Eglise catholique
Benoît XVI, théologien brillant et conservateur
(Photo: AFP)
L’homme qui, selon ses proches, n’aspirait qu’à une retraite méritée après une longue carrière au service de l’Eglise, a visiblement abandonné de bon cœur ses rêves de tranquillité. C’est en effet un Benoît XVI radieux, heureux d’avoir obtenu la confiance de ses pairs, qui s’est présenté devant les fidèles réunis place Saint-Pierre de Rome à l’occasion de sa première apparition en tant que pape. Un Benoît XVI à l’air bienveillant, se présentant comme «humble travailleur dans la vigne du Seigneur», bien loin de l’image de grand inquisiteur que ses détracteurs se plaisent à lui coller. Car conservateur, le cardinal Joseph Ratzinger l’était indubitablement. A la tête pendant vingt-quatre ans de la puissante Congrégation pour la doctrine de la foi –Jean-Paul II l’a immanquablement reconduit à cette fonction tous les cinq ans depuis 1981, signe s’il est était besoin de la confiance qui lui témoignait pour la défense du dogme–, ce brillant théologien n’a jamais hésité à se montrer inflexible pour défendre ses convictions. «La bonté implique aussi la capacité de savoir dire non», se plaisait-il à rappeler.
Ce non, le cardinal Ratzinger l’a asséné à quiconque osait s’engager dans le très périlleux chemin de modernisation de l’Eglise. Il fut ainsi à l’origine de la plupart des procès intentés contre des théologiens d’avant-garde et quelque 140 d’entre eurent à subir ses foudres. «Plus une religion s’assimile au monde, plus elle devient superflue», n’a-t-il cessé de défendre. Le courant de la «théologie de la libération» en vogue en Amérique latine, première terre du catholicisme, a fait les frais de son rigorisme dès le début des années 80. Joseph Ratzinger a en effet violemment critiqué les lectures rationalisantes de la Bible qui réduisent, selon lui, l’histoire du Christ à celle d’un libérateur social et politique. «Certes les chrétiens doivent réaliser leur foi dans la vie politique et sociale, surtout dans les contextes de pauvreté et d’injustice. Mais la politisation de la théologie et la théologisation de la politique sont des dérives dangereuses et inacceptables», a-t-il encore récemment déclaré.
Le cardinal Ratzinger dont le nom est associé depuis plus de deux décennies au conservatisme catholique et à l’intransigeance doctrinale s’est montré encore plus inflexible sur la question de l’homosexualité. Un document du Vatican signé de sa main a appelé en 2003 à «leur devoir moral» les hommes politiques catholiques afin qu’ils s’opposent par tous les moyens au mariage homosexuel. Les deux thèmes de l’avortement et de l’euthanasie, ardemment dénoncés par son prédécesseur, ont également fait l’objet de vigoureuses critiques de sa part. C’est ainsi qu’en 1999, il a qualifié la pilule abortive de «perversion de la médecine», de «moyen de tuer avec lequel on ne s’aperçoit même pas que l’on tue». L’une de ses dernières croisades a été menée contre le «féminisme radical» qu’il a accusé de saper les valeurs familiales et d’atténuer les différences entre les sexes. Autant dire que ce n’est pas sous le règne de Benoît XVI que des femmes seront ordonnées prêtres.
Le Panzer Kardinal a aussi été modernisteAlors que l’inlassable prêcheur qu’était Jean-Paul II a, durant tout son pontificat, jeté des ponts vers les autres religions et tendu la main aux autres branches du christianisme, le cardinal Ratzinger a également fait preuve de conservatisme dans ce domaine. Dans Dominus Iesus, un document publié en 2000, il a ainsi affirmé la primauté de l’Eglise catholique romaine, refusant aux autres églises chrétiennes le nom d'églises sœurs. Cette réaffirmation de l'universalité exclusive de l'Eglise catholique avait suscité la même colère chez les anglicans, les orthodoxes et les protestants qui se voyaient renvoyés au rang de secte.
Mais celui que ses détracteurs ont surnommé le Panzer Kardinal n’a pas toujours été aussi rigoriste. Certains de ses étudiants –ce théologien de renom a enseigné plusieurs années à l’université de Tübingen– osent même le qualificatif de progressiste pour désigner le penseur «moderniste» qu’il était à ses débuts. Joseph Ratzinger a en effet joué un rôle de premier plan au concile Vatican II où il fut le peritus –l’expert– du cardinal Frings, archevêque de Cologne. Ironie de l’histoire, c’est lui qui rédigea le célèbre discours dans lequel Joseph Frings qualifia la Congrégation pour la doctrine de la foi –dont il présidera aux destinées pendant près d’un quart de siècle– de «source de scandales». A cette époque, il est également l’un des piliers de la revue Communio qui défend l’idée d’une ouverture de l’Eglise mais ancrée dans la tradition. Le vent de contestation qui gagne en 1968 les facultés de théologie marquera cependant un tournant. L’agitation qui frappe l’Europe le pousse à évoluer vers des thèses plus conservatrices pour défendre les valeurs catholiques face au désordre social. «Il a mal vécu la révolte des étudiants considérant qu’elle menait au chaos et dès lors il a défendu des positions conservatrices», explique l’un de ses anciens élèves.
A Marktl, en Allemagne, la maison où a grandi Joseph Ratzinger, futur pape Benoît XVI. (Photo : Manu Pochez/RFI) |
L’arrivée en 1978 sur le trône de Saint-Pierre de Karol Wojtyla, avec qui il entretenait depuis plusieurs années déjà une correspondance suivie, le destine tout naturellement à une carrière au Vatican. Dès le début de son règne, Jean-Paul II lui proposera d’ailleurs le poste prestigieux de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il refusera et tiendra bon jusqu’en 1981 avant de rejoindre la curie romaine et commencer la longue carrière qui fut la sienne au Vatican. Une carrière dont le point d’orgue a été son élection mardi 19 avril 2005 à la succession de Saint-Pierre.
par Mounia Daoudi
Article publié le 20/04/2005 Dernière mise à jour le 22/04/2005 à 17:12 TU