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Energie nucléaire

Iter (presque) en France

Vue d'artiste du futur site d'Iter à Cadarache (France).(Photo: AFP)
Vue d'artiste du futur site d'Iter à Cadarache (France).
(Photo: AFP)
Le Japon voulait le construire, la France était également candidate. Finalement c’est le site français de Cadarache qui a les plus grandes chances d’accueillir le réacteur expérimental Iter. La fusion nucléaire est pourtant un pari technologique difficile. Et si le Japon renonce, il est toujours en train de négocier des compensations industrielles et probablement diplomatiques.

Ce jeudi, s’est tenue à Genève une ultime réunion entre la France et le Japon sur le choix du site du futur réacteur expérimental à fusion nucléaire Iter (International Thermo-Nuclear Experimental Reactor). «La réunion a été très constructive et a permis d’avancer sur les rôles du pays hôte et du pays non hôte. Nous sommes très optimistes sur un accord d’ici juillet», a déclaré à l’issue de cette réunion Antonia Mochan, porte-parole du commissaire européen chargé de la Recherche, Janez Potocnik. Achilleas Mitsos représentait la Commission de Bruxelles. Il a négocié avec le chef japonais du projet Iter, Tetsuhisa Shirakawa.

L’accord en cours de négociation entre l’Union européenne et le Japon porte sur des compensations que le Japon souhaite obtenir s’il renonce à construire chez lui ce réacteur expérimental à fusion nucléaire. Il semble acquis que les entreprises japonaises bénéficieront d’un régime préférentiel dans la construction et l’exploitation de ce réacteur expérimental. Les entreprises nippones spécialisées devraient avoir la garantie d’obtenir au moins 20% des contrats industriels tournant autour de ce projet alors que Tokyo le financera à hauteur de 10% seulement. Le gouvernement japonais veut avoir l’assurance que même construit en Europe, Iter créera des emplois sur le sol japonais. Le chiffre de 100 000 emplois est avancé par la presse japonaise pour la région de Rokkasho-mura, site japonais déjà dédié au nucléaire.

Iter en débat au Japon

Depuis des mois, les deux camps s’affrontent pour arracher la construction du réacteur Iter. Le projet est tellement coûteux qu’il n’est pas question de construire deux prototypes dans le monde pour tenter de réaliser la fusion nucléaire. Les experts estiment le projet à dix milliards d’euros étalés sur trente ans, dont 4,57 milliards d’euros pour la seule construction du réacteur.

Malgré la volonté affichée du Japon d’obtenir ce réacteur expérimental, il fait débat au sein du gouvernement japonais. Le ministère de la Science et de la Technologie pousse la candidature de Rokkasho-mura tandis que le ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie (METI) se montre réservé sur ce projet, étant donné son coût pour le pays hôte.

Pour la France, qui a l’expérience depuis plusieurs décennies d’une filière industrielle électronucléaire, le financement de l’installation ne semble pas être un obstacle. Au cours de sa dernière intervention télévisée pour demander aux Français de voter oui au traité constitutionnel européen, Jacques Chirac a parlé d’Iter, assurant que la France «est sur le point» d’accueillir le projet. «Nous avons d’abord eu une polémique au sein des Européens parce qu’il y avait deux candidats, la France et l’Espagne, et ensuite nous nous sommes imposés à la Russie, à la Chine, à tout le monde», a expliqué le chef de l’Etat français. «Nous finissons de négocier avec le Japon. Vous vous imaginez que cela se fait tout seul ? Cela se fait parce que la France a une voix qui est écoutée, certainement respectée, même si parfois elle agace un peu», a poursuivi Jacques Chirac.

La France et le Japon coopèrent depuis de longues années

Mercredi, la veille donc de la réunion de ce jeudi à Genève, le ministre français des Affaires étrangères Michel Barnier et son homologue japonais Nobutaka Machimura avaient eu un entretien à Paris. «Il est évident que dans le contexte du référendum (sur la Constitution européenne), on a intérêt à présenter les choses de manière favorable», indiquait un diplomate à l’issue de ce tête-à-tête.

La France et le Japon coopèrent depuis de longues années dans le domaine du nucléaire civil. Les industriels français ont aidé les Japonais à mettre en place leur propre filière électronucléaire. L’usine française de la Hague continue également de retraiter les combustibles irradiés japonais pour en extraire le plutonium, substance à haute valeur stratégique. Paris et Tokyo devraient donc finir par s’entendre sur ce projet Iter.

La façon dont l’Union européenne a pris le dossier en main semble plus surprenante. C’est un peu comme si Bruxelles ne voulait pas être en dehors d’un projet industriel d’envergure mondiale. Car la majorité des pays de l’Union sont contre le nucléaire ou bien y ont renoncé.

Reproduire le soleil

L’énergie que procurera Iter (International Thermo-Nuclear Experimental Reactor) fait rêver les spécialistes. Dans ce réacteur, les scientifiques vont essayer de reproduire ce qui se passe dans le soleil. Alors que le nucléaire classique est basé sur la fission (casser les noyaux des atomes), la fusion doit vaincre la répulsion des atomes entre eux. Les noyaux de deux atomes de deutérium (isotope lourd de l’hydrogène) doivent se fondre pour obtenir du tritium (autre isotope de l’hydrogène) en dégageant beaucoup d’énergie.

Malgré trente ans d’efforts, la fusion n’est pas encore au point. Pour vaincre la répulsion des atomes entre eux, les opérations doivent s’effectuer à des températures de l’ordre de 100 millions de degrés. A cette température, la matière est à l’état de plasma. L’un des enjeux d’Iter consiste à inventer les matériaux capables de résister à cette chaleur ou toute autre technique pouvant la contenir. La Russie sera un acteur du projet franco-européen. Ses physiciens ont mis au point des tokamaks, des cylindres susceptibles de contenir ce plasma.

Les spécialistes estiment qu’il faudra plusieurs décennies d’expérimentation pour faire fonctionner le réacteur expérimental. Et ce n’est pas avant le siècle prochain que cette nouvelle filière pourra produire de l’électricité.

Le réacteur expérimental Iter est une «impasse technologique qui ne produira jamais d’électricité», indique le réseau d’associations Sortir du nucléaire qui poursuit dans son communiqué: «Malgré des dizaines de milliards d’euros dépensés en vain depuis 50 ans, les chercheurs échouent à maîtriser la fusion nucléaire». Sortir du nucléaire, qui revendique un réseau de 700 associations, dénonce «la fuite en avant des autorités françaises qui ont décidé unilatéralement de doubler la participation financière hexagonale au projet. Qui plus est, il est légitime de craindre que d’importantes compensations soient secrètement offertes aux Japonais pour obtenir leur désistement», précise encore l’association. Sortir du nucléaire demande «l’annulation de la construction d’Iter et l’affectation des milliards ainsi économisés vers les plans d’économie d’énergie et de développement d'énergies renouvelables».

Sur son site Internet, le réseau Sortir du nucléaire rappelle que le prix Nobel de physique 2002, le Japonais Masatoshi Koshiba, a mis en cause le bien-fondé de la construction d’Iter. Le physicien explique qu’une fois construit, ce réacteur produira un flux intense de neutrons très énergétiques auquel aucun matériau connu aujourd’hui ne peut résister.


par Colette  Thomas

Article publié le 05/05/2005 Dernière mise à jour le 05/05/2005 à 16:24 TU