Chine-Japon
Les tensions s’exacerbent
(Photo : AFP)
Rien ne va plus entre Pékin et Tokyo. La visite du ministre des Affaires étrangères japonais, Nobutaka Machimura, en Chine n’y a rien changé. Sa rencontre avec le conseiller d’Etat Tang Jiaxan s’est soldée par un échec. Chacun est resté sur ses positions concernant le différend qui oppose les deux pays. Tokyo qui souhaite, en effet, obtenir des excuses après les manifestations anti-nippones organisées depuis quelques semaines, s’est heurté à un refus ferme de Pékin. Le gouvernement chinois estime qu’il s’agit de «manifestations spontanées» qui ne justifient en aucune manière de présenter des excuses.
De nombreux rassemblements ont, en effet, été organisés en Chine pour protester contre l’édition au Japon d’un manuel scolaire dans lequel les exactions commises par ce pays, lors de l’occupation de la Chine entre 1931 et 1945, sont minimisées. De nombreux bâtiments abritant des entreprises ou des institutions japonaises ont ainsi été attaqués. Et les manifestants ont provoqué des détériorations importantes. Cette flambée de violences montre à quel point les drames du passé sont prêts à ressurgir plus de cinquante ans après les faits.
Pour les autorités chinoises, cette crise est la plus importante depuis 1972, date à laquelle le Japon et la Chine ont établi des relations diplomatiques. Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Wu Dawei, a expliqué la dégradation des relations avec le Japon et l’expression du mécontentement populaire en Chine par le fait «que le gouvernement japonais ne traite pas correctement la question historique de l’invasion de la Chine». Du point de vue de Pékin, les excuses officielles présentées en 1995 par le Japon ne sont pas suffisantes. Les Chinois veulent obtenir une reconnaissance plus importante. Ils ont donc déclaré qu’ils allaient demander à l’Unesco l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unité 731, au même titre que le camp de concentration d’Auschwitz ou le mémorial de la paix d’Hiroshima. C’est dans ce centre, installé dans la province de Heilongjiang, au nord-est de la Chine, que les Japonais ont procédé dans les années 30 et 40, à des expériences inhumaines sur des prisonniers chinois pour mettre au point des armes biologiques. Plus de 3 000 personnes y sont mortes, sans parler des 200 000 Chinois tués par les armes élaborées dans cette prison-laboratoire.
Contentieux historique, intérêts économiques, enjeu géopolitiqueCette démarche est annoncée alors même que la cour d’appel de Tokyo vient de rendre un jugement qui rejette les demandes d’excuses et d’indemnisations déposées par des survivants ou des familles de victimes de l’Unité 731. Cette décision confirme les précédents jugements rendus dans des affaires similaires par les tribunaux japonais qui se fondent sur une jurisprudence selon laquelle les accords conclus d’Etat à Etat empêchent les individus de prétendre à des réparations à titre personnel. S’il n’est pas inédit, ce jugement rendu au moment où la crise sino-japonaise est à son apogée, risque néanmoins de ne rien arranger.
De la même manière, la détermination du Premier ministre japonais à poursuivre les pèlerinages, qui le mènent tous les ans sur le sanctuaire patriotique du Yasukuni dans lequel repose des criminels de guerre japonais, constitue une autre pomme de discorde entre les deux Etats. Junichiro Koizumi qui est, pour cette raison, persona non grata à Pékin, ne semble pas s’en émouvoir plus que ça. Il a même appelé les Chinois à devenir «plus adultes» et à garder «la tête froide». Il est vrai que le contentieux historique n’a pas empêché la Chine et le Japon de faire preuve de bon sens économique et de devenir, ces dernières années, d’importants partenaires commerciaux. Leurs échanges représentent actuellement plus de 22 milliards de yens. Aucun des deux pays n’a donc intérêt à s’empêtrer dans la crise.
Mais c’est peut-être parce que les rivalités sino-japonaises dépassent le cadre de l’enjeu historique que la discorde prend une telle ampleur. D’autres questions très importantes, dont les retombées sont à la fois économiques et géopolitiques, provoquent en effet des affrontements entre les deux Etats. D’une part, Pékin revendique une souveraineté chinoise sur les îles Diaoyu (Senkaku en japonais) qui sont entourées de hauts-fonds marins riches en gaz et peut-être en pétrole. Ce qui n’est pas pour plaire à Tokyo. D’autre part, la déclaration commune des Etats-Unis et du Japon qui ont qualifié, en février 2005, la sécurité dans le détroit de Taiwan d’«objectif stratégique commun», a été ressentie par Pékin comme une ingérence dans sa politique intérieure. Mais surtout, la revendication du Japon d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas du goût de la Chine, qui est pour le moment la seule puissance asiatique à faire partie du cercle des Etats qui disposent d’un droit de veto.
par Valérie Gas
Article publié le 19/04/2005 Dernière mise à jour le 19/04/2005 à 18:13 TU