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Soudan

Les oubliés de l’Est prêts à ouvrir un nouveau front

Des rebelles de l'est du Soudan paradent dans un de leurs campements près de la frontière érythréenne, au nord de Kassala, le 27 mars 2005. Ils dénoncent une marginalisation de leur région par Khartoum et se disent prêts à reprendre la lutte armée.(photo : Nicolas Germain/RFI)
Des rebelles de l'est du Soudan paradent dans un de leurs campements près de la frontière érythréenne, au nord de Kassala, le 27 mars 2005. Ils dénoncent une marginalisation de leur région par Khartoum et se disent prêts à reprendre la lutte armée.
(photo : Nicolas Germain/RFI)
L’éclatement il y a deux ans du conflit du Darfour est venu rappeler que la crise traversée par le Soudan ne se résume pas à l’opposition Nord-Sud : elle oppose plus largement un centre à ses périphéries. Le Darfour, à l’ouest du Soudan est actuellement sous les feux de l’actualité. Mais la région de l’Est a elle aussi été marginalisée par les régimes successifs. Les deux mouvements rebelles qui représentent les populations de l’Est ont récemment fusionné. Et ils menacent de reprendre la lutte armée si le gouvernement refuse d’entendre leurs revendications.

Reportage au Soudan

Sur une plaine désertique, des centaines de soldats lèvent leurs kalachnikovs vers le ciel. Ce sont les combattants du Front de l'Est, le mouvement rebelle de l’est du Soudan. Les dirigeants du Front ont invité les populations de la zone qu’ils contrôlent, près de la frontière avec l’Erythrée au nord de Kassala, à une conférence de trois jours, dans un campement sans eau courante ni électricité. Une conférence pour mobiliser l’ensemble des populations de l’Est.

(Carte : DK/RFI)
Les longues étendues désertiques de la région sont peuplés de tribus Beja, dont la présence remonte jusqu’à l’antiquité égyptienne et de Rashaida, arrivés au XIXe siècle d’Arabie saoudite. Face à des conditions de vie qui se dégradent, et à un gouvernement central incapable de prendre en compte leurs revendications, les Beja se sont dotés pendant les années 60 d’un Congrès Beja destiné à les représenter. Le groupe est redevenu actif dans les années 80. Les Rashaida, de leur côté, ont créé le mouvement des Lions libres en janvier 99. «Il n’y avait ni éducation, ni santé, rien pour les Rashaida», explique Mabruk Salim Mubarak, chef des Lions libres et désormais secrétaire général du Front de l’Est.

Les deux mouvements sont restés calmes pendant les négociations de paix Nord-Sud tenues à Naivasha. L’accord signé le 9 janvier dernier entre le gouvernement soudanais et les rebelles du Sud mécontente pourtant les deux organisations, comme il mécontente, à l’ouest, les rebelles du Darfour. Pour appuyer leur demande de discussions directes avec le gouvernement sur le seul dossier de l’est du Soudan, les deux mouvements ont fusionné en février dernier, créant le Front de l’Est.

«Je ne crois pas que le gouvernement est sincère»

La rencontre qui se déroule au milieu du désert est le premier grand rassemblement depuis la création de ce Front. Deux à trois mille personnes sont là. Essentiellement des hommes. La plupart des hommes portent des turbans blancs et arborent de fières moustaches. Plusieurs mouvements d'opposition soudanais sont venus pour exprimer leur solidarité. Il y a là des représentants des deux groupes rebelles du Darfour, il y a là également des officiels de la SPLA (l’Armée populaire de libération du Soudan, le principal groupe armé du Sud) et du parti communiste soudanais. Des dignitaires érythréens, dont deux ministres, sont venus proposer les bons offices de l’Erythrée, pour une médiation avec le gouvernement soudanais.

La conférence a été l’occasion de parler des relations avec le gouvernement de Khartoum. Les rebelles de l’Est disent préférer une solution pacifique, Mais ils affirment qu’ils sont prêts à reprendre la lutte. Pendant la conférence, sous une chaleur étouffante, des dizaines de jeunes hommes s’engageront pour prendre les armes. Ils sont acclamés avec ferveur par des vieillards parfois édentés qui brandissent leurs épées. «Je ne crois pas que le gouvernement est sincère quand il évoque des pourparlers de paix», estime Musa Mohamed Ahmed, le président du Front. Vêtu d'un treillis, les bras posés sur son bureau dans une petite hutte, il explique d'une voix calme qu'il ne peut révéler le nombre de ses troupes. Mais il affirme contrôler une région allant de la frontière érythréenne jusqu’à l'intérieur du Soudan.

Les dirigeants du Front disent qu'ils entameront des pourparlers de paix avec Khartoum à condition que le gouvernement traduise en justice «ceux qui ont commis des crimes à Port-Soudan». «Devant un tribunal international», insiste Salah Barqueen. Dans ce port de la mer Rouge, des émeutes organisées, selon Khartoum, par le Congrès Beja avaient éclaté fin janvier. Les forces gouvernementales avaient tué 14 personnes, d'après le bilan officiel, 36 selon le Congrès Beja.

La crainte d’un embrasement à l’est du Soudan

L’incident a fait craindre un embrasement du pays Beja. Car l’inquiétude des analystes grandit au sujet de l’Est du Soudan, marginalisé comme tant d’autres régions du pays. «Il y a un risque de conflit», explique Sara Pantuliano de l’Institute of Development Studies de Dar-es-Salaam, «mais il est encore temps de le prévenir, en prenant en compte les principales revendications des Beja, notamment les retards en matière d’éducation et de santé». Interrogé sur la situation dans l’Est du Soudan, l’un des hauts responsables du département d’Etat en charge des affaires africaines, Michael Ranneberger a fait part de son inquiétude, tout en appelant le Front de l’Est à temporiser : «Des signaux clairs ont été envoyés aux Beja leur indiquant qu’il n’était pas dans leur intérêt de provoquer des violences à l’Est. Ils seront inclus dans la mise en œuvre de l’accord de paix global. Ils pourront participer politiquement au futur du Soudan».

Dans le campement où sont réunis les partisans du Front de l’Est, on danse à la nuit tombée. Les jeunes rebelles bougent en cadence, avec ferveur. Kalachnikov en main, ils chantent qu’ils se battront jusqu’à la victoire finale.

par Nicolas GERMAIN  (avec Laurent CORREAU à Paris)

Article publié le 26/04/2005 Dernière mise à jour le 26/04/2005 à 16:46 TU