Togo
Le candidat de l’opposition se proclame président
(Photo : AFP)
Emmanuel Bob Akitani a réuni mercredi quelques journalistes dans une maison de la capitale pour leur annoncer qu’il se proclamait président du Togo, estimant avoir gagné l’élection présidentielle organisée dimanche dans le pays. Il affirme l’avoir emporté face à Faure Gnassingbé dans tous les districts du pays à l’exception de celui de Kara, fief de la famille qui détient le pouvoir au Togo depuis 38 ans. Il a tenu à adresser aux «jeunesses togolaises» ses premiers remerciements. «Moi, Bob Akitani, et vous, avenir de notre pays, au prix de notre vie, nous devrons nous opposer à l’arbitraire et contraindre ceux-là qui croient bénéficier d’un droit divin sur notre peuple à entendre raison. La lutte sera longue, mais la lutte populaire est invincible», a expliqué le candidat de la coalition de l’opposition, crédité de 38,19% selon les résultats publiés mardi par la commission électorale.
Avant même qu’il ne lance publiquement cet appel à la mobilisation, plusieurs quartiers de la capitale avaient été le théâtre mercredi de nouvelles scènes de violence, un bilan provisoire des émeutes établie mercredi à la mi-journée faisant état de onze morts et une centaine de blessés. Elles ont commencé mardi peu après l’annonce des résultats officiels par la commission électorale. Mercredi soir, le gouvernement togolais parlait, lui, de neuf morts, Katari Foli-Bazi, ministre intérimaire de l’Intérieur, expliquant qu’il s’agit de «huit ressortissants du Niger qui ont été battus et brûlés vifs et d’un policier tué à coups de machette».
Les barricades érigées dans les quartiers populaires de Bé et Dékon (voir carte ci-dessous), deux des fiefs de l’opposition, ont été renforcées dans la nuit, les émeutiers ajoutant aux troncs d’arbres placés en travers des rues toutes sortes de matériaux. Ils entendent dénoncer la victoire à élection présidentielle de Faure Gnassingbé, donné vainqueur par la commission électorale avec 60,22% des voix. Des barricades ont également été dressées dans deux quartiers de l’ouest de la capitale, Kodjoviakope et Nyékonakpoé, qui jouxtent la frontière avec le Ghana.
Selon des témoignages recueillis par RFI, de violents incident auraient également éclaté à Aného, une ville située à environ 45 km à l’est de Lomé, à la frontalière avec le Bénin. Des manifestations de colère des opposants auraient en effet été violemment réprimées. Selon la police béninoise, plusieurs centaines de personnes ont franchi la frontière pour fuir ces violences. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a certes confirmé l’arrivée de réfugiés togolais au Bénin, mais n’a donné aucun chiffre.
Le CHU de Tokoin débordéDes militaires se sont déployés mercredi à Lomé dans le quartier de Bé pour tenter d’en reprendre le contrôle. Ils auraient, selon des témoins, tiré des grenades lacrymogènes. Et une épaisse fumée noire s’élevait mercredi depuis l’un des bâtiments de ce quartier. Un de ses habitants, dont le témoignage a été recueilli par l’agence Reuters, a affirmé avoir vu les cadavres d’au moins deux personnes tuées par balles devant son domicile. La veille, déjà, plusieurs personnes avaient fait état de tirs à balles réelles, mais les autorités n’ont fourni aucun bilan précis de cette première journée de violence. Présent au Centre hospitalier universitaire Tokoin, situé dans le nord de la capitale, l’envoyé spécial de RFI a pu constater que nombreux blessés avaient été amenés ces dernières heures et que 90% d’entre eux avaient été blessés par balles. Un chirurgien militaire lui a d’ailleurs confié que certaines blessures aveint été causées par des balles explosives. Et face à cet afflux de victimes, le CHU-Tokoin commence à manquer des fournitures médicales nécessaires pour prodiguer des soins d’urgence.
