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Photographie

Le Baiser de l’Hôtel de Ville s’est envolé aux enchères

«Le baiser de l’Hôtel de Ville» est publié en 1950 par le magazine américain <EM>Life </EM>qui avait commandé à Robert Doisneau un reportage sur les amoureux de Paris.(Photo : Robert Doisneau)
«Le baiser de l’Hôtel de Ville» est publié en 1950 par le magazine américain Life qui avait commandé à Robert Doisneau un reportage sur les amoureux de Paris.
(Photo : Robert Doisneau)
Baiser posé, baiser vendu : l’une des photos les plus connues au monde, prise par Robert Doisneau en 1950, est partie aux enchères pour 184 960 euros TTC, du jamais vu. C’est un Suisse, souhaitant rester anonyme, qui a racheté l’un des rares tirages argentique originaux d’époque que le photographe Robert Doisneau (1912-1994) avait offert à l’époque à l’héroïne du cliché, Françoise Bornet, âgée aujourd’hui de 75 ans. Françoise Bornet, tournée vers l’avenir, voulait récolter des fonds pour financer une maison de production et aider de jeunes réalisateurs à produire leurs films.

La mise à prix était fixée à 10 000 euros seulement, pour une estimation de vente entre 15 000 et 20 000 euros, mais la salle s’est très vite enflammée puisque trois minutes seulement on suffi à décider un acquéreur pour une somme quinze fois supérieure hors taxe, soit 184 960 euros TTC, record salué par une salve d’applaudissements nourris. L’expert Grégory Leroy l’explique : «C’est à la fois une icône française, une icône de l’amour, une icône de Paris (…) L’un de ces quatre ou cinq clichés mythiques que presque tout le monde connaît»». Le commissaire priseur, Hervé Poulain, convaincu de l’émergence d’un «vrai marché pour la photo d’art, encore inexistant il y a 15 ans», a interprété ce succès : «Cette photo appartient au siècle. La présence pendant la vente de ‘l’amoureuse de l’Hotel de Ville’ a participé à l’alchimie et la magie autour des objets qui font les records».

Ce tirage (18x24,6cm), portant au dos le cachet de Robert Doisneau -un des six à huit tirages originaux-, avait été offert par l’auteur à son héroïne peu de jours après la prise de vue. Cette photographie est devenue culte avec la commercialisation, en 1986, de 410 000 exemplaires d’un tirage en format poster, un record mondial. Depuis, chaque année, le poster est vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires à travers le monde. C’est ainsi que Jacques Carteaud, décédé il y a deux ans, et Françoise Bornet sont devenus les héros d’un baiser langoureux échangé sur le parvis de l’Hôtel de Ville en 1950, un baiser inscrit dans l’Histoire, symbolisant en quelque sorte le sourire retrouvé du Paris d'après-guerre, libéré du joug nazi.

Tous les amoureux du monde se sont mis à se reconnaître…

Derrière le couple, le béret bien vissé sur la tête, un homme jette un regard furtif aux amoureux enlacés. S’agissait-il pour autant d’un baiser volé par l’objectif ? L’auteur de la photo lui-même a révélé que non : «Je n’aurais jamais osé photographier des gens comme ça. Des amoureux qui se bécotent dans la rue, ce sont rarement des couples légitimes … ». La scène avait totalement été fabriquée par Robert Doisneau auquel le magazine américain Life avait commandé un reportage sur les amoureux de Paris. Croisant deux jeunes gens énamourés à la terrasse d’un café -dans le quartier des Invalides, près du cours Simon dont ils étaient élèves-, le photographe les avait sollicités pour poser le surlendemain. Quelques mois après le couple se séparait, et Françoise gardait la photo en souvenir de l’idylle.

Si la photo devenue célèbre, tous les amoureux du monde se sont mis à se reconnaître sur le cliché, certains sont allés plus loin, réclamant des dommages et intérêts pour avoir été photographiés à leur insu. L’un d’eux, le couple Lavergne, se ruinera en procédures judiciaires, pour tenter d’obliger Doisneau à reconnaître que l’image était posée. Françoise Bornet, restée jusque-là discrète et effacée, écrit au photographe, lequel authentifie son témoignage; il reconnaît son héroïne : «Aucun doute, c’est vous ! ». Pour autant, Françoise Bornet ne touchera jamais de redevances sur les reproductions, les droits appartenant à l'agence Rapho avec laquelle travaillait Robert Doisneau. Aujourd’hui, déclarant : «Je trouve que c’est une photo qui n’a plus lieu d’être et je ne la garde pas», Françoise Bornet a vendu, sans la brader, une page du passé pour se tourner vers l’avenir et nourrir un projet encore lié à l’image : elle souhaite aider de jeunes réalisateurs de films documentaires et financer, au-delà de ses espérances, une maison de production de films.


par Dominique  Raizon

Article publié le 26/04/2005 Dernière mise à jour le 27/04/2005 à 09:44 TU