition de l’ancien ministre de Berlusconi Vittorio Sgarbi, qui a tout fait pour empêcher la restitution de la stèle, soulignant que cela risquait de coûter cher à l’Italie.

Etat préoccupant

L’Italie s’est en effet engagée à couvrir le coût de cette opération plutôt compliquée et délicate, qui comprend, outre le transport par avion, la restauration de l’obélisque et surtout sa réinstallation sur un socle digne de la plus belle stèle (funéraire ?) vieille d’au moins dix-sept siècles, au cœur de l’ancien royaume d’Axoum, au milieux de celles qui ne l’ont jamais quitté. Une opération qui s’annonce longue, chère et difficile.

Car il faut d’abord que les différents segments de la stèle soient rassemblés et ensuite transportés, par camion, jusqu’à la plaine des obélisques, située à quelques 4 kilomètres de l’aéroport d’Axoum, qui est l’un des sites les plus intéressants de la planète, car, selon certains archéologues, le royaume d’Axoum était non seulement l’héritier de mythique royaume de Saba, mais presque aussi important que celui de Rome ou de Perse. Cette tâche revient officiellement à l’Unesco, mais son financement est assuré par la Coopération italienne, qui l’avait chiffré à sept millions d’euro il y a quelques mois. Aujourd’hui on avance plutôt le chiffre de dix millions d’euro, mais ce n’est qu’une simple évaluation.

La plaine des obélisques d’Axoum est en effet dans un état plutôt préoccupant : une soixantaine d’obélisques s’y trouvent, mais la plupart d’entre eux gisent par terre, parfois brisés en plusieurs morceaux, tous à moitié recouverts par de hautes herbes. D’autres penchent dangereusement, mais, pour le moment, sont toujours debout. L’Italie craint-elle d’avoir à dépenser à Axoum autant d’argent qu’elle a dépensé à Pise, pour redresser quelque peu sa fameuse tour ?

Les Éthiopiens, espèrent, après avoir fêté comme il se doit le retour au bercail de la stèle d’Axoum, qu’elle puisse attirer des touristes du monde entier. Le gardien de ce site, Atobrhane Gebrewaad, cité par le Corriere della Sera, se plaint que seuls deux ou trois groupes par jour visitent Axoum. Mais il est vrai que l’on peut visiter seulement la tombe du roi Remhai, auquel on doit l’obélisque volé par Mussolini. Alors que, juste en face du site, se trouve la basilique de Sainte Marie de Sion, où les empereurs se faisaient couronner, qui comprend en réalité plusieurs églises. On ne visite véritablement que la plus moderne, ouverte à tous. Les autres, qui contiennent de véritables trésors (dont des icônes polychromes de grande valeur) sont interdites aux femmes. Quant à la fameuse chapelle qui, selon tradition, abriterait l’Arche de l’Alliance bâtie par Moïse lui même et arrivée (on ne sait comment) à Axoum mille ans avant J.-C., elle est interdite à tout le monde.


par Elio  Comarin

Article publié le 19/04/2005 Dernière mise à jour le 19/04/2005 à 13:11 TU