En revanche, la situation semble calme dans les quartiers nord de la capitale, favorables à Faure Gnassingbé. Des manifestations de joie avaient d’ailleurs éclaté mardi à Ramco, For Ever ou Casablanca pour saluer la victoire du fils du défunt président Gnassingbé Eyadéma, décédé le 5 février après avoir régné sans partage sur le Togo pendant 38 ans. Et certains partisans du pouvoir en place, armés de machettes et de gourdins, avaient alors menacé de se rendre dans les fiefs de l’opposition pour «faire respecter le choix du peuple», laissant craindre des heurts très violents dans les rues de la capitale.
Par mesure de précaution, la police togolaise a choisi de mettre à l’abri mardi au moins trente ressortissants français. «Plusieurs familles françaises ont été exfiltrées de leurs maisons par la police de différents quartiers de Lomé, suite à l’agression de militants de l’opposition togolaise», a déclaré à l’AFP une source policière togolaise. Des ressortissants libanais ont également été victimes de pillages et de violences. Dans ce climat très tendu, les autorités françaises appellent à la plus grande prudence les quelques 3 000 ressortissants nationaux présents au Togo, la grande majorité d’entre eux vivant à Lomé.
Paris défend l’idée d’un gouvernement d’union nationaleChargé de relayer la position des autorités françaises, Jean-Baptiste Mattéi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a de nouveau demandé mercredi à «l’ensemble des responsables politiques togolais» de contribuer « à ramener le calme et à mettre un terme aux actes de violence». «En ce qui concerne le déroulement du scrutin, nous avons pris note des déclarations qui ont été faites par les observateurs de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). D’autres sources ont indiqué qu’il y avait peut-être des cas de fraude. En cas de contentieux, il existe des mécanismes légaux auxquels il peut être fait recours», a expliqué Jean-Baptiste Mattéi, en rappelant que la France appuyait «l’engagement de l’Union africaine, et également de la CEDEAO, pour encourager la formation d’un gouvernement d’union nationale».
Dans un communiqué publié mercredi, la CEDEAO juge que les «anomalies» enregistrées lors du scrutin présidentiel ne remettent pas en cause la «crédibilité» de cette élection. «Les observateurs estiment que les anomalies et les insuffisances ainsi que les incidents ne sont pas de nature à remettre en cause la bonne tenue et la crédibilité du scrutin présidentiel du 24 avril 2005 (…). Ce scrutin a globalement répondu aux critères et principes universellement admis en matière d’élections», indique dans ce document la CEDEAO, qui comptait sur place environ 150 observateurs. La CEDEAO relève notamment que, dans certains endroits, les bureaux de vote ont ouvert tard et que des registres électoraux n’ont pas été distribués. Elle fait également état d’une pénurie de bulletins de vote, de mesures de sécurité insuffisantes, et d’interruptions du processus électoral dans certains bureaux de vote.
Le Nigeria, qui assure actuellement la présidence de l’Union africaine (UA), a condamné mercredi la décision d’Emmanuel Bob Akitani de se proclamer président, jugeant sa déclaration «inconstitutionnelle». «Elle n’a aucune valeur car une élection a été organisée et un vainqueur élu», a déclaré Olu Adeniji, ministre nigérian des Affaires étrangères. Rejetant d’avaliser les résultats de ce scrutin, Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d’Etat français à l’Intégration, a appelé de son côté la communauté internationale «à refuser toute reconnaissance du régime illégitime installé à Lomé». «Le coup d’Etat perpétré le 5 février 2005 au Togo à la suite de la mort du président Gnassingbé Eyadéma a trouvé son habillage légal dans la mascarade électorale du 24 avril dernier», a déclaré Kofi Yamgnane, d’origine togolaise, qui avait émis l’idée de participer à ce scrutin avant de devoir y renoncer en raison de la législation électorale de ce pays.
Plan de Lomé (Carte : DR RFI) |
par Olivier Bras
Article publié le 27/04/2005 Dernière mise à jour le 27/04/2005 à 19:19 TU