Togo
Face-à-face tendu à la veille de la présidentielle
(Photo: AFP)
De notre envoyé spécial à Sokodé
Le face-à-face n’a duré que quelques secondes, le temps pour chaque camp de ramasser des pierres et de brandir des gourdins. Puis, une clameur s’élève et une pluie de cailloux fait résonner les toits en tôle ondulée de ce quartier populaire de la ville de Sokodé. Les militants du RPT, le parti au pouvoir, mettent rapidement en déroute ceux de l’opposition. Il est vrai que le cortège du RPT qui traverse la ville est plutôt musclé. Des dizaines de nervis armés de gourdins et de machette accompagnent de geste obscènes un flot d’injures à l’adresse des opposants. Ceux-ci viennent tout juste de quitter le stade où le candidat de l’opposition radicale, Emmanuel Akitani Bob, a tenu son meeting. Les sympathisants de la coalition sont d’autant moins enclins à offrir une résistance que derrière le cortège du RPT se profile les véhicules kakis des gendarmes de la Fosep, la force de sécurité pour l’élection présidentielle.
En quelques instants, tout ce qui porte un foulard ou un tee-shirt jaune, la couleur de l’UFC de Gilchrist Olympio, est dispersé à coup de chicotte. Au passage les voyous mêlés aux militants emportent quelques scooters et quelques vélos. «Depuis le début de la campagne, le RPT a acheté des gourdins et des machettes à ses militants et à chaque meeting de l’opposition, ils viennent créer des troubles», commente un jeune homme. Du côté du RPT, les propos sont inverses: «Ils veulent occuper la rue pour obtenir l’annulation du scrutin», affirme Djibril, thuriféraire rondouillard du candidat Faure Gnassimgbé.
Les incidents de Sokodé sont cependant très limités comparés à ceux qui émaillent la campagne dans la capitale, Lomé. Sokodé, située à quelques encablures de la région Nord, patrie originelle du clan Eyadéma, reste une ville provinciale engourdie dans la torpeur d’une vie réglée sur le rythme de la nature. Plus au nord, à Kara, la campagne électorale ne donne lieu à aucune clameur, ni incidents. Dans le fief de la famille Eyadéma, on porte toujours le deuil du défunt président, et si les meetings ont bien lieu, ils se déroulent dans le calme. Etre opposant ici, relève quasiment de la provocation. Les 73 000 électeurs de la commune ont voté à 92% en faveur de Gnassingbé Eyadéma, lors de la présidentielle de 2003. Lors du meeting de l’opposition radicale à Kara, les militants du RPT se sont contentés d’une mauvaise plaisanterie. Ils ont distribué aux portes du stade des centaines de tee-shirt à l’effigie du candidat Faure Gnassingbé.
À Kara on conçoit difficilement l’avenir sans un Kabyé à la présidence. L’ethnie dominante au Nord fut durant près de quatre décennies favorisée par Eyadéma qui a introduit nombre de responsables kabyés au sein de l’armée et de l’administration. Aujourd’hui les jeunes s’interrogent. Autrefois l’avenir était tout tracé. Un père dans l’armée, un fils dans l’armée ou un frère dans l’administration. Mais demain ? Qu’en sera-t-il ?
Des nervis, machettes à la main
«Si je vote Faure ça va m’arranger parce que Faure va arranger mon village natal. Il va nous aider», résume Daniel, un jeune employé d’hôtel de Kara. Mais derrière son raisonnement simple, Daniel, comme beaucoup d’autres souhaite un certain changement. Car tout n’est pas rose à Kara. La ville vit essentiellement du commerce mais l’activité pâti des douze années de sanctions européennes. Et si nombre de Kabyés ont pu faire carrière à Lomé, beaucoup sont au chômage, victimes d’une conjoncture morose. Pour autant les habitants de Kara considèrent que voter pour un autre candidat que le fils de la région serait courir à l’aventure. On est conscient ici des rancoeurs accumulées à Lomé par les gens du sud envers les Kabyés. Gilbert Alfa est l’un des rares à oser nager à contre-courant. Il représente le CAR, l’un des partis de la coalition de l’opposition. Sa principale activité consiste à rassurer les Kabyés. «Il n’y aura pas de chasse aux sorcières», assure-t-il, «si un président du sud arrive au pouvoir, il pratiquera une politique républicaine et nationale, tout comme l’a fait Eyadéma», explique-t-il.
Reste que les responsables de l’opposition radicale, à l’exception de Léopold Gnininvi, n’ont guère convaincu les habitants du Nord sur ces questions sensibles. La méfiance reste de mise. Il est vrai que la radicalisation de la situation à Lomé ne favorise guère les voix fluettes de la raison et du bon sens. Dans la capitale les esprits sont surchauffés. Le samedi 16 avril dans plusieurs quartiers frondeurs ou non, des affrontements violents ont opposés les militants des deux bords. Ici, l’opposition et le RPT utilisent les mêmes voies et les mêmes méthodes.
L’intimidation est devenu le langage commun, la violence le seul exutoire. Le week-end dernier les autorités ont noté par moins de dix incidents impliquant des nervis. On peut voir dans les rues de Lomé, de petits groupes de manifestants, machettes et gourdins à la main. Les militants de l’UFC, le principal parti de la coalition, ne sont pas les derniers, au point que le gouvernement accuse l’opposition de vouloir occuper la rue et provoquer des incidents pour obtenir un report du scrutin. «Qui sème le vent récolte la tempête», rétorque un responsable de l’opposition. Pour lui la communauté internationale est en train de se rendre complice d’une élection truquée d’avance. «La CEDEAO, assure-t-il, a sacrifié les principes démocratiques sur l’autel de la realpolitik.»
Certaines franges de l’opposition semblent décidées à ne pas baisser les bras. Les jeunes militants font circuler dans les quartiers réputés proches de l’opposition des tracts signés des «jeunes patriotes» appelant la jeunesse à empêcher «le RPT, la CEDEAO et la France de faire aboutir leur complot contre notre pays». La montée des périls est si visible que la communauté internationale tire la sonnette d’alarme.
Les mises en garde et les admonestations des États-Unis, de la France et de la CEDEAO, les craintes exprimées par les églises et les appels au calme du gouvernement suffiront-ils à empêcher la violence latente d’éclater ? Beaucoup de Togolais rêvent d’un jeu politique apaisé et ouvert comme cela se pratique chez les voisins béninois ou ghanéens. Encore faudrait-il que la classe politique togolaise arrive à surmonter trente-huit années de méfiance et de soupçon.par Olivier Rogez
Article publié le 22/04/2005 Dernière mise à jour le 22/04/2005 à 19:14 TU