Equateur
Le président Gutierrez renversé
(Photo : AFP)
De notre correspondante dans la région (Lima)
«La dictature est terminée. C’est la fin de l’arrogance et de la peur. Aujourd’hui, le peuple équatorien a décidé de refonder une République digne». Les mots d’Alfredo Palacio ont du mal à s’imposer face à l’agitation qui règne autour de lui en ce mercredi 20 avril. Le vice-président équatorien vient de prêter serment devant les députés réunis en session extraordinaire. A 66 ans, il remplace Lucio Gutierrez à la tête de l’Etat, comme le prévoît la Constitution.
Il aura fallu moins d’une heure au Congrès national pour destituer le président et nommer son remplaçant. Soixante des soixante-deux députés présents ont ainsi voté la fin du mandat de M. Gutierrez, estimant qu’il avait renoncé à ses fonctions en «ignorant la Constitution» et en ne respectant pas l’indépendance des pouvoirs institutionnels. Acceptant le vote, les forces armées ont, à leur tour, retiré leur soutien à M. Gutierrez qui a tenté de fuir avant d'en être empêché.
Plus de 30 000 manifestants à Quito
Le peuple équatorien a donc finalement eu raison de son président. Depuis une semaine, ils étaient des milliers à réclamer son départ dans les rues de Quito, la capitale, mais aussi à Guayaquil, au sud du pays. Mardi soir, point culminant de la mobilisation, on enregistrait plus de 30 000 manifestants dans la capitale. Les Equatoriens reprochaient ainsi à Lucio Gutierrez ses «dérives dictatoriales», l’accusant de vouloir contrôler les pouvoirs législatif et judiciaire.
La décision présidentielle de destituer 27 des 31 membres de la Cour suprême de justice (CSJ) en décembre avait mis le feu aux poudres en décembre mais la crise a pris une nouvelle ampleur au début du mois d’avril, quand la nouvelle CSJ a annulé les poursuites judiciaires envers l’ancien président Abdala Bucaram. Accusé de corruption après avoir été renversé en 1997, l’homme jusque-là en exil a pu rentrer au pays en toute impunité. Un retour que n’ont pas supporté nombre d’Equatoriens.
Radicalisation des manifestations
Ne répondant à aucun leader politique, des milliers d’adultes, enfants, étudiants sont alors descendus dans les rues de Quito tous les jours depuis le 13 avril pour protester et réclamer la démission de Lucio Gutierrez. Apolitique et pacifique, le mouvement s’est toutefois radicalisé dans la nuit de mardi à mercredi quand les plus jeunes ont cherché à atteindre le Palais du gouvernement. Un mouvement réprimé violemment par les autorités. Les affrontements avec les forces de l’ordre et l’usage massif de gaz lacrymogène ont fait un mort et plus de cent blessés cette nuit-là.
L’arrivée à Quito, mercredi matin, de nombreux groupes pro-Gutierrez laissait présager de nouvelles violences dans la capitale. Les députés de l’opposition ont donc précipité les choses et ont réuni le Congrès en session exceptionnelle pour voter une motion contre le président. Rejetant ce vote, Lucio Gutierrez a fini par abandonner le palais de Carondelet avec l’apparente intention de rejoindre sa femme et sa fille à Panama. Des manifestants auraient pourtant empêché son avion de décoller et permis son arrestation. La juge Cecilia de Armas a ainsi annoncé que l’ex-président était accusé d’«avoir ordonné à la police et aux militaires de sortir réprimer les manifestants». Mercredi soir, il s’était réfugié dans l’ambassade du Brésil à Quito, le président brésilien lui ayant accordé l’asile diplomatique. Elu en janvier 2003, M. Gutierrez devient ainsi le troisième président renversé par le peuple depuis 1997.
« Tous dehors »
«Désormais, nous devons apprendre à respecter la Constitution, que la situation nous plaise ou non», a déclaré Jaime Nebot, le maire de Guayaquil, insistant sur «la nécessité d’un retour à l’ordre et à la démocratie» dans l’ensemble du pays. Mercredi soir, Quito restait pourtant en état de siège.
Accompagné de chefs militaires, le nouveau président a déclaré être le «seul espoir» du pays en cette période de crise et demandé qu’on lui laisse un peu de temps pour réorganiser l’exécutif. Il a en outre assuré qu’il ne dissoudrait pas le Congrès, comme le réclamait la foule, car ce serait un «acte dictatorial» et anticonstitutionnel.
«Je ne suis pas un homme politique mais un simple médecin», a tenu à affirmer Alfredo Palacio. La question est désormais de savoir si cela suffira à rassurer les manifestants qui ne pardonnent pas à la classe politique son attitude passive des derniers mois. «Tous dehors», criaient encore mercredi les Equatoriens qui semblent attendre beaucoup plus que le seul départ du chef de l’État.
par Chrystelle Barbier
Article publié le 21/04/2005 Dernière mise à jour le 21/04/2005 à 16:00 TU